Ravalec
(Nouvelles Clés) – Connu comme l’un des romanciers “sombres” de la nouvelle génération (avec Dantec et Houellebecq), Vincent Ravalec poursuit une quête initiatique étonnante, qui a brusquement débouché sur la lumière.
Si ces mots ne sonnaient aujourd’hui comme des insultes, on pourrait qualifier Vincent Ravalec d’auteur postmoderne tendant au new-age. À la sincérité dépouillée d’Un pur moment de rock’n’roll (qui lui valut le prix de Flore), à laquelle répondait celle, drôlatique et décapante, du récit de ce succès ( L’auteur), succéda en effet une série de romans dont les titres témoignaient d’un intérêt grandissant pour l’étrange ( Wendy, biographie d’une sainte ), voire pour la magie ( Nostalgie de la magie noire, Effacement progressif des consignes de sécurité ). Seulement voilà : l’intérêt se doublait d’un véritable engagement. Après avoir cherché plusieurs continents, c’est finalement en Afrique équatoriale que le romancier a trouvé la terre de son initiation : le Gabon, où fleurit la religion du Bwiti. 

bwitiNouvelles Clés : Comment en êtes-vous venu à cette initiation bwitiste ?

Vincent Ravalec : Quand j’ai rencontré le jeune maître Mallendi et le Bwiti, je “travaillais” déjà sur moi avec acharnement depuis l’âge de dix-sept ans. J’avais suivi le cursus classique quand on désire progresser – psychanalyse, méditation, questionnement philosophique, expression artistique, approche chamanique, etc. J’avais notamment entrepris depuis plusieurs années des voyages “initiatiques” qui m’avaient conduit à Pâques chez les Yaquis d’Arizona, et cinq fois chez les Chipibos de l’Amazonie péruvienne. L’initiation au Bwiti a été une étape supplémentaire – et décisive – sur ce chemin. Au Gabon, ce que je croyais avoir appris s’est trouvé confronté à un savoir abyssal. J’étais convaincu d’être en train de gravir une montagne, et tout à coup je me suis aperçu – non sans souffrance, vanité oblige – que j’étais à peine sur les marches d’un petit escabeau. “Si l’on fait cette expérience, c’est que l’on y a été amené”, serait tenté de dire aujourd’hui le bwitiste en moi. Mais je suis aussi obligé de faire une mise en garde. Ce n’est ni un trip à l’ectasy, ni le club-med, mais une initiation. Il faut l’aborder de toute la profondeur de son être. La rigueur avec laquelle on s’investit est la première condition. Plus l’on est juste et rigoureux, plus le gain sera important.

N. C. : Quel gain recherchiez-vous ?

V. R. : Je pourrais parler d’une quête de Dieu, mais je n’aime pas beaucoup employer ce terme aujourd’hui.
Ayant toujours eu une certaine foi, ce n’était pas le plus important pour moi. Par contre, j’étais curieux, enthousiaste, à la recherche de connaissances pour développer au maximum les potentiels que je supposais avoir. Je parle de potentiels et non de pouvoirs, autre terme sujet à caution. Cette expérience initiatique, à travers l’iboga que l’on peut comparer à l’arbre de la connaissance, m’a fait entrer dans une perception à la fois mienne et connectée avec d’autres dimensions, ouvrant sur une appréhension multiconceptuelle du monde. C’est le point le plus intéressant et le plus complexe : avec cette multiconceptualité du temps, de l’espace, du rapport avec le monde, les autres, sa propre mémoire et l’être en général ; on entre en même temps dans une unicité de soi-même, et cette unicité permet la multiplicité. Alors évidemment on

passe par des états extatiques, d’autres sont absolument épouvantables, d’autres sont entre les deux, on découvre des parties de soi-même, dont une partie où l’on n’est plus rien. C’est de l’ordre de l’apocalypse, de la révélation, le monde à la fois s’efface et se révèle. Je considère comme une chance d’avoir bénéficié de la générosité avec laquelle ces cultures profondes et archaïques ouvrent aujourd’hui au plus grand nombre l’accès à leurs connaissances, longtemps tenues secrètes.

N. C. : Impossible sans doute de raconter une expérience aussi intime, mais pouvez-vous en livrer quelques détails ?

V. R. : Le premier soir, allongé sur un lit de feuilles, je suis entré dans une sorte de tunnel blanc, j’avais des visions de la société occidentale, télé, métro, comme si la terre elle-même nettoyait mon cerveau de toute une pollution psychique. Au matin a eu lieu une remontée dans le passé. Je ne m’étais jamais intéressé à ma généalogie familiale, mais avant de partir, sur les conseils de Mallendi, j’avais retrouvé mon arbre généalogique (et des ancêtres près de Brocéliande !). Là, psychiquement et physiquement, je suis redevenu tour à tour plusieurs de ces ancêtres, bretons d’abord, puis plus lointains, en Inde, et jusqu’à un être originel, au service de Dieu, qui attrapait le soleil de la main et s’en nourrissait, se rechargeant en énergie. C’était très visuel, clair, intense. Avec l’iboga, cette autre appréhension de la réalité prend la forme de visions dans le feu, dans un nuage; ou de visions internes, de sensations; ou plus simplement encore, la mémoire resurgit.
Dans la tradition bwitiste, il est important de se reconnecter ainsi aux ancêtres. Occidental, je peux le décoder : Xanga, l’aïeul originel – Adam – étant lui-même en contact avec Dieu, c’est une manière de se connecter au divin. Mais que dire de cette Bretonne que j’ai revue là, dans sa petite chambre, me montrant à travers l’espace-temps comment elle se connectait à la conscience, les codes qu’elle utilisait pour faire de la magie et aider les gens ? Que revit-on ? Des vies antérieures ? Une mémoire génétique ? Combien avons-nous de mémoires ? Je ne sais pas, mais j’ai l’impression d’avoir revécu, avec des images très précises, des existences qui m’appartiennent – des “logiciels” qui me composent ?

Les bwitistes passent toute leur vie à se réunir dans les veillées et à parler de ce qui leur est arrivé ! Il s’est encore passé énormément de choses, certaines trop intimes, d’autres qui ne reviennent que peu à peu, comme si l’initiation les avaient stockées dans une préconscience désormais plus accessible. D’autres enfin furent si terrifiantes que, la première fois, j’ai interrompu mon initiation au soir du second jour. C’était trop fort. Ensuite, pendant six mois j’ai vu Mallendi souvent, nous sommes allés en Amazonie ensemble, puis de nouveau au Gabon où j’ai franchi la troisième étape, l’édica. J’ai compris que cette peur et cet arrêt faisaient aussi partie de mon initiation. Mon expérience du chamanisme était candide, naïve, j’avais vécu des choses extrêmes sans avoir la perception d’un initié. Je le dis sans

honte, il a vraiment fallu que je paye de ma personne, avec souvent la peur au ventre.

N. C. : Pourquoi cette peur ?

V. R. : Parce qu’on se dissout, on n’existe plus. Quand le monde devient multiconceptuel, on a accès à des strates qui semblent infinies. Je ne peux même plus dire qui je suis, et en même temps j’existe toujours puisque je suis là et parle. Appréhender ainsi le monde s’accompagne d’une dissolution du Moi qui rend difficile la vie quotidienne et indispensable l’aide d’un maître. Il faut apprendre à gérer les moments – particulièrement avec des proches – où l’on vous renvoie l’image d’un autre Moi, plus habituel. Il est parfois intolérable d’avoir ces deux états en simultané. Sans doute est-ce plus facile quand on est immergé dans la jungle, mais mon expérience initiatique se poursuit ici, dans un monde très complexe, riche de nombreuses lectures possibles. Le Bwiti, via l’iboga (à la différence de l’ayahuasca), joue aussi sur ce monde terrestre, et l’initiation m’a renvoyé à tous mes défauts, comme un miroir, me confrontant à cette exigence : la porte est très étroite, on se doit d’être impeccable, ce que dit aussi Castaneda. Heureusement, l’accompagnement de Mallendi est très rigoureux. Il y a plusieurs parts d’être en nous, du singe à l’étoile en passant par une conscience, et le maître, l’initiateur, joue sur tous ces plans. Il corrige le singe quand il le faut et calme l’exalté quand il se prend pour Dieu ou s’aveugle d’une illusion de pouvoir alors que le pouvoir n’existe que sur ordonnance préfectorale, si j’ose dire : il traverse, on ne l’a pas.

N. C. : En quoi l’initiation vous a-t-elle changé ?

V. R. : J’étais un indécrottable citadin, mon rapport avec la nature a été complètement transformé. Je m’efforce de rendre à la terre, d’entrer au contact du sol au moins quotidiennement. Je me suis rendu compte que les arbres sont tissés de conscience et communiquent, physiquement, en échangeant de petits grains de lumière. Mais ils ne “parlent” pas, c’est justement leur grand charme : nous sommes codés par le langage alors qu’avec eux, un autre corps est actif, on échange à travers de la lumière, ou par un biais qui est de l’ordre de l’onde, de l’invisible. À la fin de mon initiation, j’ai été assez violemment interpellé par la forêt du Gabon – je ne le raconterais peut-être pas dans un autre journal – qui m’a demandé, en gros, ce que nous, modernes, avions fait de la connaissance qu’elle nous avait transmise, via les pharaons. Nous pouvons battre notre coulpe, mais j’ai tendance à penser que nous avons aussi soigné cette terre, raconté aux arbres une histoire constante, brûlé avec le pétrole issu des dinosaures une vieille mémoire peut-être problématique, et qu’il est peut-être temps de passer au banquet, de se mettre tous à table, de nous féliciter mutuellement. C’est la vision du romancier, de l’incorrigible utopiste, mais aussi le signe d’un autre changement : l’initiation m’a permis d’aller vers la lumière. J’avais beaucoup de choses sombres en

moi, la foi mais pas la lumière. Maintenant, en respirant, en vivant, j’ai à certains moments des états lumineux que je ne connaissais pas auparavant. Processus neurobiologique, psychique, spirituel, ouverture physique ? Vouloir le compartimenter dans un registre, scientifique ou spirituel, c’est passer à côté du Bwiti, où tout est réuni. Les visions, les vies antérieures, les phases dures sont intéressantes, passionnantes, mais ne sont que des étapes. Petit à petit on comprend qu’elles peuvent servir à d’autres choses. Ceci, pour moi, a conduit à une ouverture du cœur. J’ai toujours été intéressé par mon prochain, mais la nouveauté, c’est que j’ai expérimenté le monde d’une autre façon, passant par des états épouvantables qui m’ont fait mieux comprendre la folie, la faiblesse. Je ne me vois plus vivre sur cette planète de la même manière, avec la nature comme avec mon prochain. L’expérience du Bwiti est similaire aux enseignements du Christ, mais pragmatique : comme nous sommes tous de la conscience, chacun une infinitésimale parcelle de cette conscience, nous sommes un, fondamentalement. Faire du mal à quelqu’un, c’est s’en faire à soi-même.

N. C. : Votre expression créative personnelle en est-elle changée ?

V. R. : Elle me permet d’être, mais il faut maintenant qu’elle s’inscrive dans une logique collective. Je prépare un livre sur le chamanisme avec le dessinateur Caro, un autre avec Mallendi sur l’iboga. Mon jeu en ligne, pour relier les artistes entre eux, commence à marcher. Je participerais volontiers à des ateliers d’écriture. Avec ma femme qui s’occupe d’enfants (c’est une bibliothécaire très particulière, qui fait des livres muraux à l’africaine pour apprendre la lecture), j’aimerais accueillir dans notre maison du sud-ouest des artistes de toutes disciplines, pour travailler avec des enfants sur des thèmes liés à la nature tout en faisant des passerelles avec d’autres pays. Quant au prochain roman, il témoignera de cette dimension du coeur que j’ai commencé à percevoir avec le Bwiti. Ce sera un peu la suite de Wendy, biographie d’une sainte. Wendy revient, mais elle ne tue plus, même par compassion. Bien sûr, il ne faudrait pas pécher par angélisme naïf, c’est par l’humour que les choses doivent passer. D’un autre côté, je n’ai jamais été “ méchant ”, je n’ai jamais découvert de haine en moi, alors que cela aurait pu arriver, on est tissé de tellement de choses diverses, dont des entités psychiques très étranges ! Peut-être suis-je seulement devenu un peu plus sage ?

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Mallendi, maître guérisseur bwitiste

bwiti_dancerMallendi est mon “gombo ”, le nom que j’ai reçu pendant mon initiation. J’ai vingt-quatre ans et je suis initié au Bwiti depuis l’âge de sept ans. On peut même dire que je suis né dans le Bwiti, puisque ma mère fut initiée pendant sa grossesse. Ma famille, mon grand-père notamment, était aussi dans le Bwiti. Je poursuis donc à la fois un itinéraire personnel et une tradition familiale. À l’âge de sept ans, j’ai commencé à partir en brousse pour acquérir la connaissance des plantes et de la forêt.

J’avais un accord avec ma mère : si j’obtenais de

bonnes notes à l’école, elle me laissait partir. J’ai ainsi passé beaucoup de temps à apprendre avec mon père initiateur, qui avait été initié très jeune. Plus tard j’ai initié plusieurs Occidentaux et, m’étant marié à une Française, j’ai décidé de venir en France afin de soigner les gens, mais également pour défendre le point de vue de la forêt primaire gabonaise, qui tend à disparaître. Nous projetons de créer un village thérapeutique dans le sud du Gabon, où l’on mêlerait savoir de la forêt, art traditionnel et médecine locale.

Notre savoir vient de la terre. C’est elle qui enseigne, comme elle a enseigné depuis des millénaires à nos ancêtres. En Occident, nous vivons en permanence coupés de la terre.

Nous portons des chaussettes, des chaussures, marchons sur une surface goudronnée alors que le simple fait de poser la plante de son pied nu sur le sol est déjà, en soi, thérapeutique. Un “ganga (guérisseur bwitiste) soigne avec la nature. Au Gabon, la nature, c’est la forêt : une immense pharmacie-bibliothèque dans laquelle on puise remèdes et savoir.

Il est évident que je vois la forêt, et la vie, d’une autre façon qu’une personne n’ayant pas été initiée. Un ganga n’analyse pas la maladie de la même manière qu’un médecin. En Afrique tout est mystique, c’est culturel. On ne meurt pas de manière “naturelle”, mais toujours pour d’autres raisons. C’est ce que le ganga va analyser, suivant la demande de la personne qui vient le voir. Guérir est la tâche et le devoir premier du ganga. Au Gabon, il joue aussi un rôle social, il fait figure de réunificateur, de médiateur lors de conflits. Il intervient sur les problèmes liés à la sorcellerie, pour purifier un lieu par exemple. Car il est le contraire du sorcier.

Le Bwiti constitue une science très profonde, certains disent que les Pharaons reçurent leur savoir des Pygmées. Toute possession d’une science peut conduire à une dérive. Guerre, pollution, bombe atomique existent aussi grâce à la science. Le Bwiti enseigne, comme une université. L’université de la forêt. Le cursus est très rigoureux, codifié, avec des échelons précis à respecter. On ne devient pas ganga en quinze jours. Cela demande une grande rigueur et beaucoup d’efforts personnels, les étapes sont nombreuses et un ganga ne peut devenir lui-même un initiateur qu’avec l’aval de ses professeurs. Les contrôles sont permanents, exactement comme l’ordre des médecins surveille le respect des règles.

Le ganga est capable de soigner beaucoup de maux. Par les plantes, bien sûr, et avec d’autres techniques acquises au cours des initiations. Le Bwiti joue sur tous les niveaux : physique, spirituel et psychologique, mais il s’agit surtout d’un travail sur l’esprit. C’est une psychanalyse… en plus poussé. Beaucoup de choses considérées comme relevant de la sorcellerie ne sont rien d’autre que des croyances. Et les croyances viennent de l’esprit. C’est parfois aussi simple que ça. Le Bwiti fonctionne de manière logique et rationnelle, même si notre conception de la rationalité diffère de celle d’un non-initié, peut-être du fait que notre perception du monde est plus complexe.

Propos recueillis par Vincent Ravalec

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L’Iboga

Gabon-Bwiti-Juillet2007-059

Un de ses alcaloïdes, l’ibogaïne, est utilisé dans des thérapies contre la toxicomanie et l’alcoolisme.
“Il y a un problème en Occident avec ce que vous appelez les psychotropes. Le côté ludique des psychotropes n’existe pas au Gabon. L’iboga est une plante sacrée. La considérer comme une drogue est pour nous un non-sens. J’ai vu que l’on peut trouver de l’iboga sur internet ou dans des coffee-shops. C’est absolument contraire à une pratique saine du Bwiti, sans compter que cela peut être dangereux. L’iboga est une plante à manipuler avec précaution, elle ne peut être administrée que par un ganga dûment habilité. Et même dans le Bwiti on ne prend pas de l’iboga tout le temps.

On en prend pendant l’initiation, parfois comme tonique pendant les veillées, mais ce n’est jamais une drogue.
“Il s’agit d’un alcaloïde indolique extrait de l’écorce de la racine du Tabernanthe iboga, arbuste de la famille botanique des Apocynacées, qui pousse dans les forêts équatoriales du Gabon, Guinée équatoriale, Congo et Cameroun. L’écorce de la racine est utilisée traditionnellement au Gabon, dans les cérémonies rituelles du Bwiti. Ce principe actif suscite, depuis une dizaine d’années, un intérêt croissant dans la communauté scientifique internationale, pour plusieurs raisons :

  • d’une part, grâce à sa capacité à interrompre la dépendance chimique à un certain nombre de substances toxicomanogènes : morphine, cocaïne, alcool, tabac ;
  • d’autre part, par son mécanisme d’action original : modulation de la réponse de nombreux neuromédiateurs cérébraux, action sur différents systèmes (dopaminergique, sérotoninergique, glutaminergique, gabaergique).

En effet, l’ibogaïne n’est pas une thérapeutique substitutive traditionnelle et ne s’apparente pas du point de vue pharmacologique aux médicaments usuellement utilisés pour traiter les toxicomanies aux opiacées ou à la cocaïne.”

Extrait de Propriétés pharmacologiques et indications thérapeutiques de l’Ibogaïne , Professeur Jean-Noël Gassita, Département de pharmacologie et de médecine traditionnelle de la Faculté de Médecine, Libreville, Gabon.