[Première partie] [Deuxième partie]

Dr. Aïcha Yatabary, Écrivaine

Nous nous retrouvâmes encore pour le dîner. Ayant eu l’occasion de me changer, je portais à présent un jean slim, un chemisier blanc, ample, et des escarpins rouges. Nous fîmes plus ample connaissance. Il avait pour prénom Armed. Je lui demandai d’où provenait ce prénom bizarre. Il me répondit que sa mère en était à l’origine. Une femme qui sortait des sentiers battus. Il me parla d’elle avec passion pendant une trentaine de minutes, les yeux brillants. On devinait tout l’amour qu’il lui vouait à l’expression de son visage à cet instant. Ensuite, il me demanda ce que je faisais dans la vie.
-Je suis écrivain, accessoirement.
-Accessoirement ?
-Accessoirement. Et vous ?
-Je suis analyste et conseiller politique.
Il m’informa qu’il se rendait régulièrement à Abidjan, pour son travail. Armed voulu aussi savoir, après le dessert, d’où je tirais ma source d’inspiration.
-Dans la nature, des balades en calèche dans les bois de Yamoussoukro surtout.
Il paru interloqué, mais comme il devait avoir l’habitude des originales, Armed sourit. Je me rendis alors compte que mon voisin à la couverture était d’une beauté déconcertante.

Nous ne terminâmes pas la soirée sans échanger nos contacts téléphoniques. Il m’avait paru de plus en plus sympathique, cultivé et intéressant au cours de la conversation.

Le lendemain matin, comme par hasard, nous nous retrouvâmes encore dans l’ascenseur, au moment du départ pour l’aéroport. Nous nous sourîmes bêtement. Je commençais à croire que cela n’était pas le fruit du hasard, tous ces tête-à-tête fortuits.

C’est ainsi que je connu Armed Haïdara, au cours de mon voyage à Paris pour la rencontre sur le développement durable, les femmes et l’accès à l’eau.

La rencontre quant à elle, se déroula comme prévu, et j’y pris part avec l’intérêt habituel que j’avais pour la question.
Puis ce fut le retour pour Abidjan. Moi qui vivais à Yamoussoukro, je m’y rendis en voiture une fois débarquée à l’aéroport international Félix Houphouët Boigny.

La vie reprit le cours de sa routine quotidienne. Aller sur le terrain, dans les localités de la région, afin de rencontrer les femmes rurales. Connaître leurs difficultés. Rédiger des Termes De Référence pour des projets répondant à leurs besoins. Faire du réseautage.

Je travaillais d’arrache-pied. Je ne trouvais plus le temps d’écrire. Or, c’était de cela que je vivais. Mon éditeur m’avait remis une somme conséquente à la signature de notre contrat, et j’attendais les mois suivants une « motivation » similaire. Mais mes pages étaient désespérément vides, blanches et vierges.

J’avais reçu une fois des nouvelles d’Armed. Il se disait heureux de m’avoir rencontrée, espérait me revoir à l’occasion de son prochain séjour en Côte d’Ivoire et m’avouait que j’envahissais ses pensées. Je me dis que je serais heureuse de le revoir aussi (et le lui dis), même si l’urgence pour moi, pour l’heure, était à l’écriture de ce fameux roman d’amour qui ne devait pas être à l’eau de rose non plus. Equilibre nuancé et subtil. Je ne pensais pas trop à lui.
Je décidai donc de me mettre sérieusement à l’écriture de mon livre. Une promenade en calèche s’imposait.
Rendez-vous fut prit, dans les bois de l’Hôtel Président, avec le gérant de la compagnie qui louait la calèche et le cheval blanc, une après-midi où le vent d’harmattan était plus sec que d’habitude.

La nature me vivifiait, m’envahissait, m’inspirait. Jusque là, tout se passait bien. Jusqu’au moment où un caïman sortit du lac devant lequel je passais, s’avançant vers moi. Je décidai qu’écrire un livre ne valait pas la peine d’être dévorée par un caïman de Yamoussoukro. Rebroussant chemin, je tombai sur le Labrador d’une habitation voisine, qui avait apparemment rongé sa laisse et s’était échappé de sa cage.

Le cheval blanc refusait d’avancer, le chien arrivait maintenant au galop en ma direction, aboyant avec toute sa hargne. Il en bavait. Je bondis hors de la calèche et pris la poudre d’escampette. J’avais une bonne longueur d’avance. Le talon de la chaussure que je portais au pied gauche se cassa. Je perdis l’escarpin du pied droit, dans la course. Je transpirais en plein harmattan. La broussaille qui était sauvage, déchira mon chemisier en dentelle bleue en lambeaux. Mais j’étais heureuse quand j’arrivai à l’entrée de l’hôtel Président, enfin. J’espérais que personne ne me verrait dans cette tenue ridicule, avec un talon cassé et sans chaussure au pied droit. Je mesurais aussi la chance que j’avais eu d’échapper au pire. Je ne savais pas que c’était pour tomber nez à nez sur un homme à la haute taille, imposant, au teint très clair. Je ne savais pas que c’était pour tomber nez à nez sur Armed, pénétrant dans l’hôtel Président.

Il avait toujours ce regard moqueur. Mais son sourire ne trahissait que de la bienveillance. Et peut-être aussi autre chose que je ne parvenais pas à déchiffrer. Pourquoi fallait-il toujours que je tombe sur lui quand j’étais au sommet du ridicule ?