Dr. Aïcha Yatabary, Écrivaine

[Première partie]

Il fallait croire que j’avais trop forcé sur les pâtisseries et les petits plaisirs sucrés. Quand je broie du noir, je croque des carrés de chocolat…par barres. Et cela a des répercussions indéniables sur mon postérieur qui dépassait à présent très largement les normes occidentales en vigueur.
Mon voisin, installé près du hublot, eut l’outrecuidance de sourire, et la courtoisie de se rattraper aussitôt, en m’offrant sa couverture qu’il déplia avec une rare adresse. Je m’assis donc et la posai négligemment sur mes cuisses, avec le flegme d’un lord anglais.
Parce que je ne vous ai pas dit que j’affichais un sang-froid en toutes circonstances que certains jugeaient anormal et des manières très affectées que d’autres trouvaient affligeantes pour une femme de mon âge. Ma mère elle-même se demandait quelle sorte d’Ovni était sa fille.

Je crois qu’un ouragan pourrait s’abattre sur une ville que je prendrai le temps de tenir la porte à la personne qui arrivait après moi dans un commerce.

Comme à cet instant.
Sereine (ou faisant semblant de l’être, ce qui était le comble du ridicule), je continuai à me comporter comme si de rien n’était en bouclant ma ceinture et en saluant mon voisin avec politesse. Un Africain au teint très clair dont on devinait la taille imposante, malgré sa station assise. Je poussai le ridicule jusqu’à demander à l’hôtesse un verre d’eau (sans doute pour me remettre d’aplomb).

Mon voisin avait toujours ce sourire moqueur aux lèvres. Il m’agaçait. De plus, il occupait la place près du hublot, celle que je préférais. Mon compagnon de voyage se plongea ensuite dans une volumineuse pile de documents qu’il lisait avec une concentration remarquable, m’ignorant littéralement. Ce devait être un intellectuel vivant dans ses bouquins.

Je me dis que je devrais me sortir sans grand dommage de cette situation. Je n’avais qu’à nouer à ma taille le morceau de tissu que m’avait prêté mon voisin, au moment de descendre de l’avion et le tour serait joué !

J’étais calme. Je me mis à mon tour à feuilleter les Termes De Référence de ma rencontre, devant se tenir le surlendemain matin. Vu que j’arrivais à Paris à 3 heures du matin, j’avais toute la latitude de me reposer et d’aller le lendemain après-midi en repérage du lieu où devait se tenir la rencontre. C’était un rituel pour moi que de me rendre la veille d’un événement en repérage sur les lieux afin d’éviter tout retard.
Je me déchaussai.
Une heure plus tard, l’avion était encore au sol; alors que cela faisait un bout de temps que l’équipage avait exigé que nous attachions nos ceintures de sécurité, et que le commandant de bord s’était excusé une quinzaine de minutes ensuite du retard au décollage, du à un incident technique, auquel il était en train de remédier avec ses collaborateurs. Hélas, on finit par nous annoncer que l’avion ne pourrait décoller, à cause de cet incident technique. Choisissant la sécurité de ses passagers et de son équipage, le commandant de bord s’excusait mais préférait nous faire débarquer de l’appareil. Il annonçait que la compagnie nous logerait à ses frais dans un hôtel non loin de l’aéroport. Et que nous ne repartirions que le lendemain matin pour Paris. Stupéfaction, colère, dans l’appareil; amusement pour certains.
Moi, bien entendu, j’affichais un calme qui paraissait insolent, vu la situation, comme à mon habitude, même si je jugeais cet incident regrettable. On aurait pu m’annoncer à la météo du matin qu’il ferait beau, un jour d’été, que j’aurais réagi avec la même sérénité. Heureusement, me disais-je, que l’événement pour lequel je me rendais à Paris n’était prévu que pour le surlendemain.
Qu’entendis-je dire alors mon charmant voisin?
– Ce n’est pas fait pour vous arranger ! Et il porta un regard moqueur à la couverture, me rappelant brusquement au burlesque de ma situation.
Je me souvins alors que je portais une jupe déchirée. A l’arrière… et que je voyageais dans un aéroport international, mon vol ayant été annulé. Je décidai donc de faire mine de chercher un objet dans mon sac, afin que tous les passagers de l’avion aient le temps de descendre avant moi. Afin que personne ne soit témoin du grotesque de ma tenue. Quoique, je n’ignorais pas le fait que nous nous retrouverions au sein de l’aéroport encore et probablement aussi dans la navette que nous emprunterions pour l’hôtel. Mon voisin avait eu la délicatesse de ne pas descendre avant moi, pour m’épargner la honte de devoir me lever afin de le laisser passer, vu qu’il était installé près du hublot.

Nous nous redirigeâmes donc tous deux vers l’aéroport, moi avec une couverture nouée à la taille, puis en direction de l’hôtel où il était prévu que nous serions logés.
Une fois au fameux hôtel- un cinq étoiles-tous les passagers du vol Air France, qui s’étaient finalement retrouvés dans le hall, étaient exténués. On nous fit annoncer qu’un dîner était offert, qu’il fallait redescendre au restaurant pour cela, après nous être installés dans nos chambres.