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(L’Éléphant Déchaîné, 25 – 27 juin 2013) – C’est assez spectaculaire. Voilà bientôt trois ans que le Rdr est au pouvoir et que, on ne sait trop pourquoi, il ferme les yeux sur des crimes majeurs qui ont été commis en Côte d’Ivoire sous le règne de Laurent Gbagbo.  

«LEléphant » qui est doté d’une mémoire qui n’est plus à présenter, revient aujourd’hui sur deux faits majeurs pour lesquels le Rdr devrait mettre tout en œuvre pour que la vérité éclate enfin et que les fautifs soient punis pour que le peuple de Côte d’Ivoire sache que l’impunité est terminée. Pour toujours.

LE CHARNIER DE YOPOUGON

Le 22 octobre 2000, une élection présidentielle oppose le général Guéi Robert (candidat du peuple) et l’intrépide Laurent Gbagbo (candidat du Fpi).

Quelques semaines plus tôt, Guéi Robert, via Tia Koné, alors président de la Cour Suprême, avait repoussé du revers de la main, les dossiers des candidats les plus sérieux, notamment celui d’Henri Konan Bédié, exilé à Paris et qui s’est quand même présenté, malgré l’investiture par le Pdci, d’un autre candidat ; et celui d’Alassane Ouattara. Sur la base de prétextes fallacieux.

D’ailleurs Tia Koné, 13 ans plus tard et submergé par le remord, a déclaré récemment avoir agi en dehors du droit. On espère que Ouattara et Bédié lui ont pardonné son égarement qui a coûté des centaines de vies dans ce pays !

L’élection oppose donc Laurent Gbagbo et Guéi Robert, le 22 octobre. Les deux hommes, avant cette date, se crachaient dans la bouche depuis le coup d’Etat intervenu en décembre 1999.

Alors qu’on attend que la commission électorale livre les résultats provisoires, les militaires se révoltent et mettent fin à l’opération. La commission est dissoute et Guéi Robert, dans les heures qui suivent, s’autoproclame président élu.

Deux jours durant, après un appel lancé par Laurent Gbagbo via les ondes de Rfi, des milliers d’Ivoiriens envahissent les rues et affrontent les mains nues, les hommes de Guéi Robert. Lesquels tirent sur la foule. Mais elle ne recule pas.

Finalement, devant la volatilité de la situation et surtout après le ralliement aux manifestants de plusieurs chefs militaires, Guéi Robert dépose les armes et se réfugie dans une ville, hors d’Abidjan.

Laurent Gbagbo devient alors le nouveau président de la République de Côte d’Ivoire.

Le 26 octobre, il est investi.

Sauf que dans la matinée de ce 26 octobre, des militants du Rdr, frustrés que leur champion n’ait pas été autorisé à se présenter à l’élection présidentielle et devant l’environnement de violence généralisée, descendent dans les rues, sur l’appel d’on ne sait qui, pour réclamer l’invalidation de l’élection et l’organisation d’une nouvelle.

Ils trouvent sur leur chemin, des militaires instruits de mettre fin au désordre. Le soir du 26 octobre, on découvre sur les antennes des chaines internationales, un charnier à Yopougon, contenant près de 60 corps dénudés.

Tout de suite, le Rdr crie au massacre de ses militants et appelle la communauté internationale au secours.

De son côté, Laurent Gbagbo crie au complot et à la non implication de ses forces. Il promet une enquête pour faire toute la lumière sur l’affaire. Dans la foulée, quelques militaires sont mis aux arrêts.

Sauf qu’au final, après procès, ces militaires seront tous relaxés pour insuffisance de preuves, l’enquête ayant été grossièrement bâclée. Colère du Rdr qui crie à la mascarade. Et introduction de la culture de l’impunité généralisée en Côte d’Ivoire.

On ne saura jamais, sous Gbagbo, ce qui s’est réellement passé ce 26 octobre 2000. Et malgré l’appel à la mise en place d’une commission d’enquête internationale lancé pendant des années par le Rdr, il ne se passera rien du tout. 13 ans plus tard, cette grande question demeure sans réponse : « Qui a tué les personnes retrouvées dans ce charnier à Yopougon » ?

LA MARCHE DES 24,25, 26 MARS 2004

Sur l’absence de vérité sur ce crime contre l’humanité commis en 2000 en Côte d’Ivoire, une rébellion armée, dirigée par saint Soro Guillaume, actuel président de l’Assemblée nationale de Côte d’Ivoire, éclate le 19 septembre 2002 et s’incruste dans la zone nord, centre et ouest du pays ainsi coupé en deux.

De cessez-le-feu en cessez-le-feu, plusieurs accords sont signés de 2003 à 2004 et notamment l’accord politique de Linas-Marcoussis, lequel fera de plusieurs ex-chefs rebelles, des ministres de la République.

Mais en 2004, Laurent Gbagbo est accusé par son opposition de ne pas appliquer intégralement les accords. Pour le contraindre à jouer franc-jeu et à arrêter de ruser avec tout le monde selon elle, une manifestation d’envergure est annoncée pour le 24 mars 2004.

Mais la manifestation, considérée comme une insurrection, est interdite par le régime Gbagbo. A la télévision nationale, les communiqués des chefs militaires se succèdent. Le Plateau, lieu où se trouve le palais présidentiel, est déclaré « zone rouge ».

Le 24 mars, la marche n’aura pas lieu. Pourtant, on dénombrera plusieurs dizaines de mort, à la mi-journée. Retranché à Bouaké, saint Soro Guillaume, sur les ondes de Rfi, menace de descendre sur Abidjan avec ses troupes « pour protéger les populations qui se font massacrer par le criminel Gbagbo ».

Les tueries se poursuivront jusqu’au 26 mars. Selon l’opposition (Pdci, Rdr, Udpci et autres), ce sont plus de 500 de leurs militants qui ont été massacrés. De son côté, le régime de Gbagbo clame son innocence mais félicite les forces de l’ordre pour le travail accompli.

Il n’en faudra pas plus pour l’opposition réclame une commission d’enquête internationale. Cette fois-ci, elle sera entendue. L’Onu dépêche en Côte d’Ivoire une équipe d’experts.

Quelques semaines plus tard, elle rend publics les résultats de son enquête. 120 personnes ont été tuées, selon elle, la plupart, par balles.

L’opposition crie victoire et réclame, rien de moins, la traduction de Laurent Gbagbo devant la justice internationale. Un an plus tôt, le 21 janvier 2003 exactement, Blaise Compaoré, le président du Burkina Faso, avait déclaré dans les colonnes de « Le Parisien », journal français, que « « Gbagbo finira comme Milosevic… », C’est-à-dire au Tribunal Pénal International.

De son côté, le régime Gbagbo rejette les conclusions de l’enquête de l’Onu et s’attaque à la moralité des enquêteurs. Accusés pour la plupart, d’avoir été achetés par Ouattara.

Ici également, il n’y aura aucune suite judiciaire. Ni du côté de l’Onu, ni du côté du gouvernement ivoirien d’alors. Comme d’habitude, les auteurs continueront à prospérer dans un pays où l’impunité devenait un sport national. La suite, on la connait. D’arrangements politiques en arrangements politiques sur le sang des victimes, tout le monde, opposition, pouvoir et chefs rebelles se retrouveront dans le même gouvernement et riront ensemble pendant 6 ans, jusqu’à l’élection présidentielle d’octobre 2010. Laquelle s’est transformée plus tard en une meurtrière crise postélectorale. Bilan ? Trois mille morts officiellement et on en oublie.

Le nouveau président, issu des rangs du Rdr, dans les jours qui précèdent son investiture le 21 mai 2011, proclame sur plusieurs chaînes de télévisions et de radios internationales, qu’il n’y aura plus d’impunité en Côte d’Ivoire. Et que tous ceux qui, de quelque bord qu’ils se trouvent, ont commis des crimes dans ce pays, seront traduits devant la justice.

Pour démontrer qu’il ne plaisante pas, à la grande satisfaction des organisations internationales de défense des droits humains, il fait expédier Laurent Gbagbo à la Cpi. Juste un nom différent et la prophétie de Blaise Compaoré se serait réalisée.

Depuis, en dehors des arrestations de personnes présumées responsables de crimes divers et qui se retrouvent uniquement dans le camp de Gbagbo, personne dans le camp du pouvoir n’a été inquiété. Au grand désarroi des mêmes organisations internationales de défense des droits humains. Lesquelles, de plus en plus, produisent d’accablants rapports sur la situation des droits de l’homme en Côte d’Ivoire, sous le règne d’Alassane Ouattara, encore président du Rdr.

Malgré la naissance du concept de « justice des vainqueurs » qui est collé à son régime, rien ne bouge. La justice équitable promise ne vient pas. La vérité sur le charnier de Yopougon, sur le massacre des militants de l’opposition, ne vient pas.

Aucun cadre du Rdr, depuis l’accession au pouvoir, ne donne de la voie pour réclamer que la lumière soit faite sur ces crimes qui assombrissent l’avènement de la démocratie en Côte d’Ivoire. Personne ne réclame une enquête pour que les parents de toutes ces personnes massacrées obtiennent un jour, justice. Le président Alassane Ouattara a mis en place une Commission nationale d’enquête pour faire la lumière sur les tueries commises pendant la crise postélectorale. Cette commission a rendu ses conclusions depuis octobre 2012. Les deux camps, selon elle, ont tué. Près de 13 morts sont imputées aux forces pro-Gbagbo. Quand, environ 700, sont imputées aux Frci et leurs assistants, les dozos.

Les résultats de l’enquête ont été transmis à la Cellule spéciale d’enquête créée dans la foulée pour entendre les victimes. Cette Cellule a entendu plusieurs victimes qui se retrouvent dans tous les camps. Mais en dehors d’arrestations opérées dans les rangs des pro-Gbagbo, personne, dans le camp Ouattara, n’a été encore inquiété. Et on apprend, grâce à Rfi, que la plupart des responsables de cette Cellule spéciale d’enquête, on ne sait trop pourquoi, ont été mutés hors d’Abidjan. Sans doute pour qu’ils soient plus efficaces.

On apprend aussi que, dans un courrier confidentiel laissé au ministre de la Justice, l’ancien représentant du secrétaire général de l’Onu, Bert Koenders, a dénoncé les agissements du pouvoir relativement aux tueries perpétrées dans le camp des réfugiés à Nahibly. Bert Koenders, dans ce courrier, aurait dénoncé l’absence d’arrestation des auteurs de ces tueries et cependant clairement identifiés et dont l’un, aurait été promu lieutenant, avant d’être affecté dans le CCDO.

Alors messieurs du Rdr, c’est pour quand, la lumière sur le charnier de Yopougon et sur les massacres du 24 mars 2004 ?

ALEX KASSY