« La folie, c’est se comporter de la même manière et s’attendre à un résultat différent” » A. Einstein

Par Aly Pierre SOUMAREY

1 – Satisfecit au Discours de Mme Simone Éhivet GBAGBO

Dans l’un de mes derniers articles, je m’inquiétais à juste raison du discours de certains leaders du FPI et de l’attitude de ses militants et partisans, au regard de la dynamique de réconciliation qui avait récemment connu une forte impulsion, avec la mesure d’amnistie prononcée par le Président de la République. Les juristes regrettent néanmoins que cette dernière n’ait pas obéi aux règles de droit (champ de compétence, demande préalable, ratification). L’attachement à l’état de droit n’est ni évolutif, ni sélectif, ni circonstanciel. C’est une conviction invariable guidée par un principe constant. J’attendais et espérais de Mme Gbagbo et du FPI, canal historique, une correction de trajectoire. Celle-ci est effectivement venue, à la fois de la haute direction (Sangaré), et de la part de ses responsables les plus véhéments dont Mme Odette Lorougnon et particulièrement de Mme Simone Gbagbo dont la voix porte une résonnance très spéciale. De sa terre natale de Moossou, cette dernière dans un discours émouvant, structuré et mesuré, s’est inclinée de manière indistincte devant la mémoire des victimes de la tragédie de la crise post-électorale, a restitué la vérité sur ses conditions de détention, apprécié à leur juste valeur les différentes dimensions de la mesure de grâce dont elle a bénéficié, appelé au pardon et à la réconciliation, évoqué le sort de son époux, le Président Laurent Gbagbo. Elle a su indiquer en cette circonstance, une orientation socio-politique pour l’avenir en parlant même de directive. Puisse-t-elle être entendue par ses partisans et la société politique. Je m’en réjouis personnellement, l’en félicite et lui souhaite santé, paix, longévité dans « sa seconde vie » et un agréable retour parmi nous et les siens. Cependant, il est remarquable, que l’assemblage de tous ces fragments de discours (Direction FPI, canal historique, Odette Lorougnon, Simone Gbagbo) allant dans le même sens, en total décalage avec le discours pernicieux de M. Lida Kouassi, à ce jour, toujours pas désavoué par son parti, démontre à l’évidence, une construction, dont la fonction pare-feu n’échappe pas à l’observation. Néanmoins, au-delà d’une prise de conscience sociale et politique, notamment de son environnement (évolution des mentalités, pression de l’opinion publique, perception de son image à l’international, et évaluation des risques pour son futur), le FPI canal-historique semble exprimer une volonté d’apaisement ou de rectification, qu’il convient d’accueillir avec sympathie et d’encourager. L’attention doit être mobilisée désormais, sur la cohérence entre le discours officiel et l’action effective, d’autant plus que l’intelligence sociale de ce discours officiel laisse apparaître la persistance de 3 registres implicites : 1- la victimisation et la négation de la responsabilité du FPI dans la crise post-électorale. 2 – La négation de la réalité délictuelle de certains détenus et l’ignorance des droits des victimes au profit de la symbolique politique de la réconciliation. 3- L’absence d’une identité claire et d’un projet de société viable. La nécessité de cette vigilance est justifiée par la maitrise de la technique de distribution de rôles, dont elle est coutumière. Or, sans prendre une nette distance avec les valeurs qui contredisent la cohésion sociale, menacent les fondations idéologiques de la République et excitent les plus basses passions de l’être humain (colère, haine, peur, indignation), la position, la vision et la perception du FPI resteront brouillées et suspectes. Car, il faut rappeler, que les passions chez les plus faibles (psychologiquement moralement et intellectuellement), terrain de prédilection, sont plus fortes en eux, que la force des idées, et même que de l’intelligence de leurs propres intérêts. Elles sont particulièrement destructrices pour le vivre ensemble, la paix publique et la démocratie, mais constituent d’efficaces agents électoraux. C’est l’un des aspects caractéristiques du populisme adopté par le FPI, mais aussi par d’autres formations politiques, dont le RDR pour la conquête du pouvoir et le PDCI de l’exclusion et de l’ivoirité de 1995, pour la conservation du pouvoir. Agis par des réflexes défensifs et des psychoses de peur, le recours au populisme s’est introduit dans le discours et la pratique politique en Côte d’Ivoire. Cela demande de repenser et de discuter avec objectivité et probité intellectuelle, des conditions de vie et de survie des formations politiques en Côte d’Ivoire, dans le contexte naissant de sa révolution culturelle. Il faut expliquer les enjeux démocratiques du pouvoir (vision, projet de société, programme, finalité), clarifier les identités idéologiques, dire la vérité plutôt que de déformer l’information et falsifier constamment les faits objectifs, pire, produire des faux et utiliser des stéréotypes dévalorisants et accusateurs, et emprunter des raccourcis dangereux dans la formulation de la pensée politique. Dans le mouvement naissant de la nouvelle Côte d’Ivoire, il s’agira davantage de recourir à la raison critique plutôt qu’aux passions, d’appeler à l’intérêt général et au bien commun plutôt qu’aux bons sentiments et aux intérêts particuliers., qui se caractérisent toujours à terme par le clanisme, la corruption, voire la répression contre la contestation de cet état de fait. Enfin, il s’agira de refuser la démagogie, où des politiques font semblant de défendre des idéaux et d’être sensibles aux souffrances des populations qui sont au bas de l’échelle de la société, mais qui en réalité, s’en servent pour le développement de leur propre carrière politique et la promotion de leurs intérêts, au détriment des idéaux qu’ils affichent et des personnes qu’ils prétendent défendre. Ainsi, on pu voir que tout le monde politique s’occupe et se préoccupe de la réconciliation verticale, en fait, pour réaliser sa propre promotion politique ou pour servir des ambitions électoralistes et des intérêts partisans, au détriment d’une véritable réconciliation participative et horizontale, qui se noue l’échelon des masses populaires.

2 – Le débat du FPI sur sa véritable identité et la redéfinition de sa ligne politique.

Dans un climat d’apaisement où fermentent tant de donnes nouvelles qui coexistent avec les réminiscences du passé, conduit, entre autres choses, à l’apparition d’une tendance novatrice, ce qui nous est offert à l’observation. Pour ne pas s’essouffler, celle-ci gagnerait à se prolonger par une nette volonté, de se remettre en question, de questionner les modèles et les finalités de l’action poursuivie. En effet, le FPI a besoin de résoudre sa fracture interne et de se réconcilier avec son âme, son essence idéologique originelle. J’ai déjà introduit les prémices de ce débat avec l’article ” le silence gênant qui entoure la parole et la pensée du Président Laurent Gbagbo », dans lequel j’évoquais une déviation et une trahison par rapport à des idéaux, mais aussi à la personne de ce dernier, devenu un fonds de commerce politique pour les opportunistes et aventuriers, mais aussi un alibi pour tous les comportements déviants de ses militants de la 25ème heure et de ses partisans dé-substantialisés et robotisés. Il lui est nécessaire de faire son aggiornamento pour s’adapter aux exigences du mouvement naissant de la nouvelle Côte d’Ivoire (état d’esprit), et au progrès de l’ère « Alassaniste » ayant permis un changement de pallier avec un effet de levier, malgré les insuffisances et les travers de sa gouvernance. Ce fut aussi le cas de l’ère « Houphouetiste » que nous regrettons tous aujourd’hui, après l’avoir éreinté, vilipendé et critiqué. Un bilan d’étape s’impose à lui, pour redéfinir sa ligne directrice. Il doit informer et former ses militants qui, bien des fois et assez souvent, font et disent n’importe quoi, pour lui permettre de sortir de la duplicité qui entache son discours et d’une image négative qui la dessert (extrémiste, fermée, violente et infréquentable).

En sous-traitant la conquête et l’exercice du pouvoir avec l’école de la FESCI, il a laissé se développer insidieusement en son sein des éléments de langage, des types de comportements, des modèles sociaux et des idéologies anti-démocratiques et anti-panafricanistes (ethno-nationalisme, xénophobie, populisme, démagogie, intolérance, violence, exclusion, et attitudes confiscatoires dans le rapport à la vérité et au pouvoir). Le défi consiste pour lui à engager une profonde reforme des mentalités au sein de sa formation politique (mauvaise foi, intoxication, malhonnêteté intellectuelle, rapport émotionnel à la politique) en vue d’y instaurer désormais une culture d’union, de paix, de discipline, de travail et de progrès, par la pédagogie de son nouveau discours politique (constance, uniformité, cohérence, invariabilité, durée) pour qu’il serve de référentiel à ses militants et partisans, avec l’organisation d’universités militantes pour les former à cette nouvelle vision, nouvelle ligne politique, et leur inculquer une nouvelle culture démocratique (par exemple, enjeux et défis d’une démocratie apaisée, ou la différence source d’enrichissement pour une Nation, etc.). Originellement le FPI a été fondé sur les bases idéologiques de la social-démocratie qu’il voulait porter en Côte d’Ivoire. Celle-ci possède un lien dialectique avec la démocratie libérale portée par le PDCI et le RDR. La première portant l’idée d’égalité et de justice sociale, et la seconde portant l’idée de liberté et d’efficacité économique. L’une et l’autre ne s’opposent pas nécessairement, mais sont plutôt complémentaires dans une République démocratique, car elles ne peuvent pas porter unitairement ses 4 dimensions à la fois, dans un même projet de société qui soit cohérent et viable. Les mutations successives intervenues dans la trajectoire de ces identités plurielles de la République, sous la pression de l’histoire et de l’environnement, ont conduit la première au social-nationalisme et la seconde a un libéralisme inféodé à l’impérialisme. Dès lors, est née une crise identitaire à la faveur de laquelle a été révélé un écartement idéologique par agrégation, une différence d’intérêts sociaux assise sur des conflits latents et l’exacerbation d’intérêts particuliers de la part des politiques participant au jeu constitutionnel du pouvoir. L’éclatement de l’identité républicaine à conduit à des processus de différenciation catégorielle, non plus sur la ligne originelle des idéologies de départ, mais sur des imaginaires populaires voire populistes, et des fondations idéologiques basés sur une historicité appartenant à la post-colonialité, qui s’avérèrent destructrices pour la cohésion sociale et la République. Une définition de l’identité ivoirienne à partir de notions coloniales, qui nient notre réalité socio-culturelle, et des catégories régressives de la pensée qui nie la genèse, l’historiographie, les métamorphoses et la tectonique de la construction de la Nation Ivoirienne.

On observera au passage, que seuls le PIT du Pr. WODIÉ et l’USD du Pr. ZADI Zaourou Bernard, portent partiellement avec des idées de gauche (travailliste et socialistes), les idées incarnées par la devise qui fonde notre République (union, discipline, travail). Preuve supplémentaire que le FPI n’est pas nationaliste dans sa conception originelle, mais plutôt internationaliste, comme le confirme d’ailleurs son adhésion au combat et aux idéaux de l’Internationale socialiste, issue de l’Internationale ouvrière socialiste fondée à l’initiative de Friedrich Engels, théoricien du marxisme avec Karl Marx. Cet engagement politique du FPI originel pour la défense des masses laborieuses du monde entier, est contraire aux idées d’autarcie et de replis sur soi ou de rejet de l’occident et des autres peuples africains. On observera également que cet engagement a un caractère syndical au départ, qui expliquera plus tard, ses collusions et ses compromissions avec le monde syndical, notamment les syndicats d’enseignants et la FESCI son instrument de conquête du pouvoir, dont il n’a pas su se débarrasser après, pour se transformer en un véritable parti de gouvernement. Il en eu encore besoin pour asseoir son pouvoir et le défendre, en acceptant et en sous-traitant ses propres reniements et déviations. Le Président Laurent Gbagbo disait à juste titre, que l’histoire sauvera un jour le Droit. C’est chose faite désormais, du moins au plan constitutionnel. J’ajouterais et la politique. Ce n’est pas encore fait. C’est le travail du FPI pour revenir aux fondamentaux, et des intellectuels pour produire une nouvelle vision en accord avec les aspirations et les exigences de la révolution culturelle qui s’opère en Côte d’Ivoire sous l’effet conjugué de la globalisation et l’explosion des NTIC. Ce sont des données scientifiques qui doivent être analysées et conduites dans l’action, sous l’autorité de la rationalité et de la raison critique. Il faut sortir du procès de l’histoire pour avancer, malgré les meurtrissures collectives du passé, sinon l’amnistie perd tout son sens, et il eut fallu opter pour une Justice professionnelle et punitive en vue de mener ce procès à bonne fin. C’est un choix qui exige une cohérence, car c’est un discours inverse qu’il nous est donné d’entendre. L’exigence aurait pu être simplement l’équilibre et l’exhaustivité, et non la libération. On observera que la variation du FPI sur les principes est manifeste, autant il exige avec raison l’application de l’Arrêt de la Cour Africaine de Justice des Droits de l’homme et des peuples, au motif de l’adhésion de la Côte d’Ivoire à la Charte de celle-ci, autant il est silencieux, pour masquer son opposition, à l’application du mandat de la CPI visant Mme Simone GBAGBO, alors que la Côte d’Ivoire a ratifié également le traité de Rome de 1998, portant création de cette dernière. L’obligation qui pèse sur elle est de même nature. Il en de même de sa position juridique, relativement à la suprématie de la norme externe sur la norme interne (élection de 2010), alors que c’est ce même principe qui a prévalu en 2005, pour permettre de proroger le mandat du Président Laurent Gbagbo, contrairement aux dispositions de la Constitution Ivoirienne qui prévoit un mandat de 5 ans, et une élection au suffrage universel. Cette inconstance et ces incohérences à la lisibilité de sa position.

Conclusion

Le débat identitaire se pose sur la base des fondamentaux originaux. Celui-ci doit permettre de clarifier les identités idéologiques de la République et des acteurs de celle-ci (partis et politiques), et en combattant le populisme sous toutes ses formes négatives, notamment celle consistant en la manipulation et le surdimensionnement de certaines réalités, pour créer et diffuser la croyance, le sentiment et la perception d’un envahissement et d’une expropriation de la Côte d’Ivoire de la part des étrangers africains, quand ce n’est pas de la part des Ivoiriens de seconde classe, à la nationalité diluée, par opposition à la pureté ethnique et l’authenticité nationale. Par ailleurs, en démocratie et dans une société responsable, chacun s’exprime en son nom propre et non au nom du peuple, au plus, l’on peut le faire, au nom de son syndicat ou de son parti politique si l’on en a qualité et mandat. Seul le Parlement le peut collectivement, en tant qu’institution représentant le peuple et exprimant la volonté populaire. Aucun parlementaire représentant la nation toute entière dans sa fonction, ne peut prétendre le faire à titre individuel, sans succomber au populisme, à fortiori de simples responsables politiques ou d’anonymes militants, dépourvus de tout mandat, qui se permettent de parler au nom et pour le compte du peuple ivoirien. La confrontation démocratique ne doit plus opposer exclusivement des systèmes politique, mais aussi les systèmes de valeurs qui les sous-tendent, en restaurant dans la compétition politique la primauté des valeurs qui fondent la CI , dont la fraternité et l’ouverture à l’autre, son concitoyen, son frère. Cette dimension culturelle permettra de renouer la nécessaire complémentarité des valeurs qui peuvent faire vivre la République sans conflit, à travers les 4 dimensions démocratiques que nous avons évoqué, et qu’incarnent ou doivent incarner nos différents partis politiques à savoir: l’égalité (social-démocratie), la liberté (libéral-démocratie) le progrès social (démocratie-progressiste), le travail (démocratie-travailliste), l’union et la fraternité dans la discipline. Nous devons nous réapproprier ces dernières valeurs qui traduisent notre spécificité et l’africanité de l’anté-colonialité des pères fondateurs de la République. La réconciliation passe d’abord et aussi, par la réconciliation de la Côte d’Ivoire avec elle-même (valeurs, idéaux, identité et projet). C’est le débat auquel nous sommes appelé pour l’avenir. Les démocrates Ivoiriens, doivent apprendre des enseignements douloureux de notre histoire, qu’ils auraient tort d’oublier. Le peuple est souverain, c’est le principe même de la démocratie, mais sa voix est l’urne et non le discours d’un parti politique. Par ailleurs, rien ne garantit que le peuple ait toujours raison, ni qu’il ne puisse opter pour le pire (facilité, séduction, populisme). Il arrive que des peuples s’égarent. L’histoire en donne de très nombreux et tragiques exemples. Par exemple, l’Allemagne Nazie et la Yougoslavie récemment en Europe ou encore plus près de nous, le Rwanda, le Libéria, la sera Léone, la Somalie, le Congo, la Centrafrique, etc., en Afrique. Des élections à peu près démocratiques et dépourvues de véritables débats sur l’essentiel (l’intérêt général et le bien commun) aboutissent le plus souvent à la mort de la démocratie, à une gestion approximative de la chose publique au mieux, ou calamiteuse au pire, à l’aventure politique assise que sur de l’ambition, et la régression faute d’un leadership fort et éclairé. Nous avons en mémoire la succession de celui du Président Félix Houphouet-Boigny, et les difficultés qui ont suivies.

SOUMAREY Pierre Aly