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“Nous sommes capables de défier les lois de la pesanteur, mais nous sommes souvent submergés par la paperasse.”(Werner von Braun)

L’économie ivoirienne va mieux rassure le gouvernement. Ce dernier a un seul argument : la croissance est de retour. Cependant cette croissance n’est pas suivie d’une véritable reprise économique. Le taux de croissance économique tant vanté  contraste avec une absence quasi totale de créations d’emplois. La vie chère et la persistance du chômage ont fini par convaincre le régime Ouattara que la reprise économique est rampante et molle en Côte d’Ivoire. Les ivoiriens voient des  pelleteuses et bulldozers qui s’agitent jour et nuit sur les bords de la lagune d’Abidjan mais pas de nouvelles entreprises. A travers cette présente réflexion, notre ambition est claire : présenter les obstacles à la reprise économique et les solutions.

  1. 1.      Une économie unijambiste

L’économie domestique est composée de deux secteurs importants : le secteur privé et le secteur public. Ces deux secteurs doivent fonctionner correctement pour un développement équilibré et harmonieux. Les projets d’investissements publics se multiplient deux ans après la crise. Le gigantesque chantier du troisième pont avance raisonnablement. L’ouvrage construit par Bouygues coûtera environ 200 millions d’euros. La Côte d’Ivoire serait en chantier avec des travaux dans plusieurs domaines. Mais dans cette frénésie économique, le secteur privé est oublié à telle enseigne que l’économie ivoirienne est devenue unijambiste, fonctionnant uniquement avec un secteur public très omniprésent. C’est la première raison de la reprise économique molle en Côte d’Ivoire. Le chômage ne baissera pas aussi longtemps qu’on comptera uniquement sur l’Etat-employeur. Or, l’Etat-employeur ne recrute plus que de manière parcimonieuse en ciblant l’amélioration de l’encadrement. Partout, il s’est mis au régime sec après avoir pris conscience du boulet que représente le poids de la masse salariale qui absorbe une part importante de la richesse. Un secteur public qui prend de l’embonpoint ne fait que figer la croissance.

  1. 2.      Un secteur privé atrophié et peu encouragé

Sous le régime Ouattara, le secteur privé est malade. L’environnement n’est pas favorable à la création d’entreprises. La progression du produit intérieur brut sous le régime Ouattara provient à la fois des dépenses publiques financées par l’aide étrangère, de la hausse des exportations et de la bonne résistance des entreprises. Une part importante de cette croissance provient de la reconstitution des stocks. Si les hôtels sont remplis d’hommes d’affaires et si les missions de prospection se multiplient, peu osent investir. L’environnement économique des affaires n’est pas véritablement favorable aux investissements. Si après la crise post-électorale, il y a une relative accalmie, force est de reconnaître que le secteur privé est de plus en plus confronté à la hausse des coûts de facteurs qui grèvent les charges des entreprises. La lourdeur administrative et les tracasseries multiformes retardent l’épanouissement du secteur privé. Or c’est ce secteur qui est le gros pourvoyeur d’emplois. Le Bureau International du Travail (BIT) indiquait dans un récent rapport que le taux de chômage en Côte d’Ivoire avoisinerait les 7 millions de sans-emplois. Toujours selon le BIT, les jeunes, dont l’âge varie entre 30 et 35 ans, fondent la majorité des chômeurs en Côte d’Ivoire. Pourtant  le chômage est l’un des principaux dangers menaçant la reprise économique car le chômage réduit fortement la demande. Pendant ce temps, le secteur privé est à la traîne. Le rapport doing business 2013 a classé la Côte d’Ivoire 177ème sur 185 pays.  Avec ce rang, la Côte d’Ivoire demeure un environnement hostile aux affaires. Ce mauvais classement est dû à la difficulté de faire des affaires en Côte d’Ivoire selon les indicateurs suivants : création d’entreprise, octroi de permis de construire, raccordement à l’électricité, transfert de propriété, obtention des prêts, protection des investisseurs, paiement des impôts, commerce transfrontalier, exécution des contrats, règlement de l’insolvabilité. Les conditions d’une reprise des investissements des entreprises ne sont pas là car le gouvernement n’arrive pas à sécuriser la composante investissement privé. C’est la deuxième raison de la  laborieuse relance de l’économie ivoirienne.

  1. 3.      La corruption érigée en religion

Le président Ouattara avait promis combattre la corruption une fois au pouvoir. Mais son régime a érigé la corruption en religion. Le clan Ouattara est subitement devenu des affairistes une fois au pouvoir. Les ministres se partagent les marchés et construisent des monopoles dans tous les domaines de l’économie. Sous Ouattara, les acteurs ont changé, mais la bonne gouvernance n’a pas prospéré. Le pays reste englué dans des logiques clientélistes et affairistes qui dissuadent les investisseurs et pénalisent une véritable relance de l’économie. Le gouvernement ne fait rien pour la bonne gouvernance. Au premier trimestre de l’année 2013, près de 60 % du montant des marchés publics ont ainsi été passés de gré à gré, sans appel d’offres. Cette façon de gouverner reste un mauvais signal lancé aux investisseurs. L’ancien directeur général adjoint du Fonds monétaire international devenu président est incapable d’imposer la bonne gouvernance et de lutter contre la corruption.  La prodigalité au sommet de l’Etat a fini par dépeindre sur l’économie toute entière. C’est la troisième raison de la rampante relance économique.

  1. 4.      L’insécurité galopante

La sécurité est indispensable pour remettre la Côte d’Ivoire sur les rails de l’ouverture, de la modernisation et du développement, on ne peut rien construire dans l’insécurité. Le régime Ouattara est incapable de maitriser ses amis d’hier qui sévissent aujourd’hui sur les routes ivoiriennes.  Le banditisme des coupeurs de route génère une insécurité importante en entravant la liberté de circulation des biens et des personnes, essentielle pour la survie économique et sociale des populations civiles qui se retrouvent impuissantes et comme prises en otage dans tout le pays. Les coupeurs de route s’attaquent essentiellement aux voitures et aux taxis pour piller les passagers, et aux camions de transport pour s’approprier leurs marchandises. A Abidjan et dans les grandes villes du pays, les ex-combattants non insérés tuent, volent et rançonnent pour survivre. Selon une étude de la chambre de commerce ivoirienne, le racket sur les routes – souvent le fait d’ex-combattants non réinsérés et des forces de sécurité – constitue 60 % du coût du transport des marchandises. Et se répercute sur les prix des produits de base. Les amis d’hier du président Ouattara sont les ennemis de l’économie ivoirienne. Ce n’est pas dans un Etat où les kalachnikovs se vendent au marché que les investisseurs se bousculeront. Le capital a besoin de sécurité.  C’est la quatrième raison de la faible reprise économique.

  1. 5.      Quelques pistes pour la reprise économique

Les ivoiriens souffrent depuis des années et le régime actuel prolonge la durée de cette souffrance. Une croissance soutenable et une reprise forte pourraient soulager les ivoiriens. Les solutions à apporter pour doper la reprise existent.

En premier lieu, il faudra rassurer sur la stabilité du pays. Les investisseurs s’inquiètent de la stabilité du pays au regard des tensions persistantes dans tous les domaines. Les ivoiriens doivent pouvoir circuler librement dans tout le pays en toute sécurité. Le régime Ouattara devra régler la question du désarmement de ses amis ex-combattants car tous les coupeurs de route qui ont été pris sont à 80% des ex-combattants ou des jeunes qui ont été associés aux combats lors de la crise post-électorale de 2010-2011 et de la rébellion armée déclenchée en septembre 2002.

En deuxième lieu, la réconciliation reste un véritable catalyseur de la reprise économique. Les efforts de décrispation constatés ces derniers temps vont dans le bon sens. Ils doivent être complétés par  d’autres actions allant dans le sens d’une justice équitable.

En troisième lieu, il faudra également donner au secteur bancaire le rôle qui lui revient : celui de financer la production. Le secteur financier et bancaire ivoirien reste l’un des talons d’Achille de la reprise économique car il y a beaucoup de demandes de financement qui ne sont pas satisfaites. Il ne suffit pas d’avoir des centaines de projets, il faut qu’ils soient financés pour profiter à la reprise économique. Le régime Ouattara doit  relancer la confiance dans l’économie et le système financier.

En quatrième lieu, il faudra améliorer l’environnement des affaires et faciliter la création d’entreprises. La protection des monopoles et l’insécurité judiciaire découragent l’investissement sous toutes ses formes.

Conclusion

Le régime Ouattara fait chaque jour, la publicité de sa croissance appauvrissante. Selon lui, après une hausse du PIB de 9,8 % en 2012, les projections tablent sur une expansion de l’économie de 9 % cette année, et 10 % dès 2014. Pourtant les ivoiriens ne voient rien en termes de créations d’emplois. La croissance du régime Ouattara est donc stérile. Nous avons montré dans les lignes ci-dessus, les obstacles à la reprise économique. Ils sont nombreux mais nous avons expressément présenté quatre pour éviter de lasser le lecteur. La seule leçon à retenir reste l’incapacité du régime actuel à sortir la Côte d’Ivoire de l’ornière dans laquelle elle se trouve.

Par Dr. Prao Yao Séraphin, délégué national en charge des questions financières et monétaires à LIDER