FEMMES-VIOLENCE

Manifestation à Toulouse, en 2008. (Archive)
AFP/Remy Gabalda

(http://www.pambazuka.org) – En Djibouti, les viols ne résultent pas de bavures, mais d’une décision politique des plus hautes autorités de l’Etat. Ces viols systématiques visent à la destruction de l’identité communautaire. Les victimes sont violées par plusieurs soldats pour qu’elles soient marquées à vie, brisées, humiliées.

La République de Djibouti, minuscule pays de la Corne d’Afrique de 23 000 km2, occupe une position géopolitique stratégique avec une façade maritime ouverte sur la Mer Rouge et l’Océan Indien en face du Yémen. Le pays compte 800 000 habitants, des Afars dans le Nord et le Sud-Ouest – districts de Tadjourah, d Obock et de Dikhil – des Somalis concentrés dans le Sud et une minorité yéménite.

Indépendante en 1977, la République de Djibouti vit sous une dictature. Le régime s’est illustré par une politique de marginalisation à l’encontre des Afars et par une répression politique et syndicale féroce. Il fait face depuis 1991 à un mouvement armé luttant pour l’instauration de la démocratie, le Front pour la restauration de l’unité et la démocratie (Frud) et à une coalition de l’opposition, Union pour le salut national (Usn) qui regroupe plusieurs partis politiques depuis janvier 2013.

Depuis 1999, elle est dirigée d’une main de fer par le Président Ismaël Omar Guelleh, qui a succédé à son oncle Hassan Gouled Aptidon. En avril 2011, il a brigué un 3ème mandat après modification de la Constitution supprimant la limitation des mandats présidentiels.

Dans ce pays, toute contestation politique et sociale est criminalisée et proscrite de fait.

Les femmes djiboutiennes sont confrontées à plusieurs formes de violences – violences conjugales, harcèlements sexuels, violences domestiques, mariages forcés, prostitution, viols et mutilations génitales féminines qui continuent à faire des ravages notamment en milieu rural. La loi de 2005 interdisant ces pratiques traditionnelles reste totalement inappliquée jusqu’à ce jour.

Nous allons traiter dans ce rapport des viols des femmes par l’armée djiboutienne, sujet occulté, tabou et dangereux, mais qui constituent les violences les plus extrêmes contre les catégories les plus vulnérables de la société, dont ne parlent ni le ministère de la Promotion de la femme, ni les partis politiques, ni les organisations des Droits de l’homme.

Les viols des femmes Afar par des soldats de l’armée gouvernementale dans les régions du Nord et du Sud Ouest ont débuté en septembre 1993, même si le cas du viol le plus odieux a eu lieu en 1992 à Obock, où une mère de 9 enfants – Hasna Mohamed – a été violée par plusieurs soldats avant d’être brulée vive. Ces viols ne résultent pas de bavures, mais d’une décision politique des plus hautes autorités de l’Etat. De nombreux témoignages attestent de viols en série de femmes Afar par l’armée gouvernementale. Ces viols systématiques visent à la destruction de l’identité communautaire. Elles sont violées par plusieurs soldats pour qu’elles soient marquées à vie, brisées, humiliées. Certaines jeunes filles sont restées handicapées à vie à la suite de ces violences criminelles.

Les conséquences sont d’autant plus terribles que ces femmes victimes de viols ont subi la forme la forme plus radicale des mutilations génitales féminines (excisées et infibulées). Elles sont souvent violées devant leurs parents, leurs maris pour briser toute reconstruction familiale, certaines n’ont pas survécu à ces viols.

Considéré comme un déshonneur terrible, la plupart des femmes victimes ne veulent pas parler des viols qu’elles ont subis. Ce qui rend difficile un recensement fiable des femmes violées par les soldats gouvernementaux. Le chiffre de plusieurs centaines est néanmoins avancé par des groupes locaux et par le Comité des femmes djiboutiennes contre les viols et l’impunité.

L’Association femmes solidaires, en lien avec le Comité des femmes djiboutiennes contre les viols et l’impunité (Cofedvi) a pu recueillir de nombreux témoignages de femmes violentées, de femmes violées, de très jeunes filles enceintes à l’issue des viols commis par les soldats.

Deux accords de paix signés entre le gouvernement de Djibouti et le Front pour la restauration de l’unité et la démocratie en 1994 et en 2001 n’ont pas permis jusqu’aujourd’hui l’instauration d’une véritable paix. La reconnaissance de viols comme crimes de guerre pour lesquels se battent sur le terrain les femmes djiboutiennes et leur jugement n’ont même pas été abordés lors de ces accords.

Malgré la répression et la honte quelles éprouvent, certaines victimes ont eu le courage de porter plainte. Mais ces plaintes impliquant des soldats sont classées sans suite par le tribunal de Djibouti et n’aboutissent jamais en République de Djibouti.

Rien n’est plus terrible pour ces femmes victimes que le déni de justice. C’est toujours l’impunité totale pour les soldats violeurs. Ils ne sont jamais sanctionnés malgré les plaintes. Certains sont promus à des grades supérieurs et côtoient leurs victimes. Ce qui constitue la pire forme d’humiliation pour ces femmes qui continuent à vivre dans la crainte. Cette impunité totale dont jouissent les criminels encourage de nouveaux viols et empêche toute reconstruction de ces victimes.

Pour l’année 2012 et le premier trimestre de 2013, quelque 26 cas de viols ont été signalés, au Comité des femmes djiboutiennes contre les viols et l’impunité, aux environs d’Adaylou, de Margoita, de Syaru, de Galela (district de Tadjourah), Mabla, Waddi, Alaylou (district d’Obock).

C’est surtout lors des corvées d’eau que les femmes craignent le plus les violences et les viols des soldats. Autour des puits, plusieurs femmes se sont faites violer. Autour des forages d’eau les soldats emploient le chantage, car ils détiennent parfois les clefs des robinets (soit elles paient en bétail, ou elles sont violées).

Elles subissent des violences ou des viols lorsqu’elles vont chercher les nouvelles de leur fils, mari, frère ou père, détenus arbitrairement dans les casernes militaires. Elles sont violées parce qu’elles sont soupçonnées de sympathie à l’égard de la rébellion du Frud, elles sont violées parce qu’elles sont tout simplement Afars. Cependant, si ces femmes dénoncent leurs agresseurs, elles subissent de représailles, il en va de même de leurs familles.

Rares sont les défenseurs des droits humains qui font état de ces violences et des viols commis par des soldats, ils sont arrêtés, et torturés, et lorsqu’ils sont présentés devant un juge, ils sont inculpés de participation à une insurrection armée ou incitation de trouble à l’ordre public (ce fut le cas de Hassan Amine Ahmed, emprisonné durant 10 mois entre août 2011 et mai 2012).

C’est pourquoi, les viols commis dans ces régions ne sont pas connus de la grande majorité de la population djiboutienne, ni de l’opinion internationale. Seuls l’Association françaises femmes solidaires et le Comité des femmes djiboutiennes contre les viols et l’Impunité sont les portes voix et relais de ces femmes courageuses qui travaillent clandestinement pour envoyer des informations concernant ces crimes odieux totalement impunis jusqu’à ce jour.

Ceux qui témoignent de ces viols sont persécutés, ce fut le cas de Jean Paul Noël président de la Ligue djiboutienne des Droits de l’homme en 2007 lorsqu’il a dénoncé le viol d’une fille sourde muette (Fatouma Ali) par les membres de la garde républicaine. Une vingtaine de femmes victimes de viol par l’armée djiboutienne, présentes clandestinement en Éthiopie, sont prêtes à témoigner malgré les risques encourues d’être refoulées vers Djibouti. L’Association femmes solidaires est en contact avec ces femmes.

Nicole Kiil-Nielsen