Par Samuel BEUGRE

Notre époque ressemble en bien des points à celle du monde romain du premier siècle. Le savoir et le pouvoir, le luxe et les plaisirs attirent les hommes. Les intérêts personnels et égoïstes sont leur leitmotiv. Depuis près de cinq ans notre pays est entré dans une crise fratricide et dévastatrice. Cette crise est enracinée dans une course effrénée au pouvoir. Elle est motivée et soutenue par des intérêts internes et externes des plus sournois et sordides. C’est pourquoi, il convient dans cette actualisation de voir les applications pratiques, l’impact que pourrait avoir cette exhortation de Paul adressé dans le temps aux chrétiens de Rome ; et par ricochet aujourd’hui, pour notre pays la Côte d’Ivoire.

Aux hommes politiques,

Aux autorités religieuses,
Chers frères et Sœurs,
Et à vous les hommes et les femmes de la paix,

La Côte d’Ivoire pays d’hospitalité, pays de paix et de la vraie patrie de la fraternité, traduit dans son hymne national est en train de perdre ses vertus qui la caractérisent. Depuis l’avènement du multipartisme en 1990, une floraison de partis politiques ont vu le jour. Le prix que nous attachons à l’unité de la nation et au bonheur des Ivoiriens nous portent à vivre de façon fraternelle et non dans les affrontements violents,[1] voire nuisibles. Aussi, l’emploi et l’interprétation de certains mots appelés : la Xénophobie, le Tribalisme et l’Ivoirité (un concept que certaines personnes traitent de xénophobie) –sont interprétés de manière « empoisonnantes » et à des fins propres par certains leaders politiques. Les événements du 24 décembre 1999 viennent secouer notre pays et accentuer les fissures qui lézardent notre cohésion sociale devenue problématique depuis plusieurs années[2]. Ces événements n’étaient qu’une interpellation cinglante dans notre fausse assurance de pays de paix et d’hospitalité. La recherche de l’intérêt personnel au détriment de celui de la nation, le mensonge, la délation, la peur et le goût de l’apparat. Tout cela a mis à nu les tares de notre société[3]. Dans la nuit du 18 au 19 Septembre-2002, une tentative de coup d’Etat nous plonge dans une crise sans issue. Le pays est divisé en deux. Dans ce climat social de peur et d’incertitude, tous, nous devons nous considérer comme des coupables, soit pour avoir contribué activement au pourrissement de la situation économique et politique, soit pour notre silence complice de fait et des comportements compromettants pour la paix et l’unité nationale, soit par notre indifférence anti- patriotique[4]. Notre mère patrie est malade depuis près de cinq ans. Comment et en quoi, les fils et les filles du Sud, du Centre, du Nord, de l’Est et de l’Ouest entendent-ils collaborer pour partager équitablement les immenses richesses accumulées du sol et du sous-sol qui font l’admiration et attirent la convoitise des autres ? Réfléchissons sincèrement pour trouver des voies et moyens afin de dépasser notre boulimie du pouvoir, guérir de cette cécité collective qui nous dresse les uns contre les autres. Chers Ivoiriens, entrons-en nous-même et interrogeons notre foi, pour y puiser des forces afin de dépasser nos rancœurs et nos frustrations. Sachons faire notre mea culpa[5]. Vivons dans l’amour de Dieu, du prochain et que la culture de la paix habite en chacun de nous. Chacun de nous doit mesurer sa culpabilité, assumer sa part de responsabilité et se sentir inquiet de ce qu’il a fait de la société Ivoirienne. La lettre de Saint Paul aux Romains (12, 9-12) vient nous éclairer face à cette situation de crise que nous traversons, afin de trouver des voies et moyens pour la paix et l’unité sociale entre ses fils.

L’Epître de Saint Paul, (Rm 12, 9-21) vient interpeller chacun de nous (autochtones et étrangers) à vaincre l’esprit de haine, de vengeance et d’intérêt personnel pour le bien du peuple. Ce pour quoi St Paul nous invite en ces termes : « Que l’amour soit sincère. Fuyez le mal avec horreur, attachez- vous au bien. Que l’amour fraternel vous lie d’une mutuelle affection. Ne rendez à personne le mal pour le mal, ayez à cœur de faire le bien devant tous les hommes » (v. 9-10-17). Peuple Ivoirien, il faut que la haine qui est en chacun de nous se change en amour sincère, fraternel et en paix[6]. Quittons les chemins de la haine, de la vengeance, de la rancœur pour emprunter ceux de l’amour et de la vérité. Pour Saint Paul, l’amour qui unit au Christ c’est l’amour ouvert à tous les hommes ; parce que tous nous sommes fils d’un même père Céleste rachetés par le même sauveur Jésus[7]. Habitants de la Côte d’Ivoire, à la suite de Saint Paul, méditons le discours du pape Paul VI à l’O.N.U , du 04 octobre 1965 :« Jamais plus la guerre, jamais plus la guerre c’est la paix .» La paix, qui doit guider le destin des peuples et toute l’humanité. La paix, vous savez, ne se construit pas seulement au moyen de la politique et de l’équilibre des forces et des intérêts. Elle se construit avec l’esprit, des idées, les œuvres de paix. Si vous voulez être frères, laissez tomber les armes de vos mains. On ne peut pas aimer avec les armes offensives dans les mains[8] ». La recherche de cette paix nationale doit commencer en nous même, à la maison, dans notre quartier, au bureau, dans nos villages et villes et ceux qui vivent autour de nous sans distinctions de race et de peuple. Alors la ferme volonté de respecter les autres peuples ainsi que leur dignité, la pratique assidue de la fraternité sont absolument indispensable à la construction de la paix[9]. Cette paix que nous recherchons tant entre nous pour un mieux-être, sera pour nous le fruit de l’amour, de la justice, de la charité, du pardon, de l’humilité, du dialogue … Cela sera aussi un combat contre notre égoïsme et notre orgueil. Elle exige que nous menions la guerre à l’intérieur de nous-même pour être plus vrai, plus juste, plus charitable, plus doux et plus humble. Car, la vraie paix devrait être fondée sur le dialogue, la vérité, la justice et l’amour ». Ainsi nous pourrons être des artisans de paix dans notre pays et pour le monde[10].

J’aimerais particulièrement m’adresser aux hommes politique, « La politique ne doit pas perdre de vue sa dimension communautaire de recherche de bien commun ou public. Le peuple doit être le premier servi et respecté. C’est en vue de son bien-être que l’on est élu et que l’on travaille dans le domaine politique » (Le chrétien face à la politique N°54). St Paul interpelle chacun des acteurs politiques de la Côte d’Ivoire. « Soyez bien d’accord entre vous : n’ayez pas le goût des grandeurs, mais laissez-vous attirer parce qui est humble. Ne vous prenez pas pour des sages » (Rm 12, 16) . Et « Ne te laisse pas vaincre par le mal mais sois vainqueur du mal par le bien » (Rm, 12, 21).

Hommes politiques, l’Apôtre Paul interpelle la conscience de tous et de chacun. C’est là un idéal difficilement réalisable, car l’amour de la paix chez les uns ne suffit pas à supprimer toutes les attaques d’hommes injustes et mal intentionnées. Quelles que soient les difficultés, le devoir incombe à vous hommes politiques de promouvoir la paix[11]. Sachons qu’il n’y a pas d’autre moyen pour briser le cycle infernal de la violence que de renverser la haine et de l’immoler à un amour assez fort pour embrasser nos ennemis. Comme la vie dans le Christ triomphe de la mort, la charité dans le Christ vaincra la haine[12]. Aimons notre pays ne nous cramponnons pas sur nos positions, ne voulant faire aucune concession, en accusant l’autre de bloquer le processus. Que l’intérêt de notre parti ou mouvement ne prime pas sur le bien de la nation. Libérons-nous de la haine de l’orgueil, de la vengeance, de la rancune et surtout de la soif de l’argent gagné à n’importe quel prix[13]. Soyons attentif au cri de détresse du peuple qui ploie sous le fardeau des difficultés de tous genres. Comme nous recommande St Paul, soyons au service du peuple en cultivant, le dialogue, l’amour fraternel, le pardon, la justice, la paix…Changeons de mentalité et montrons notre amour pour le pays[14]. La paix exige la reconnaissance des droits. On n’y parvient au moyen d’un dialogue. La négociation est un art qui consiste à montrer à l’adversaire tout ce qu’il peut gagner en acceptant l’accord vers lequel on tend. « Un compromis imparfait vaut mieux qu’une guerre prolongée[15] ». Pour Mgr Bernard Yago « La Paix véritable résulte, comme l’a rappelé le Pape Jean– Paul II, du dynamisme des volontés libres, guidées par la raison vers le bien commun à atteindre, dans la vérité, la justice et l’amour[16] ». Hommes politiques, nous voulons sortir de cette zone de turbulence pour revivre la culture de l’amour et de la paix. C’est le cri quotidien qui monte de tous les cœurs, enfants, jeunes, adultes…Pour Paul, cet amour dont il est question est la charité. Cette charité n’est compatible qu’avec la volonté bonne, la volonté du bien moral en général, respect de l’objectif des valeurs et le courage d’agir en conséquence[17]. C’est pourquoi, St Paul exhorte tout homme à observer ce principe absolu de « l’amour d’autrui avec toutes ses applications possibles qui sert désormais de règle morale aux Chrétiens[18] » et à tout homme. Peuple de Côte d’Ivoire, la paix est possible en faisant nôtre cette parole du Pape Jean XXIII qui a su identifier les conditions essentielles de la paix : la vérité est le fondement de la paix si chacun prend honnêtement conscience non seulement de ses propres droits, mais aussi de ses devoirs envers les autres. La justice construira la paix si chacun respecte concrètement les droits d’autrui. L’Amour sera le ferment de la paix si les gens sentent les besoins d’autrui comme les leurs. La liberté enfin alimentera la paix et la fera fructifier si dans le choix des moyens de l’atteindre des individus suivent la raison et assument avec courage les responsabilités de leur propre action[19]. St Paul nous exhorte à vivre dans un amour fraternel, de charité, d’humilité, de pardon et à ne pas rendre le mal pour le mal, mais de faire du bien pour que règne la paix entre tous les habitants du pays. Aussi le concile, après avoir mis en lumière la conception authentique et très noble de la paix et condamné la barbarie de la guerre, se propose de lancer un appel ardent aux chrétiens et au peuple Ivoirien pour qu’avec l’aide de Christ, auteur de la paix, ils travaillent avec tous les hommes à consolider cette paix entre eux, dans la justice et l’amour[20]

Chers Ivoiriens, le pays nous appelle à la suite du message de Paul, des papes et du concile Vatican II à ramener la paix et la liberté. Que l’amour fraternel et sincère que prône St Paul règne entre nous mutuellement. Soyons des artisans de paix et que l‘amour infini du Christ nous habite.

 

[1]KONAN Henri  BEDIE, Paroles, anthologie thématique des discours, 1980-1995, p 239.

[2] P. GNAKO Célestin, Les défis nouveau de l’ivoirien après les événements socio – politique du 24 Décembre 1999, p9.

[3] Ibidem, p9.

[4] Ibidem, p.p 9-10.

[5] Eglise et Société, pas de paix sans justice, les évêques d’Abidjan prêchent la paix, éd du CERAP, janvier 2004, p 66.

[6] MERMET Th. Rey, CROIRE, pour une découverte de la morale, t4, éd Droguet-Ardant, 1985, p 308.

[7]HUBY Joseph, Saint- Paul aux Romains, traduction et commentaire, éd Beauchesne, Paris 1957, p 423.

[8] La foi aujourd’hui, mensuel de réflexion chrétienne, n°22, 15 janvier 1979, p20.

[9] Concile Vatican II,  « Gaudium et Spess n°78.

[10] Eglise et Société, pas de paix sans justice, les évêques d’Abidjan prêchent la paix, éd du CERAP, janvier 2004, p 12.

[11]HUBY Joseph, Saint Paul aux Romains, traduction et commentaire, éd Beauchesne, Paris 1957, p 427.

[12] Ibidem, p 431.

[13] Fraternité matin, du 30 Septembre au 1er Octobre 2006, n°1257,  « l’appel des imams et des évêques aux Ivoiriens, p 10.

[14] Ibidem, p 10.

[15] Eglise et Société, pas de paix sans justice, les évêques d’Abidjan prêchent la paix, éd du CERAP, janvier 2004, p 71.

[16] Ibidem, p 71.

[17].BAULES Robert , l’Evangile puissance de Dieu, commentaire de l’épître aux Romains, éd CERF, Paris 1968, p260.

[18] GRELOT Pierre, l’épître de saint Paul aux Romains, une lecture aujourd’hui’ éd saint Paul,  Versailles 2001, p 160

[19] Echo de Marie, Reine de la paix, janvier-février 2003, N°167, p 3.

[20] Concile Vatican II, « Gaudium et Spess » N°77.