Par Pierre Aly SOUMAREY

Les pays émergents se caractérisent généralement par leur intégration rapide à l’économie mondiale d’un point de vue commercial (exportations importantes) et financier (ouverture aux capitaux extérieurs). A partir du moment que la Côte d’Ivoire est considéré comme la première économie au plus fort potentiel commercial dans le monde, nous assistons à l’émission des premiers signaux de son émergence. Dès lors, nous pouvons dire que le processus est bien enclenché. En effet, le phénomène des pays émergents doit avant tout être appréhendé dans le contexte de la dynamique de la mondialisation. Aussi, nous avons le privilège d’observer le phénomène de près, de le vivre et de vérifier les théories qui le décrivent traditionnellement par l’expérience. D’observer sa nature, ses composantes, ses conditions d’apparition, ses modalités de manifestation et d’évolution, les étapes et les mécanismes de sa réalisation, la méthodologie, la logique interne de son schéma, les interactions en œuvre dans le processus, les objectifs recherchés etc.

Une émergence de globalisation

Dans la méthode, les étapes et la philosophie du modèle ivoirien, on peut remarquer de prime abord une option très libérale, caractérisée par son taux d’ouverture sur l’extérieur et son intégration rapide dans la mondialisation, fruit de son repositionnement dans le concert des nations et auprès des grandes institutions internationales. Notre processus repose au départ sur une forte relance de l’activité et l’importance de sa diversification. Ensuite, sur l’importance du volume de l’investissement public (infrastructure et équipement), qui s’est traduite par une croissance rapide et soutenue sur 8 années consécutives, mais aussi par un meilleur maillage territorial. Enfin, sur l’intensité et l’étendue du train de réformes structurelles qui a été engagé. Ce qui a permis au pays de se hisser dans le top 10 des pays les plus réformateurs au monde. Le PIB qui donne la mesure de l’activité a enregistré un bond de 73% comparé à 2010 (43007M$ contre 24.884 M$) et a permis une hausse significative de notre production et de nos exportations. La conjugaison de ces deux axes d’action a permis à notre pays d’être aujourd’hui le pays au plus fort potentiel commercial de croissance au monde, autant dire un marché émergent assez attractif pour offrir de nouvelles opportunités d’investissement à la finance mondiale avec d’importantes perspectives de profits pour elle. En intégrant les standards mondiaux et en s’ouvrant sur le monde, notre processus se traduit par un modèle d’émergence de type globalisant, avec une croissance tirée principalement de l’extérieur (Dette) et par la dépense publique jusque-là.

Désormais, le relai de la dépense publique qui se poursuivra néanmoins parallèlement pour continuer à améliorer les conditions de l’activité, faciliter les affaires et stimuler l’initiative, sera assuré directement par des investisseurs étrangers, sans se préoccuper de l’apurement de la dette intérieure et de la création d’une masse entrepreneuriale de nationaux, susceptible elle également d’assumer et de tirer la croissance. Dès lors, celle-ci sera tirée dans un premier temps par un secteur privé national, composé pour l’essentiel d’entrepreneurs étrangers qui apporteront leur savoir-faire, leurs capitaux et leurs technologies. Les banques locales ne financent pas ou très peu l’économie, la recherche et développement est atone et n’apporte pas d’innovations pour “booster” la dynamique, les riches constituent une minorité qui s’est accaparé le grand capital et deviennent de plus en plus riches, et les pauvres de plus en plus pauvres en dépit des filets sociaux et de l’importance des dépenses pro-pauvres. Ce modèle ne donne pas à la croissance un caractère inclusif et démocratique suffisant permettant une justice sociale, alors même que la désarticulation structurelle de notre économie comporte déjà au départ des disparités et des déséquilibres assez forts entre régions, zones urbaines et zones rurales, secteur formel et secteur informel, et entre couches socio-professionnelles.

Conclusion

La présence ou la persistance de la pauvreté dans ce type de modèle, d’inspiration anglo-saxonne, assis uniquement sur le secteur privé (la jungle des affaires), ne veut pas dire pour autant absence d’émergence. C’est le cas de la plupart des pays émergents formant les BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud) où la pauvreté de la masse reste assez importante, en dépit de leur émergence dans le top 10 des économies les plus fortes du monde. Le modèle “Alassaniste” reste encore largement interventionniste, parce que piloté par la Puissance Publique qui tente constamment de réguler le marché, de corriger ces travers et d’apporter du progrès social, en adressant les besoins des populations. Il existe un objectif social à satisfaire, ne serait-ce que pour en tirer un dividende politique. En cela il est davantage socio-libéral que néo-libéral. Comment la gouvernance actuelle tente-t’elle de réorienter le processus vers plus de progrès social, une meilleure redistribution de la richesse, tout en poursuivant la transformation structurelle de notre économie et de notre société. Ce sera l’objet de ma seconde partie intitulé : Une émergence de transformation.