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Une contribution de Dr. Claude KOUDOU
Analyste politique

A l’issue de son Comité central du 14 août, le Front populaire ivoirien a entériné la proposition du Groupe de médiation d’organiser un Congrès avant la fin de l’année 2014. La date de ces assises sera connue à l’issue d’un autre Comité central extraordinaire prévu le 30 août. Il convient d’entrée de jeu de saluer l’esprit des débats qui a prévalu et exprimé vivement une volonté de renouer avec la tradition démocratique qui réside originellement dans les entrailles de ce Parti. Un Congrès est d’abord un moment de bilan. Mais il est aussi et surtout un moment de restitution de diverses expériences – et de mutualisation -, mises en débat pour vivifier l’élan d’un parti politique. Si le Congrès à venir, à cause du contexte actuel ne peut pas avoir la prétention de vider toutes les questions, il aura certainement, – et c’est ce que les progressistes espèrent – l’avantage de dresser un bilan d’étape aux fins de projeter le Parti dans la modernité. Il y a là un challenge qui doit ouvrir ce parti pour qu’il mesure objectivement les enjeux dans le dessein de se donner les moyens d’y faire face.

Ce moment de Congrès, puisque le FPI reste le moteur de toute l’opposition actuelle, doit servir à inciter à l’innovation, à l’imagination, à l’émulation, à l’inventivité, à la mutualisation des expériences et des connaissances … et à l’appel à des compétences pour que ce Parti gagne en assurance et incidemment en confiance et en efficacité. Dans ces conditions, la pensée d’un nouveau paradigme devient une nécessité impérieuse. Sinon ce grand parti ne pourra pas retrouver son élan de compétitivité d’antan. La frilosité, la peur, la suspicion au moins motivée si elle n’est pas au plus organisée, le favoritisme, la méfiance et les frustrations – puisque plusieurs décisions, depuis un certain temps ne se prennent pas sur la base de critères objectifs –, sont autant de facteurs qui peuvent justifier la prolifération de petits mouvements et partis politiques. Ce qui a pour conséquence l’éparpillement des forces qu’il faut au contraire rassembler. Le front populaire doit renouer avec sa tradition socialiste, de démocratie et de solidarité … Sans perdre de vue son leadership, qu’il se doit de donner les moyens de mériter – car une force n’est pas toujours dans le nombre mais plutôt dans un rassemblement cohérent – il doit s’ouvrir sur d’autres forces démocratiques et progressistes.
Repenser la Côte d’Ivoire dans l’Afrique de demain, Quel leadership national au-delà de 2015 ?

Telle est la problématique que nous nous proposons d’examiner ici. Un tel questionnement appelle plusieurs ressources pour qu’on arrive à une expression de solution, avec la mesure qui tienne compte de toutes les dimensions du paysage socio-politique ivoirien. Vu que la mondialisation est une ère que nous connaissons depuis le XXe siècle, il importe que les Africains repensent leur façon de voir le monde pour que leur vécu s’adapte aux réalités courantes. Cela demande que les cartes soient mises sur la table et que certains n’usent pas d’une escroquerie intellectuelle, sur la base de leur pouvoir et/ou de leurs positions pour abuser d’autres. Pour l’ensemble des observateurs, les grilles de lecture doivent être homogénéisées pour que la visibilité des actes posés s’affirme avec netteté.

Les crises successives que la Côte d’Ivoire a connues et qui ont cristallisé celle que nous vivons, ont modifié les comportements, les modes de pensée et engendré de multiples autres réflexes. Cela impose qu’en toute modestie, la parole soit donnée pour que des propositions de sauver le pays se multiplient, plutôt que d’espérer avoir la maîtrise des situations, en créant des canaux d’étouffement, dans le seul objectif de jouir égoïstement d’un pouvoir potentiel. C’est une façon de faire qui est gratuitement malsaine et complètement dépassée.

Différents déplacements que nous avons connus, – du Venezuela en Allemagne ; des Etats-Unis au Ghana, de la Suède au Canada, en passant par La Haye et les expériences d’autres acteurs de la diaspora nous ont apportés de la richesse qu’il conviendrait de restituer et de mettre à disposition pour élargir l’espace progressiste ivoirien, sur la base d’un courant panafricaniste. Pour servir notre pays ensemble, nos compatriotes locaux doivent partager avec nous les ressources de notre vécu dans des espaces démocratiques, en Occident ou ailleurs.

A la lumière des échanges que nous avons dans la perspective d’enjeux futurs, nous avons relevé que l’éclosion de mouvements et partis politiques sont les conséquences de frustrations non maîtrisées et des vengeances parfois sécrétées sur la base d’émotions brutes. Nombre d’Ivoiriens veulent être impliqués dans la vie politique de leur pays, qu’ils soient affiliés à des partis politiques ou des membres de la société civile. Cela n’est pas forcément exprimé de façon coordonnée et cohérente. Mais ils l’ont exprimé par différentes occasions – (SID : Semaine des Ivoiriens de la Diaspora (éditions 2007 et 2008)) ; RECID (Réseau Côte d’Ivoire Diaspora), août 2010 -. Aussi, à la suite des Etats généraux de la résistance ivoirienne du 30 mars 2013, avons-nous publié un livre .

Dans ces différents travaux produits, il s’agit de mettre à disposition des expériences, des compétences et une dynamique pour canaliser les transferts d’argent vers le pays, pour orienter les sommes vers des investissements productifs plutôt qu’essentiellement vers la consommation. Ce sont là des voies d’apport de contributions de la part de la Diaspora pour participer le cas échéant à la reconstruction du pays
Tous nos camarades – gouvernants ou pas – doivent définitivement intégrer que la diaspora ne peut plus être une variable d’ajustement suivant des intérêts qu’on voudrait en tirer et/ou selon les contingences en cours.

Les pays comme l’Inde, la Chine, l’Afrique du Sud, le Ghana et le Nigeria, … sont des exemples qui traduisent convenablement les atouts que sont les Diasporas. Plutôt que de les voir en concurrentes, elles doivent être de véritables partenaires et acteurs avec qui il faudrait travailler en complémentarité. C’est en créant des passerelles franches et clairement définies, avec ces parties de populations, qui sont frappées par une différence géographique mais qui gardent entièrement leur appartenance aux pays que nos pays peuvent faire face aux soubresauts rénovés des stratégies de prédation.

Prof. Cheikh Anta Diop

Prof. Cheikh Anta Diop

« Le 19 septembre 1956, dans l’amphithéâtre Descartes de la Sorbonne, en face de sommités intellectuelles venues du monde entier (Amadou Hampâté Bâ, Aimé Césaire, Léopold Sédar Senghor, Cheikh Anta Diop, Jean Prince Mars, Richard Wright … une jonction s’est établie entre les Noirs africains et américains. … Là s’est en effet joué, dans le cadre plus général de l’émancipation des peuples non européens, le second acte de la réhabilitation de la race noire… » . C’est dire que la rhétorique sur l’esclavage, la colonisation, la néo-colonisation a été abondamment cultivée pour donner lieu à des diagnostics qui sont disponibles dans la littérature. Mais au-delà du simple constat, ou de la condamnation qui conforte souvent dans une posture de nous excuser des tares qui frappent l’Afrique, il convient de changer notre mode de penser et notre mentalité.

Ainsi, « Chaque Africain, chaque Africaine doit faire une observation interne. Nous devons faire le point, en revisitant l’histoire » et la réécrire nous-mêmes, « en mieux appréhendant les enjeux de notre … » devenir. La jeunesse africaine doit faire une décolonisation mentale. Il nous faut absolument promouvoir une autre approche tant organisationnelle que méthodologique qui nous permette de nous approprier les » défis « … dans ce contexte de mondialisation sans pitié. Nous devons pleinement nous sentir responsables devant chaque acte et prendre notre part dans les échecs. » Hier, les décideurs de ce monde confinait les potentialités économiques africaines par rapport l’espace mondial à 1%. Nous sommes de ceux qui ont crié notre incrédulité. Aujourd’hui, la conjoncture mondiale a restitué les vrais indicateurs. Et là, l’Afrique devient le nouveau pôle de croissance. Il s’agit là d’une vérité cachée à dessein que l’histoire a restauré dans les faits.

Il convient ensuite de rappeler qu’une société sans solidarité sécrète naturellement des monstres de divers types. Ainsi, sans chercher à dédouaner les acteurs de la rébellion, l’autisme, parfois la suffisance et le manque d’écoute ont jeté des fils naturels du FPI – puisque de la jeunesse du FPI et également animateurs de la FESCI – dans les bras de politiciens intégristes qui ne voient que la violence comme la seule façon d’accéder au pouvoir. Il convient de regarder les choses en face pour comprendre qu’une recomposition risque de s’opérer dans la vie politique ivoirienne si la pensée politique reste sur la ligne de la promotion des seuls militants de première heure, de leurs affinités et/ou de leurs proches, au détriment du mérite et de la compétence.

La Diaspora ivoirienne est une entité qui a son vécu, avec des familles et des enfants. Ce qui implique des obligations et des devoirs. Cette Diaspora a le droit de connaître un épanouissement dans son pays. Il est anormal que ne soient pas conçus des canaux permettant le retour au pays de la Diaspora – pour ceux qui le désirent – et en avoir dans le même temps comme recours quand les circuits locaux d’expressions sont bouchés. La CEI (Commission électorale indépendante) doit être une structure qui ne souffre d’aucune suspicion. Tout candidat à quelques mandats que ce soit doit être tranquille quand il sait que son score aux élections sera le résultat de son travail effectif sur le terrain. Comme pour les concours, il ne faut pas que les dirigeants actuels continuent d’inverser les repères, en promouvant des ignorants et des violents, au détriment de ceux qui sont allés régulièrement à l’école pour acquérir des compétences.

C’est pourquoi il faut que la composition de la CEI ne se fasse pas dans une précipitation emprunte d’escroquerie. La CEI qui peut avoir l’adhésion du peuple est celle où peut siéger un membre de chaque parti politique représentatif. Le nombre des représentants des partis politiques doit être inférieur à celui des membres de la société civile. Pour que le peuple soit certain qu’au moment des délibérations, la décision collégiale interviendra quand les membres auront coché les bonnes cases dans la grille de notation. Nous avons connu l’époque « des Camille Hoguié ». Et de telles personnalités existent encore bel et bien dans le pays. Soit ce type de CEI est obtenue à partir d’un dialogue inclusif ; ce qui est quasiment impossible, au regard de la praxis politique du pouvoir actuel qui, pour garder le pouvoir coûte que coûte, malgré qu’il soit toujours en minorité, multiplie les artifices pour tricher. Soit il faudra l’obtenir par des manifestations de rue qui vont imposer une constituante avec un gouvernement de transition. Au vu de ce qui précède, quelle implication de la Diaspora dans le leadership national au-delà de 2015 ?

Dans la pratique, le ressort de l’environnement diasporique veut que les débats soient tenus sans tabou. Cela appelle un certain nombre de questions qu’il faudra examiner objectivement. A 13 mois des présidentielles, tous les indicateurs et autres paramètres objectifs – malgré les camouflages – concourent à ce que ces échéances ne se tiennent pas. Sauf au prix d’un forceps avec toutes les conséquences imprévisibles qui peuvent en découler. La gauche ivoirienne avec tous les acteurs progressistes doivent s’atteler à construire une plate-forme capable de peser en toute circonstance. A gauche – c’est aussi vrai à droite –, c’est parce que les partis se regardent en chiens de faïence que des agrégats de petits partis qui sont nés, veulent se protéger à exister. Il ne me semble pas que leur préoccupation première soit d’avoir forcément à animer un groupe ou un parti politique. C’est surtout l’inclination à tout accaparement de la part de certains cadres – sans l’opposition de sanctions – qui nourrit de tels délestages.

Les élites ivoiriennes doivent raisonnablement travailler à éduquer les bases, à polariser leurs forces sur l’approche la plus pertinente pour sauver le pays. C’est le lieu de dire qu’avant la crise, Mamadou Koulibaly avait posé des questions aussi fondamentales que sérieuses dans la vision d’une réelle refondation, même si la formulation de ces questions était contextuellement critiquable. Il faut en même temps ajouter que tous les camarades qui pouvaient peser pour encadrer l’examen des préoccupations du camarade – deuxième personnage de l’Etat en son temps –, ont préféré ruer dans les brancards. Cette façon de faire dont certains se saisissent pour « agrandir leur territoire d’infuence », au détriment des intérêts de la collectivité, n’est pas adaptée pour un Parti qui est un front parce qu’il a voulu originellement contenir différents pans de l’obédience socialiste. Il est vrai que « qui aime bien, châtie bien ». Nous sommes donc nombreux à avoir souffert d’actes posés par Mamadou Koulibaly pendant et après la crise puisqu’il avait manifesté une incarnation de sauveur de la République à Marcoussis (janvier 2003).

Mais passés les moments d’émotions, il est aussi réducteur et impertinent de ne retenir que ce qui est négatif dans les actes posés par le camarade. En tant que témoin avisé d’un certain nombre de situations et pour avoir par ailleurs édité des œuvres de lui, il me semble qu’il ne faut pas fermer à clé les portes de collaboration avec le camarade, puisque malgré son autonomie actuelle, il est vif dans le combat contre une Commission électorale au rabais, parce que celle actuelle n’a rien d’indépendante. Les procédés qui exacerbent des postures clivantes sont inappropriés, surtout à ce moment où nous devons nous fixer sur l’intérêt du pays plutôt que de faire de la place à des règlements de compte inutiles. Des responsables politiques doivent avoir ceci de particulier qu’ils doivent contenir les émotions. Car personne ne peut dire aujourd’hui comment certains cadres se seraient comportés, s’ils avaient été à la place de Mamadou Koulibaly, dans les différents cas d’espèces.

Laurent Gbagbo II

Le président Laurent Gbagbo

Il serait donc judicieux de graduer les défis, en fixant le curseur à chaque place judicieusement identifiée, pour bien marquer les espaces de priorités. Nous devons donc complètement revoir notre façon de faire la politique. Comme le disait le président Laurent Gbagbo à La Haye le 28 février 2013, dans un pays aussi pluriethnique que la Côte d’ivoire, nous ne pouvons être sauvés que par le jeu de la démocratie. Ceux qui s’enferment dans une logique de supports ethniques ne pourront à terme pas réussir en politique. Dans le même esprit, la Diaspora ne doit pas être traitée comme une carte conservée dans un tiroir que l’on ressort en cas de besoin. C’est une population qui doit être considérée dans toute sa plénitude. Elle doit par conséquent compter comme une véritable partie prenante de la vie socio-politique. Si les élites ivoiriennes ont le devoir de sauver leur pays, elles n’ont pas le droit d’entretenir des discours qui confinent les populations dans des logiques malsaines. Préfère-t-on des personnalités qui expriment clairement les questions pour que celles-ci nourrissent des réflexions prospectives ou des camarades qui ont miné sournoisement le Parti et le pays en tenant des discours démagogiques ?

C’est pour répondre aux différentes questions qui nous interrogent collectivement sur l’avenir du pays que nous travaillons sur des projets. Ainsi, nous comptons présenter une motion au Congrès du FPI qui sera soumise le moment venu aux organes compétents. La Diaspora a la capacité de constituer une véritable passerelle, motrice d’organisation de forces convergentes pour consolider la gauche et de façon générale les forces progressistes. Soit cette motion est prise en compte et les forces que nous constituons, travaillent dans un cadre étroit de collaboration intégrée, soit il y a un refus de l’examiner et la Diaspora se constituera en force autonome pour travailler avec les forces qui s’ouvrent localement à elle.

Nous pensons que la libération de Laurent Gbagbo ne s’obtiendra que sur la base d’une logique politique pertinente et méthodologique plutôt qu’avec des élans de tâtonnement ou de projets hasardeux. Des aventures qui versent dans des approximations et des positions sectaires réduisent nos capacités à retrouver les niveaux historiques du FPI ; lesquels niveaux qui, en forçant à l’émulation donne une réelle envie de militer. Dans tous les partis du monde, « l’injection de sang neuf » et le souci de régénération des espaces de gestion de biens collectifs comptent au nombre des préoccupations des politiques. Il faut que les Africains épousent cette préoccupation s’ils ne veulent pas rester en décalage par rapport aux évolutions dans le monde.

Dr. Claude KOUDOU
Analyste politique