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(Notre Voie, 15-16 mars 2014) – Torturé au secret par le Pouvoir ivoirien depuis son extradition du Ghana, en janvier 2013, Charles Blé Goudé raconte son martyre à ses avocats. C’est un homme menacé de mort qui appelle à l’aide. 

«On veut empêcher mon cerveau de fonctionner. Je n’ai pas de lecture. Tout m’est interdit. Je n’ai même pas de stylo. Il faut que ça change. Il faut que vous vous battiez pour que mes conditions de détention changent. Je suis tenu au secret, enfermé 24 h sur 24. J’ai juste un téléviseur qui est dans ma chambre et qui ne diffuse que des programmes de la télévision nationale. En dehors de ça, je n’ai pas d’autres activités. Je ne peux pas sortir même dans la cour du lieu où je suis détenu. Les repas qu’on me sert, c’est du riz déni kachia avec un tout petit morceau de viande… ». Ces propos sont de Charles Blé Goudé qui les a confiés à ses avocats lors de son audition, le mardi 11 mars 2014, dans un lieu tenu secret. Il y a donc 5 jours. Le leader du Cojep affirme sans ambages que ses conditions de détention sont très pénibles.

Des conditions de détention qui n’ont pas changé. Selon ses avocats, l’ex-ministre Charles Blé Goudé, prisonnier politique du régime Ouattara, est toujours soumis à un isolement total contrairement à ce que le gouvernement tente de faire croire à l’opinion publique. Lors de la conférence de presse qu’ils ont animée, hier, à Cocody-Les 2 Plateaux (Abidjan), Maîtres Blédé Dohora, Félix Bobré et Serge Gbougnon, ont affirmé que leur client est toujours détenu dans des conditions inhumaines. «Il n’a aucun contact avec personne. Et il est resté dans ces conditions jusqu’à ce jour », ont regretté les trois membres du collectif des avocats de Charles Blé Goudé. Avant de préciser qu’ils ignorent le lieu actuel de détention de leur client. A les en croire, les conditions de détention de M. Blé Goudé sont restées inchangées jusqu’au mardi 11 mars 2014, date de son interrogatoire. Une audition qui s’est déroulée en présence de cinq magistrats dont le procureur de la République.

« C’est très éprouvant pour moi »

Avant de répondre aux questions du juge instructeur, Blé Goudé a demandé, selon ses avocats, la permission de faire des observations sur ses conditions de détention. Voici ce qu’il a dit tel que rapporté par le collectif des avocats : «On m’a fait changer de lieu de détention. Mais les conditions difficiles dans lesquelles j’ai toujours vécu n’ont pas changé. C’est très difficile, c’est très éprouvant pour moi. C’est vrai, j’ai été détenu 9 fois dans ma vie. Mais la détention que je vis actuellement n’a rien à voir avec les précédentes détentions. Chaque minute, chaque seconde que je vis en détention est pour moi un combat. Je suis enfermé. Je n’ai personne avec qui parler. Sauf le jour où un élément de mes geôliers est venu me dire : je vais te faire joli. Je raconte exactement les phrases du geôlier : je vais te faire joli. Je lui demande : pourquoi tu veux me faire joli ? Il me répond: je vais te faire joli. Je ne voulais pas qu’on me fasse joli, mais je n’avais pas les moyens de résister. Et il a fait venir ses instruments et il m’a coiffé et rasé. C’était à 14 h. Je lui ai dit : comme tu m’as fait joli, donne-moi un miroir et je vais voir maintenant à quoi je ressemble. Et il me donne le miroir poliment, je me regarde et lui dis : bon, tu m’as fait joli, mais permets-moi d’utiliser ton rasoir pour ajuster ma barbe».

Les avocats de Blé Goudé précisent que ce témoignage de leur client se rapporte à des faits qui se sont déroulés la veille de son audition. A savoir, le lundi 10 mars 2014. L’audition a lieu, le mardi 11 mars, dans un endroit tenu secret « pour les besoins de la cause », indiquent les avocats. Qui expliquent que le leader du Cojep leur a aussi dit que lorsqu’on le transférait de la Dst à son lieu actuel de détention, il n’était en possession d’aucun de ses vêtements. Le caleçon qu’il portait était le seul vêtement dont il disposait ce jour-là, ajoutent les avocats. «Il porte un T-shirt qu’on voit dans la dernière série de photos et le pantalon jean qui sont les seuls vêtements qu’il avait depuis le 2 janvier 2014 à ce jour», rappellent-ils avant de faire remarquer que quand Blé Goudé lave ses habits, il est obligé de rester nu jusqu’à ce que ceux-ci sèchent. Ils affirment que c’est seulement la veille de son audition que les vêtements qui avaient été confisqués ont été ramenés à leur client.

Blé Goudé raconte son calvaire

Revenant sur le jour de l’audition de leur client, les avocats de Blé Goudé racontent que c’est à 5 h du matin qu’un des geôliers est entré dans sa chambre pour lui demander de s’apprêter parce qu’il allait sortir avec lui. «Alors il s’est dit : hier, j’ai été coiffé et rasé. Aujourd’hui, on me demande de m’apprêter pour sortir. C’est qu’il se trame quelque chose. Donc Blé Goudé s’apprête et à 9 h, il dit que le monsieur qui lui a demandé de s’apprêter vient, il lui passe un bandeau sur les yeux et lui place une cagoule sur la tête. Il le fait tourner sur lui-même. Certainement pour le désorienter et part avec lui dans un véhicule. Mais ils ne vont pas directement au lieu du rendez-vous. Lieu où son interrogatoire doit avoir lieu. On le conduit quelque part. Blé Goudé dit que selon son instinct, c’est à la Dst qu’il a été d’abord conduit. On l’a sorti de la première voiture pour l’embarquer dans une seconde voiture. Et c’est ce véhicule qui l’a conduit jusqu’au lieu du rendez-vous. Arrivé à destination, on l’a sorti du véhicule et c’est là qu’on lui a enlevé la cagoule et le bandeau. Il dit qu’il ne savait pas où il se trouvait. Il y avait quelques personnes parmi lesquelles il a reconnu l’un des greffiers du doyen des juges d’instruction. Alors il s’est dit : ça, c’est pour une affaire de justice. Et on le fait rentrer dans une pièce où il nous trouve », rapportent les avocats.

Pour Maîtres Blédé Dohora, Félix Bobré et Serge Gbougnon, si les récentes photos diffusées par le régime Ouattara sont, selon les autorités ivoiriennes, l’expression de l’évolution des conditions de détention de leur client ces derniers temps, au point qu’il serait détenu dans un confort qui tranche avec son quotidien habituel, il faut alors mettre fin à la polémique. Et pour cela, une chose s’impose. C’est donc, de l’avis des avocats, de leur permettre de visiter régulièrement leur client sur son nouveau lieu de détention. Pour constater, par eux-mêmes, les conditions dans lesquelles Charles Blé Goudé est détenu. Ce qui aurait l’avantage de faire taire toutes les rumeurs.

Robert Krassault

ciurbaine@yahoo.fr