Ce qui s’est réellement passé à la Maca

 maca

(Notre Voie, 25 juillet 2013) – Longtemps protégé et adulé par l’administration pénitentiaire, un bandit de grand chemin, condamné à 20 ans de prison, a fomenté un plan d’évasion dont la découverte a entraîné un soulèvement suivi de répression violente, mardi dernier à la Maca. On dénombre malheureusement des morts et des blessés. Voici le film de ces évènements sanglants au sein de cette prison abidjanaise où croupissent, outre 420 prisonniers politiques, au moins 4.100 pensionnaires pour une capacité totale de 1.500 places affichées. 

3 prisonniers tués, 2 gardes pénitentiaires blessés grièvement à coups de gourdins et de couteaux. C’est le bilan officiel d’une tentative d’évasion réprimée, dans la nuit du mardi 23 au mercredi 24 juillet 2013, à la Maison d’Arrêt et de Correction d’Abidjan(Maca). Au nombre des prisonniers tués par balles, les sources pénitentiaires indépendantes citent Asséké Agnéro Cyrille, Koffi N’Dri Boniface et une troisième victime dont l’identité ne nous a pas été communiquée avec exactitude. Du côté des gardes pénitenciers, les blessés sont Gueu Tiané, chef de sécurité du bâtiment C (réservé aux criminels) et son collaborateur Tia Sylvain.

Selon des sources pénitentiaires, tout serait parti de l’évasion, il y a deux semaines, d’un détenu prénommé Alexis, condamné à 20 ans de prison ferme pour vol à main armée, en réunion et de nuit mais qui a réussi à se faire la belle. Depuis lors, les responsables du pénitencier de Yopougon étaient sur leurs gardes. C’est dans cette ambiance qu’ils ont été informés qu’une autre évasion était en préparation à la Maca. Les renseignements pointent du doigt le détenu Coulibaly Yacouba alias Yacou le Chinois, lui aussi condamné à 20 ans d’emprisonnement ferme pour vol à main armée, en réunion et de nuit mais nommé chef du bâtiment C (celui des grands bandits) par l’administration pénitentiaire. Yacou Le Chinois, le suspect no 1, est un récidiviste notoire qui purgeait la même peine avant la crise postélectorale et qui a été libéré par les ex-rebelles qui avaient attaqué la Maca, avec l’aide des militaires français et onusiens, lors de la guerre transposée sur Abidjan pour le renversement du président Gbagbo.

« Le Chinois » vendu par son acolyte

Selon les sources officieuses, confirmées d’ailleurs par des informateurs officiels bien placés, ce caïd, Yacou le Chinois, chef du bâtiment C, était finalement devenu un tout puissant patron du trafic de drogue et d’autres marchandises prohibées. Il régnait sur la Maca, à travers ces puissants réseaux, au vu et au su de toute l’administration pénitentiaire. Il serait même devenu les yeux et les oreilles de l’administration carcérale sur les activités des autres prisonniers. Délateur zélé, Yacou le Chinois s’adonnait aux opérations de racket sur les prisonniers, peut-être avec la bénédiction des patrons de cette administration de la Maca. « La porte de sa cellule restait ouverte la nuit, même quand les autres celles étaient hermétiquement fermée », nous a confié hier une source. « Mais plus grave, il était détenteur de plusieurs téléphones mobiles alors que ces appareils sont interdits à la Maca et que pour l’application de cette mesure, des contrôles inopinés et humiliants sont constamment opérés par les gardes pénitentiaires », affirment une autre source qui déclare bien connaître Yacou le Chinois.

L’administration pénitentiaire piégée par son « protégé »

Mais apparemment, cette idylle entre le prisonnier et ses geôliers s’est gâtée avant-hier mardi 23 juillet. Selon des sources officieuses, Yacou le Chinois aurait effectivement planifié une évasion avec deux autres prisonniers condamnés, comme lui, à de lourdes peines (5 ans et 10 ans). Toujours selon les mêmes sources, Yacou le Chimois aurait été vendu à Wattao – encore lui !? – par un de ses compagnons d’évasion. Et c’est Wattao qui aurait mis la puce à l’oreille des responsables de la Maca. Mais selon les sources officielles, c’est plutôt sur instruction du procureur du tribunal de Yopougon que des gendarmes de la brigade de la commune de Yopougon ont procédé à l’interrogatoire de Yacou le Chinois, à propos de cette évasion en préparation. Quoiqu’il en soit, aux environs de 16h, Yacou le Chinois aurait été raccompagné dans sa cellule par l’agent Gueu Tiané et deux autres gardes. Qui auraient découvert sous le matelas du condamné, une corde soigneusement dissimulée. Cet indice compromettant amène les gardes pénitentiaires à conduire Yacou le Chinois en cellule d’isolement dans le même bâtiment C, « en attendant son transfert le lendemain à la brigade de gendarmerie de Yopougon-Toits rouges » disent des sources, quand d’autres affirment plutôt que Yacou le Chinois aurait appris qu’on allait le transférer à la dure prison civile de Dimbokro, ce qui aurait effarouché le condamné, autrefois pion de l’administration de la Maca.

Les partisants de Gbagbo sains et saufs

En tout état de cause, parvenu devant la cellule d’isolement, Yacou le Chinois a refusé d’y entrer et a alerté, par des cris, ses codétenus. La prison était partiellement fermée, en ce moment, dans l’attente de l’arrivée d’autres détenus en provenance des parquets du Plateau et de Yopougon dans le fourgon cellulaire. Les détenus n’ont donc eu aucune peine à ouvrir leurs cellules et à réagir violemment à l’appel de celui qui a été fait gourou par l’administration et qui était « en difficulté». Les gardes pénitentiaires sont assaillis et agressés à coups de gourdins et de couteaux. Ils battent en retraite et se replient à l’entrée principale de la Maca. Désormais, la Maca est en ébullition.

Les tirs de sommation des gendarmes chargés de surveiller les miradors n’ébranlent guère les milliers de prisonniers qui auraient détruit les serrures des cellules et enlevé 13 femmes détenues au bâtiment des femmes pour les enfermer au bâtiment C. Sans armes de dotation, les gardes trouvent leur salut, à 19h, avec l’arrivée du fourgon cellulaire dans lequel les deux kalachnikovs des agents sont arrachées de force par des ex-Frci intégrés dans le corps des gardes pénitentiaires sans passer le concours d’entrée. Ceux-ci tirent immédiatement sur les détenus amassés devant le greffe de la Maca. Atteints par balles, deux prisonniers, Asséké Agnéro Cyrille et Koffi N’Dri Boniface meurent sur le champ. Un troisième détenu est tué peu après au cours des coups de fusils des Frci.

La violence des tirs et l’arrivée des renforts de la police, de la gendarmerie et des Frci finissent par avoir raison des détenus qui replient et réintègrent leurs cellules. Pendant tout ce temps, les détenus politiques, y compris les ministres Abou Drahamane Sangaré et Alphonse Douaty, sont restés blottis soit dans leurs cellules, soit aux bâtiments des Assimilés, pour éviter d’être des victimes innocentes. Selon nos informations, ils ont été protégés contre « certains prisonniers qui cherchaient à attaquer leurs cellules pour voler ».

Finalement, à coups de grenades lacrymogènes, les forces de l’ordre réussissent à maîtriser la situation dans la prison aux environs de minuit, et à éviter ainsi l’évasion de près de 5.000 pensionnaires de la Maca. Elles ne réussissent à délivrer 13 femmes sur les 15 détenues prises en otage au bâtiment C. Les deux dernières dont une blessée grièvement par balles ont été libérées hier à 11h par leurs bourreaux au terme d’intenses négociations entreprises par le régisseur Bandaman Yobouët, directeur de la Maca, avec Yacou le Chinois, chef du bâtiment C. Mardi, pendant les troubles, les 100 prévenus du fourgon cellulaire qui devaient être enfermés à la Maca ont été conduits au violon de la préfecture de police d’Abidjan, après des détours aux commissariats des 23ème et 16ème arrondissement de Yopougon. Quant à Yacou le Chinois, l’homme par qui ce carnage est arrivé, il a été simplement remis dans sa cellule initiale. Il n’a plus été mis en isolement, car ancien milicien pro-Ouattara, ancien Frci, il demeure intouchable à la Maca.

Aux environs de 18 h hier, les Frci armées jusqu’aux dents se sont retiré de la Maca après avoir fouillé le bâtiment C litigieux, grâce à la médiation de certains prisonniers politiques pro-Gbagbo qui ont sû ramener le calme.

Par César Etou et Didier Kéi