Par ONGUI Simplice
osimgil@yahoo.co.uk

Depuis le 15 avril 2023, le Soudan est le théâtre d’offensives répétées, qui voient s’opposer l’armée nationale et la milice dite « FSR », pour « Forces de soutien rapide ». Nombreux sont ceux qui considèrent que cet affrontement était inévitable. Imminent. il n’en reste pas moins tragique pour une population soudanaise déjà largement fragilisée par des conflits antérieurs et confrontée à une situation économique très instable – si l’on ose cet euphémisme.

Nous n’allons pas retracer toute l’histoire du Soudan, mais tenter de comprendre comment cette violence a fini par éclater. Vous le constaterez : tout convergeait vers l’embrasement de la poudrière. Mais alors, comment projeter une conclusion favorable ? Quels espoirs peut nourrir le peuple soudanais ?

Affrontements au Soudan : une évidence amère

Voilà plusieurs mois que la presse spécialisée sentait le vent tourner. Ce fut d’abord une brise difficile à percevoir, quelques signes précurseurs à détecter ; puis la tempête a fini par se profiler, et par éclater.

Vous le savez sans doute : cette nation située au nord-est de l’Afrique est loin de briller par sa stabilité politique. Il y aurait beaucoup à dire quant aux guerres civiles qui déchirent le pays depuis plusieurs décennies. L’épisode le plus dramatique courut tout de même de 1983 à 2005, dans ce qui laissera une blessure historique jamais tout à fait cicatrisée.

L’un des événements les plus marquants de notre histoire proche remonte au 9 juillet 2011, lorsque le Soudan du Sud a déclaré son indépendance. Ce qui était jusque-là le plus grand pays du continent africain se scindait dans ce qui aurait pu être considéré comme une « solution », une « issue », mais qui manquait clairement d’organicité.

Un journaliste du périodique Herodote.net, média spécialisé dans les questions historiques à l’international, expliquait à ce moment-là :

« Ce nouvel État est issu d’une scission d’avec le Soudan, au terme de deux longues guerres civiles qui ont fait plusieurs millions de morts depuis l’indépendance du Soudan anglo-égyptien, le 1er janvier 1956 » (source).

Ce à quoi il ajoutait, quelques lignes plus tard :

« De guerre lasse, el-Béchir (Omar Hassan Ahmad al-Bashir, président du Soudan de 1989 à 2019, ndlr) concède un référendum d’autodétermination aux populations du Sud, lequel aboutit à l’indépendance du 9 juillet 2011. Une indépendance de tous les dangers pour ce nouvel État africain, enclavé entre des États hostiles, démuni de tout, très pauvre et dont la majorité de la population dépend pour sa survie des organisation humanitaires » (source).

Malheureusement, ces propos reflètent bien les dynamiques dominantes au Soudan – où que l’on se trouve. Les coups d’État, les capitulations, les accords « à l’usure » l’ont toujours emporté sur les tentatives de conciliations pacifiques. Il ne s’agit pas de donner dans le fatalisme, évidemment ; nous espérons que les deux États finiront par sortir de l’ornière. Toutefois, pragmatiquement, nombreux sont les obstacles qui se dressent sur la route vers la paix et l’équilibre.

Une succession de guerres civiles et de renversements

Général Abdel Fattah al-Burhan, président du Conseil souverain, le 21 août 2019 / PHOTO ASHRAF SHAZLY-AGENCE FRANCE-PRESSE

Si l’on en revient à « l’autre Soudan », les dissensions se révèlent du même acabit. La sécession de 2011 a laissé des frustrations, a posé des bases fragiles qui ont toujours rendu les moments d’accalmie douteux. Le renoncement d’Omar el-Béchir confirma (entre autres facteurs) son impopularité, et le coup d’État de 2019 résonna pour beaucoup comme l’aboutissement d’une fracture nette entre el-Béchir et le peuple.

L’inflation, la famine qui en découlait, les conditions désastreuses dans lesquelles les Soudanais devaient vivre – pour ne pas  dire survivre – ont conduit l’armée à franchir le pas ; à engager la marche sur Karthoum.

Les pouvoirs qui se sont installés revêtirent d’emblée une dimension factice. Il serait long et fastidieux de décrire tous les accords qui se sont noués.

Abdallah Hamdok, celui qui devait incarner le renouveau soudanais pour certains, avec un juste retour du pouvoir aux civils, occupa sa place de chef d’État durant un peu plus de deux ans. Il la perdit le 25 octobre 2021 (source), fut assigné à résidence… avant d’y revenir le 22 novembre 2021, jusqu’à sa démission le 2 janvier 2022 (source).

À ce moment-là, pour reprendre les termes de Jacques Deveaux, journaliste pour France Télévisions : « la démission du Premier ministre Abdallah Hamdok met fin à une hypocrisie politique (…) confortant la mainmise de l’armée à Khartoum qui n’a plus besoin de paravent ».

En évoquant cette « hypocrisie politique », notre confrère fait sans nul doute référence à cette impression, partagée par beaucoup d’observateurs, que Monsieur Hamdok avait tout d’une distraction, d’un prétexte incarné, donnant l’illusion d’une légitimité civile là où les factions militaires tirent les ficelles.

Tantôt messie, tantôt traître, l’homme d’État était pour ainsi dire condamné à se retirer.

Et c’est Abdel Fattah al-Burhan, un général aguerri, qui s’est emparé du pouvoir (le Conseil souverain) le 21 août 2019. Plus d’avatar, donc : mais, loin s’en faut, la population n’a pas particulièrement gagné au changement.

Fattah al-Burhan et Mohamed Hamdan Daglo : deux antagonistes qui symbolisent le conflit

Général Mohamed Hamdan Daglo, souvent surnommé Hemetti, commandant des paramilitaires des Forces de soutien rapide (FSR). / PHOTO ASHRAF SHAZLY-AGENCE FRANCE-PRESSE

Aujourd’hui, et pour schématiser, le conflit se cristallise autour de deux figures : le chef de l’armée soudanaise d’un côté (Abdel Fattah al-Burhan), justement, et le commandant de la faction paramilitaire des FRS (Mohamed Hamdan Daglo, souvent surnommé Hemetti). Loin de constituer une simple opposition intestine, cet affrontement est rythmé par des luttes d’intérêt en tout genre, au grand dam des civils qui en subissent les conséquences de plein fouet.

La lutte, oscillant entre le froid et le tiède jusqu’ici, s’est clairement embrasée le 15 avril 2023. C’est là qu’a commencé « la guerre des généraux », comme le titraient Ali Ali et Mohnanad Hage Ali, dans un article de L’orient, publié le 06 mai 2023.

Depuis, et jusqu’au moment de ladite publication (source), les « combats entre les Forces armées soudanaises (FAS) (…) et les paramilitaires des Forces de soutien rapide (FSR) (…) ont fait plus de 700 morts et plus de 5000 blessés à travers le Soudan, en particulier à Karthoum ».

Ce choc des titans voit se livrer bataille une faction « régulière » (à l’origine d’un renversement, mais historiquement légitime) et une milice « paramilitaire », pour ainsi dire indépendante, qui trouve ses origines dans le contexte de la guerre du Darfour (commencée en 2003).

Tant que Béchir était au pouvoir, on pouvait compter sur un semblant de tempérance. L’hostilité n’en couvait pas moins. Au demeurant, selon les journalistes de l’article précité, « [l]es tensions entre les FAS et les FSR ont été la principale raison de l’échec de leur coup d’État d’octobre 2021 » (échec puisqu’il s’était soldé par un retour rapide d’Abadallah Hamdok).

On voyait là poindre les signes d’une incompatibilité ; les quelques points d’accord ne tenaient qu’à un fil. La fusion mise sur la table par les Forces de la liberté et du changement (FLC) n’a pas pu se concrétiser. Entre la FAS et la FSR, les différends portent sur une myriade de sujets, que ce soit par rapport à la durée de la transition ou au regard des relations nébuleuses avec les groupes islamistes.

Conflit au Soudan : comment entrevoir une issue ?

Il y aurait encore d’autres points d’achoppement à mettre en exergue pour décrypter l’antagonisme profond qui empêche tout vrai dialogue entre les deux hommes. Ne serait-ce que d’un point de vue territorial, ils n’ont pas les mêmes projets – l’un (Burhane) venant du Nord, l’autre (Hemetti) étant né au Darfour.

Quoi qu’il en soit, tout cela se conjugue douloureusement. À l’heure où nous rédigeons ces lignes, la capitale du Soudan (Karthoum) ne connaît pas de répit. Les attaques, les tentatives d’intimidation, les exactions commises par l’un ou l’autre des groupes sur les civils matérialisent cette opposition dormante, somnolente du moins, qui s’est impitoyablement réveillée.

Alors, comment le peuple soudanais, victime directe de ces aspirations au pouvoir, au contrôle, peut-il entrevoir une lueur d’espoir ? Soyons réalistes : la dissension reste trop enracinée pour espérer une résolution miracle. On voit mal comment la situation pourrait se rétablir du jour au lendemain.

Toutefois, tant que les deux généraux se regardaient en chien de faïence, l’inéluctable implosion empêchait d’entrevoir la moindre évolution. Nous ne sommes pas en train de dire que le conflit actuel est une « bonne chose », une « nécessité » – ce serait rester sourd aux lamentations des victimes.

Mais puisque le Soudan en est arrivé à ce cul-de-sac, puisque le couvercle de la marmite a cédé sous une pression toujours plus insidieuse, c’est à partir de l’évidence, de la réalité qu’il faut chercher le dessin d’une issue.

Désolantes, ces batailles montrent l’imbécilité (au sens littéraire du terme) d’un système qui n’en est pas vraiment un, d’un paradigme lâche, mâtiné de corruption et d’ingérences multiples. On se permet donc d’espérer, de projeter avec optimisme, un changement de cap. Comment ? Nous n’avons pas la prétention de lire dans l’avenir.

Pourquoi ? Parce que le terreau du chaos a bien souvent, dans l’histoire du monde, permis à de nouvelles fleurs de pousser. Les événements de 2023 peuvent signer la fin du réflexe militaire, le retour d’une aspiration populaire. Le concours de la communauté internationale pourrait y contribuer, mais c’est aussi, surtout au sein de la nation qu’un retour d’autodétermination doit émerger. En urgence. Là, seulement, pourra se profiler la paix.

ONGUI Simplice
osimgil@yahoo.co.uk