En octobre 2013, le Haut-commissariat des Nations-Unies pour les réfugiés, a appelé de tous ses vœux l’engagement de la communauté internationale à mettre fin à l’apatridie. Ce qui a donné naissance au «Plan d’action global 2014-2024 ». Depuis lors, les Etats ont commencé à se mobiliser en conséquence. C’est dans cette mouvance que la sous-région ouest africaine vient de s’inscrire à travers la tenue de la première conférence ministérielle sur l’apatridie au sein de la Cedeao en Côte d’Ivoire.
Mieux vaut tard que jamais, dit-on. La question de l’apatridie, qui est un fléau mondial avec plus de dix millions de cas, touche aussi bien l’Afrique, et en particulier l’Afrique de l’ouest. L’ampleur du phénomène est plus importante dans cette région étant donné les vastes mouvements de migration de populations qui s’y sont opérés bien avant les indépendances, et qui se poursuivent jusqu’à ce jour. Malheureusement, il n’existe pas de statistiques permettant de déterminer avec exactitude le nombre d’apatrides résidant dans l’Union. Aujourd’hui, de plus en plus de gouvernants prennent conscience de la tragédie humanitaire et sociale que cette situation représente pour des millions de personnes. Et sur les quinze pays membres de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’ouest (Cedeao), huit ont déjà ratifié les conventions internationales relatives à l’apatridie. En l’occurrence les conventions de 1954 relatives au statut des apatrides et de 1961 sur la réduction des cas d’apatridie. Du 23 au 25 février 2015, la capitale économique ivoirienne, Abidjan, a abrité la première conférence ministérielle régionale des Etats membres de la Cedeao dans le cadre de la campagne mondiale d’éradication de l’apatridie (2014-2024). Cette rencontre a permis de passer en revue les instruments juridiques internationaux, régionaux et nationaux existant en la matière, leurs forces et faiblesses. Désormais, la balle se trouve dans le camp des décideurs politiques, comme s’était d’ailleurs le cas, il y a déjà quatre années de cela. Car, il faut le signaler, c’est depuis 2011 que les Etats de la Cedeao ont commencé à ratifier les conventions de 54 et de 61 sur l’apatridie. «De manière générale, un apatride reste un humain. A partir du moment où un Etat est partie aux différentes conventions, ou même simplement s’il est attaché au principe de respect des droits de l’homme, … il y a une obligation, logiquement, d’avoir une procédure, parce qu’il faut pouvoir les reconnaître», dira Véronique de Ryckere, grande défenseuse des Droits de l’homme. Or, les Etats ne sont visiblement pas prompts à instaurer ce genre de procédures.
Volonté rédactionnelle, réticence opérationnelle
Si l’on constate ces derniers temps un mouvement d’ensemble, de convergence d’idée dans le sens de parvenir à éradiquer l’apatridie, fort est de constater cependant que cette volonté ne se limite qu’à l’adoption des textes. L’opérationnalisation des procédures conventionnelles et mêmes celles contenues dans les textes de lois au plan national, sont loin de connaitre un début d’application sur le terrain. Et cela, dans la majeure partie des pays concernés. En Côte d’Ivoire par exemple, lors des différents sommets qui ont eu lieu dans le cadre de la recherche de la paix à la faveur du coup d’Etat de 2002 qui s’est transformé en rébellion armée, plusieurs propositions ont été faites. En ce qui concerne les supposés étrangers résidant en Côte d’Ivoire. Les parties étaient convenues de la naturalisation de toutes les personnes nées sur le territoire ivoirien avant l’indépendance de la Côte d’Ivoire. Un processus procédural qui devrait aboutir à une réduction significative du nombre de sans-papiers présents sur le territoire ivoirien. Ainsi, un grand nombre d’apatrides auraient acquis une existence juridique et légale. Malheureusement, de retour à Abidjan, ces documents ont été soigneusement rangés dans les tiroirs. Au point qu’on se retrouve aujourd’hui comme à la case départ. Mais d’un point de vue général, hormis les obstacles soulevés par le plan d’action global 2014-2016, il existe au niveau des gouvernants une sorte de protectionnisme identitaire, sinon un nationalisme très poussé. De sorte qu’une opération de naturalisation est perçue comme une manière voilée de brader la nationalité. «Les Etats africains sont trop jaloux de leur nationalité et de leur souveraineté», disait Emmanuelle Mitte, administratrice principale régionale en charge de l’apatridie au Hcr. Le ministre ivoirien en charge de la Justice, Gnénéma Coulibaly, ne dira pas le contraire quand il affirme qu’une vaste opération de naturalisation pourrait attirer un grand nombre de personnes, même celles ne remplissant pas les conditions d’apatride. D’où la posture d’homme prudent qu’il a décidé d’adopter: «Il est difficile de cerner le problème parce que les sans-papiers ne se déclarent pas. Ils estiment qu’en le faisant, ils s’exposent à des problèmes bien plus compliqués, étant donné qu’ils vivent en situation d’irrégularité. Ils craignent donc d’être rapatriés. Mais où ? Donc vous comprenez que ce n’est pas un problème qu’on peut régler aussi simplement que vous le croyez», s’est voulu un peu plus clair, le ministre ivoirien de la Justice et des libertés publiques.
La pression sociale est omniprésente
Il n’y a pas que les pouvoirs publics qui prennent des précautions pour prévenir d’éventuels ‘’envahisseurs’’. Les populations, elles-mêmes ne sont pas toujours favorables aux opérations visant à donner la nationalité aux personnes qu’elles considèrent comme des non nationaux. Déjà qu’en Afrique, le niveau de vie reste encore très faible par rapport à la moyenne mondiale, créer une ‘’nouvelle race de citoyens’’ dans un pays, c’est comme ralentir l’épanouissement de ceux existant. «En tant qu’Ivoirien, j’ai du mal à trouver un emploi. Du coup, il m’est difficile de scolariser mes enfants, de bénéficier de soins de santé de qualité, de nourrir ma famille convenablement, de me loger décemment. Tout cela, parce que ne trouvant pas de boulot aisé, l’argent se fait rare. Vous voyez donc que l’Etat n’a pas encore fini de régler nos problèmes, et si de nouveaux Ivoiriens doivent venir s’ajouter un bon matin, c’est certain que la situation va devenir plus compliqué que ce qu’on vit actuellement», soutient N. J. Kouma. Tandis que certains cherchent à sauver leur peau, d’autres par contre sont remontés contre les hommes politiques qu’ils accusent de vouloir constituer des bétails électoraux, acquis à leur cause. «Ils veulent naturaliser des étrangers qui vont les voter», tranche J. B. Douo. Face à toutes ces appréhensions qui constituent pour nos gouvernants africains, une pression à prendre en compte, une seule alternative se présente : la sensibilisation. Cette sensibilisation qui doit emmener les populations à comprendre que « l’apatridie est une grave violation des droits humains. Il serait profondément immoral de maintenir les souffrances qu’elle cause alors que des solutions sont nettement possibles», comme le dit António Guterres, Haut-Commissaire des Nations-Unies pour les réfugiés. Toute chose qui devrait faciliter la mise en oeuvre des recommandations d’Abidjan, inspirées du Plan d’action mondial qui, selon António Guterres, «énonce la stratégie permettant de faire cesser définitivement cette souffrance humaine dans dix ans». Les recommandations d’Abidjan tournent donc autour de la prévention de l’apatridie par des réformes au plan législatif et par l’enregistrement des naissances et le renforcement des systèmes de documentation. «Nous nous engageons à prévenir et à réduire l’apatridie, notamment par la révision des cadres normatifs et institutionnels liés à la nationalité afin d’y intégrer les garanties appropriées contre l’apatridie. Notamment la garantie que chaque enfant acquiert une nationalité dès la naissance et que tous les enfants trouvés obtiennent la nationalité du pays dans lequel ils sont trouvés», lit-on dans la déclaration finale. Au titre de l’identification des apatrides qui se trouve être le volet le plus complexe, selon le ministre ivoirien en charge de la Justice, la Conférence s’est engagée à adapter «les programmes étatiques de collecte de données démographiques aux principes et recommandations du recensement de la population et de l’habitation des Nations-Unies, afin d’identifier systématiquement les apatrides tout en respectant les principes de confidentialité et de dignité humaine». Pour les cas d’apatridie déjà existants, les ministres des Etats membres de la Cedeao se sont engagés à réformer les lois et politiques en vue d’accorder une nationalité à ces populations de critères prescrits sur la base de la naissance sur le territoire ou la résidence de longue durée.
Elysée LATH
Source : Le Sursaut, mercredi 02 mars 2015