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Professeur Franklin Nyamsi, président de la Commission scientifique du colloque

(L’Inter) – Le Club International de Conférences de l’Assemblée Nationale de Côte d’Ivoire organise un colloque international, qui s’ouvre ce lundi 22 avril 2013 à Abidjan sur le thème ”Usages du langage et usages de la violence”. En prélude à cette grande rencontre, le président de la commission scientifique, le Pr. Franklin Nyamsi explique.

Professeur, pouvez-vous expliquer l’opportunité du colloque sur les usages du langage et de la violence auquel vous prenez part le lundi prochain à Abidjan?

Vous le savez sans doute. La parole est le fondement de l’ordre humain. Elle en est l’alpha et l’oméga. Et c’est donc aussi l’échec du ministère de la parole qui entraîne bien souvent la misère des violences. L’Afrique a été durement frappée depuis les indépendances par une succession de crises politiques, socio-économiques, culturelles et militaires qui ont été largement formulées et entretenues par des discours idéologiques, stratégiques, philosophiques, théologiques et ethnocratiques de leaders d’opinion qui portent ainsi une part de responsabilité importante dans les tragédies qui s’en sont suivies. Je prends à titre d’exemples le rôle néfaste joué par la radio dite des Mille collines dans le génocide rwandais, le rôle des parlements-agoras des années de la refondation dans la brutalisation de la société ivoirienne, le rôle des prophètes illuminés dans l’exacerbation des pulsions d’ensauvagement, le rôle des intellectuels antidémocrates dans le travestissement des opinions, ou encore le rôle de la propagande anticolonialiste dogmatique dans la diversion internationale organisée par certains africains contre la démocratisation effective du continent. il était donc important que la côte d’ivoire, placée dès son indépendance sous les auspices de l’esprit de paix et de fraternité des peuples, soit le lieu qui accueille en ces temps perplexes, une réflexion à nouveaux frais sur les manières de parler et de violenter. En réfléchissant sur l’importance de la responsabilité de parler et de l’exceptionnalité de la violence politique légitime, nous offrons à l’espace public ivoirien et africain, avec l’encouragement de la représentation nationale ivoirienne, un moment de distanciation critique qui fécondera, nous l’espérons, la conscience des acteurs d’ici et d’ailleurs. Il s’agit donc au fond de produire, un espace critique et autocritique vivant et fécond en Afrique contemporaine. Et il convient de saluer ici le président de la république, le Dr. Alassane Ouattara, mais aussi le président de l’assemblée nationale, Guillaume Kigbafori Soro, pour leur engagement permanent à rester au contact quotidien des pensées vives qui animent les intelligentsias ivoirienne, africaine et internationale. Un exemple qui devrait faire tâche d’huile en Afrique, où trop de politiques demandent aux intellectuels de renoncer à penser pour les suivre, alors que les dirigeants ivoiriens nous proposent plutôt de dialoguer régulièrement avec eux, pour libérer toutes les énergies créatrices-positives.

Comment appréhendez-vous le discours politique ces derniers temps en Côte d’Ivoire ?

La parole politique, parole éminente parmi les paroles – car elle ordonne la totalité de l’ordre social -, doit se revêtir du manteau de la légitimité démocratique afin d’être assumée avec justice et vérité. Je dois d’abord dire que le triomphe de la démocratie dans les urnes le 28 novembre 2010 a été le premier acte de redressement du discours politique ivoirien. Alassane Ouattara, objet focal de tous les ostracismes pendant les 20 années précédentes, a été pédagogiquement préféré par les ivoiriens à celui qui se présentait pourtant comme ”le candidat 100%” ivoirien. Le peuple de côte d’ivoire a ainsi repris clairement la parole. De même, les élections législatives ont doté la majorité actuelle d’une représentativité suffisante pour pouvoir, sans baisser les yeux, porter aux quatre coins du monde, la parole du peuple de côte d’ivoire. On a vu Guillaume Soro, depuis lors, redorer et faire rayonner le blason du parlement ivoirien dans tous les cénacles démocratiques du monde. Désormais, dans ce pays-laboratoire, la vérité des urnes a pris le pas sur la dureté des mensonges et je peux dire que le reste s’en est suivi. Le discours politique ivoirien est devenu, avec l’avènement d’un chef de l’etat et d’un parlement légitime, un discours ténu par des gens qui manifestement savent l’importance de parler avec tact, modestie, profondeur et grandeur. La dynamique d’apaisement enclenchée par la légitimité du politique peine cependant à être reconnue par tous ceux qui, sous le nom de ”démocratie”, ont toujours pratiqué en fait de l’ethnicisme, du clientélisme, de la xénophobie, de l’amateurisme et de la politique de courte vue. Les théoriciens anciens et nouveaux de l’ivoirité, tapis dans toutes les familles politiques qui ont alimenté ce thème depuis deux décennies, ne veulent pas entrer résolument dans l’État de droit moderne qui émergent. Certains croient encore aux armes de la parole : dénigrements, calomnies, propagande, harcèlement médiatique, comédies victimaires, faux procès d’intention, se multiplient depuis la chute du Fpi, comme si la répétition du mensonge pouvait blanchir à elle seule les 10 années négatives indûment et ingratement passées par Laurent Gbagbo à la tête de la côte d’ivoire. La presse, l’intelligentsia démocratique ivoirienne, africaine et internationale, les politiques engagés dans le renouveau républicain de la côte d’ivoire, doivent résolument se mobiliser pour noyer la haine dans le feu de la vérité, de la justice et de la charité. D’autres réactionnaires de l’ordre ancien croient encore, aux frontières est et ouest de la côte d’ivoire, mais aussi dans les armées et police où ils ont encore probablement quelques infiltrés téméraires, ceux-là croient donc dis-je, en la parole des armes. Or, dans ces circonstances, c’est le fer qui aiguise le fer. Il appartient au gouvernement légitime et légal de côte d’ivoire d’exercer face à cette violence perlée et sporadique, toute la plénitude de ses attributs régaliens, afin que paix et prospérité règnent durablement, pour la sérénité de tous les ivoiriens, politisés ou non, proches du pouvoir ou membres de l’opposition républicaine. L’avenir immédiat de la côte d’ivoire dépend de sa victoire dans le pari de la sécurité pour tous. Et avec ses près de 10% de croissance économique, ce pays ne va pas tarder à remplir plus amplement les promesses qu’il a commencé à respecter. C’est tout le mal que je lui souhaite !

Doit-on trouver, dans les crises en Côte d’Ivoire, les effets d’un mauvais usage du langage ?

il ne faut pas incriminer le langage en soi, mais le langage en tant qu’instrument de domination. Ce n’est pas du tout la même chose, car le violent, comme le pacifique, parlent tout de même! Mais la finalité et les modalités de leurs discours respectifs sont diamétralement opposées. il serait long d’analyser ici toutes les crises ivoiriennes. La dernière parle cependant assez de toutes les précédentes. Dans la crise post-électorale ivoirienne récente, des acteurs parlants ont incontestablement contribué à préparer, organiser et perpétrer les violences, tout comme ils s’attachent aujourd’hui à les justifier ou réorganiser. La bonne question dans ces cas-là est la suivante: Qui a fait une campagne électorale d’incitation des ivoiriens à la violence? Qui a sorti l’armée dans les rues de côte d’ivoire en pleine période électorale, au motif d’un état d’urgence qui lui permettait de tenter d’intimider au fond ses adversaires? Qui a engagé l’exclusion de nombreuses régions de ce pays du décompte électoral afin de s’autoproclamer président? Les violents, qui passent pour des agneaux, ne doivent pas nous faire oublier leurs dents de loups! Ces quelques interrogations vous permettent de savoir qu’incontestablement dans ce pays, ceux qui s’en sont souvent crus propriétaires consanguins, sont la source de la majorité des conflits qui s’en sont suivis. La haine de l’africain par l’africain, de l’ivoirien envers l’ivoirien, la croyance que les États hérités des frontières coloniales peuvent fonder un nationalisme pertinent, voilà autant de pensées tributaires de l’économie de l’exclusion et de la violence qu’il faut décrypter, désarmer et combattre, aussi bien intellectuellement que politiquement partout sur le continent, sans exception, en vue d’une civilisation africaine de la démocratie. On ne corrige donc pas les dérives langagières de portée politique par de simples leçons de grammaire.

Mais, par l’éducation, l’incitation, l’obligation voire la contrainte d’être responsable de ses actes en tant que citoyen, en tant que personne humaine. Ici, vérité, justice et charité doivent se tenir la main dans la main.

Sans faire le colloque avant le colloque, est-il possible de corriger le discours politique dans un pays aussi déchiré comme la Côte d’Ivoire ?

On ne corrige donc pas les dérives langagières de portée politique par de simples leçons de grammaire. Mais par l’éducation, l’incitation, l’obligation voire la contrainte d’être responsable de ses actes en tant que citoyen, en tant que personne humaine. Ici, vérité, justice et charité doivent se tenir la main dans la main. La parole responsable doit être vénérée et encouragée; la parole irresponsable doit être récusée, et au besoin sanctionnée, dans les limites du respect des libertés fondamentales de chaque citoyen. C’est aussi cela l’État de droit.

Au fond, le discours ne traduit-il pas une réalité confligène, qui le précède ?

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L’Honorable Guillaume Soro, président de l’Assemblée Nationale de Côte d’Ivoire, parrain du colloque

Dans l’ordre humain, la parole est toujours plus ancienne, car la guerre elle-même est la politique, c’est-à-dire aussi une certaine parole, poursuivie par d’autres moyens. La violence peut malheureusement aussi être langage, mais il faut évidemment toujours se demander si cette violence est sacrificielle pour la Vie, la vérité et la justice ou si ladite violence est sacrificielle pour la Mort, le mensonge et l’injustice. Le fait qu’une réalité soit confligène ne prouve pas nécessairement que tous les acteurs du conflit aient également tort. Dans une dictature, la résistance est un acte de légitime défense. Résister aux violences de l’idéologie identitaire de l’ivoirité, ce n’est pas la même chose que résister au gouvernement légitime de côte d’ivoire en vue de rétablir l’ivoirité. La guerre contre la haine organisée en crime ne se fait pas à cœur joie. Mais elle peut se faire en vue d’une paix juste et exemplaire, qui seule peut mettre un terme, si tous les acteurs sont minimalement honnêtes, au cycle de la terreur. Je pense donc que la politique du boycott actuellement pratiquée par le Fpi, ainsi que le harcèlement armé du gouvernement ivoirien par les extrémistes de la refondation, sont des lettres d’un alphabet politique de l’impasse épaisse. Ce registre de la violence absurde doit être clos.

Quelle appréciation faites-vous du discours des religieux dans l’exacerbation des clivages dans un pays comme la Côte d’Ivoire où les acteurs politiques n’échinent pas à instrumentaliser même les religions pour parvenir à leur fin ?

Le colloque abordera utilement cette question. La religion, au minimum, c’est une école de paix sociale et de partage harmonieux du cosmos avec les autres vivants. Islam signifie paix et le judéo-christianisme ne nous dit pas autre chose que la fameuse formule ”que la paix du Seigneur soit avec vous!”. Ce n’est donc pas la religion en soi, comprise comme quête spirituelle de l’homme qui est en cause en côte d’ivoire et en Afrique en général. C’est l’instrumentalisation des associations religieuses par des entrepreneurs politiques rhéteurs, corrompus, dangereux et prétentieux qui pose problème. il me paraît nécessaire qu’une politique de la ”pax religiosus africana” soit suivie partout en Afrique, avec deux principes simples: respecter les libertés religieuses qui respectent la liberté de conscience et pratiquent une tolérance mutuelle des communautés, et combattre sans pitié les intolérants, les manipulateurs de tous bords, y compris en les déchargeant des obligations religieuses qu’ils exercent indûment et en leur appliquant des lois anti-sectaires bien pesées.

Que vise, enfin ce colloque, au lendemain des élections locales et à quasiment 3 ans encore des prochaines échéances présidentielles ?

Notre colloque n’a aucune arrière-pensée politicienne. Nous n’avons aucune vocation à choisir les élus du peuple entier de côte d’ivoire, dont nous sommes de modestes et fidèles compagnons de lutte. Notre visée, c’est une contribution intellectuelle sincère et exigeante à l’émergence démocratique ivoirienne, afin d’en faire le ferment d’autres sillons africains. Notre colloque participe humblement à l’enrichissement du débat public ivoirien par des contributions que nous espérons qualitatives. Il contribue aussi à augmenter le potentiel critique sur notre continent captif de trop d’habitudes de penser et de faire dont nous devons nous défaire : remettre à demain les tâches urgentes, laisser le reste du monde penser nos problèmes, plaquer des solutions impensées sur des problèmes inadéquats, inventer de faux problèmes pour cacher les vrais, fabriquer des boucs-émissaires pour échapper aux exigences de l’effort et de l’acceptation de la réalité, etc. Evidemment, quand la conscience critique est assez élevée dans un pays, il ne se laisse jamais diriger par un Boulanger. Cela aussi, nous ne l’oublions pas. L’impuissance de la pensée critique est le lit préféré de la servitude volontaire des peuples, comme l’indiquait il y a bien longtemps, Etienne de la Boétie.

Qui sont les participants attendus à ce colloque ?

Ce colloque est placé sous le parrainage du président de l’Assemblée Nationale de Côte d’Ivoire, l’Honorable Guillaume Soro qui prend à cœur, le dialogue des politiques et des intellectuels de notre continent. Une douzaine de communications seront présentées pendant les deux journées de ce colloque du 22 au 23 avril à l’Hôtel TIAMA au plateau, par des philosophes, des géographes, des spécialistes de la littérature, des journalistes, mais aussi des spécialistes de Sciences politiques venus de côte d’ivoire, d’Afrique en général, mais aussi d’Europe et d’Amérique du nord.

Entretien réalisé par F.D.BONY