Par Père Marius Hervé Djadji

Jésus disait à la foule : « Écoutez-moi et comprenez-moi bien : ce qui rend un homme impur, ce n’est pas ce qui entre dans sa bouche, mais ce qui en sort ». (Mt 15, 10-11)
« Ne saisissez-vous pas que tout ce qui entre par la bouche va dans le ventre, puis est évacué par voie naturelle ? Mais ce qui sort de la bouche vient du cœur, et c’est cela qui rend l’homme impur.
Car, c’est du cœur que proviennent les mauvaises pensées qui mènent au meurtre, à l’adultère, à l’immoralité, au vol, aux faux témoignages, aux blasphèmes » (Mt 15,17-19).
Ces paroles fortes de Jésus Christ sont d’actualité lorsque nous observons aujourd’hui l’environnement politique dans nos pays africains.
En effet, à l’approche de 2020, année électorale dans plusieurs pays, je constate un cheminement qui risque de nous conduire vers des violences. Pour éviter que ma chère Côte d’Ivoire ne devienne encore une fois un champ de bataille entre ses fils, je propose cette analyse pour interpeller chaque Africain.

Le constat que je fais lorsque j’observe la situation politique dans nos pays, c’est l’émergence d’un vocabulaire injurieux dans les échanges entre les différents camps politiques. La violence verbale est devenue monnaie courante dans les discours entre politiciens, leurs partisans et thuriféraire. On ne respecte plus la dignité humaine dans les propos. Chacun utilise un langage qui peut faire mal à l’autre en lieu et place d’un projet politique et d’un programme capable de rassembler les Ivoiriens et de développer notre beau continent.
Ces discours haineux ne sont pas à négliger, parce que la violence physique est engendrée par la violence verbale. Le vocabulaire est conçu à partir du cœur. Si dans le vocabulaire nous considérons l’autre comme un ramassis ordurier nous sommes capables de le tuer, de le découper avec nos machettes. Avec ces injures qui inondent l’espace politique africain, nous avons atteint une étape grave qui n’est pas loin d’un génocide parce que dans notre langage, l’autre est tout sauf une personne humaine. À un an des élections nous ne nous regardons plus comme des frères d’une même mère, la Côte d’Ivoire, nous ne nous regardons plus comme des enfants d’un même Père : Dieu. Les amis d’hier se considèrent aujourd’hui comme des ennemis à abattre. Pourquoi toute cette animosité ? Pour servir la nation ? Je dis non. On ne sert pas la nation en incinérant le peuple. Peut-être pour une chaise royale ? Là aussi je dis non, car un roi ne règne pas sur des tombeaux blanchis.

Fiers Ivoiriens, fils et filles de nos ancêtres, le pays nous appelle. Si nous regardons cette première étape sans rien dire, si nous pensons que c’est de la comédie, nous allons encore une fois de plus enterrer des milliers de morts. Avant que les fusils ne détonnent, avant que les machettes ne sortent, commençons à lier nos langues si elles ne servent pas à construire la fraternité entre nous. Si ce que tu dis nous conduit à la guerre, je te demande de te taire. J’invite chaque Ivoirien au dialogue de charité.

Que retenir?

Que nos hommes politiques ainsi que tous leurs partisans posent des gestes qui permettront de construire une Côte d’Ivoire de charité avant les élections de 2020 parce que les injures et autres discours guerriers conduisent au génocide alors que seul l’amour fera de notre continent un lieu où l’enfant jouera avec le cobra, l’agneau et le lion s’embrasseront, la panthère et l’écureuil joueront ensemble et l’épervier veillera sur le poussin. Que chaque ivoirien s’interroge d’aujourd’hui jusqu’à la prochaine élection : qu’ai-je fait hier pour qu’il y ait des milliers de morts ? Que dois-je faire aujourd’hui pour éviter la guerre ?

C’est en Côte d’Ivoire qu’une élue insulte sa sœur : « ibièkéssè » et on applaudit. C’est en Côte d’Ivoire qu’un individu affirme qu’il se lavera avec le sang des chrétiens qui aimeraient faire une simple procession et il n’est pas inquiet. C’est en Côte d’Ivoire que sur les réseaux sociaux on insulte l’intimité du chef de l’Etat et on applaudit. C’est en Côte d’Ivoire qu’un pseudo Imam insulte publiquement les chrétiens et il n’est pas inquiet. C’est en Côte d’Ivoire qu’on danse parce qu’un adversaire politique est décédé. C’est en Côte d’Ivoire qu’on transforme les réseaux sociaux en des espaces d’injures publiques au nom de la politique et on inonde cela de « j’aime ».

C’est en Côte d’Ivoire qu’un ministre demande aux Forces de l’ordre de faire ce qu’elles veulent à des marcheurs sans qu’il ne soit inquiété parce qu’il est ministre. Je lance encore publiquement un appel au chef de l’Etat, aux leaders des partis politiques et à leurs partisans. Vous poussez trop le bouton. Même si vos enfants ne vivent pas au pays, même si vous avez tous des doubles nationalités, celui qui par ses propos conduira le pays à la guerre rendra compte à Dieu du sang versé.

Je serai toujours le griot, la voix des pauvres, celui qui vous citera nommément. Notez que c’est fini, l’époque où tout le monde était coupable, tout le monde était victime, parce que l’on n’était pas assez courageux pour nommer clairement le coupable.
La politique de « tous coupables, tous victimes » est terminée. Il faut nommer sans peur le coupable pour que les pauvres victimes se sentent considérées et guérissent.

Père Marius Hervé Djadji
Docteur en théologie dogmatique
Contact : lajoiedeprier.nguessan@yahoo.fr