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Ivoirecritique | Le coupé décalé est assimilé à une musique sans inspiration consacrant des cris de rage indéchiffrables et des décibels assourdissants. Il lui est reproché sa verbosité stérile et son impuissance à proposer un message audible et porteur. Ses pourfendeurs mettent aussi en avant ses pas de danse vertigineux où s’entremêlent acrobaties et voltiges.

Le coupé décalé, en effet, se situe à la périphérie des normes orthodoxes. Choquer par des discours égotiques, des accoutrements rebelles et des chorégraphies gymniques semblent être les critères par lesquels se déterminent cette « peste  artistique ». 

Dans la galaxie de la « sagacité », se distingue, cependant, telle une étoile noire dans la nuit noire, Serge Beynaud. On le remarque par sa mise vestimentaire de gentleman. Veston à la coupe italienne, costume prêt du corps, assorti d’une cravate étirée ou d’un noeud vermeil. Point de méchant « jean » qui laisse entrevoir impudiquement un « chocoto » à la couleur douteuse. Serge Benaud est tel un dandy dans un univers de démence et de révolte ! Du point de vue vestimentaire, il réhabilite le milieu par son élégance et ses goûts raffinés. Il fait tomber les oripeaux caractérisant les coupé-décaleurs ! 

Ses pas de danse – le point d’orgue de son art – refusent les voltiges et les virtuosités physiques. La chorégraphie de l’artiste est une quête d’harmonie et de grâce. Ses mouvements scéniques sont séduction et bonheur pour les yeux. Le coupé décalé de Douk Saga, quand bien même il invite au « s’envolement » relevait du « farot », avec les pieds bien plantés au sol. Celui de Yorôbo est un déferlement de gestes déroutants par lesquels le corps est soumis à toutes sortes de contorsions. La danse souvent vire à l’art martial, à une démonstration de souplesse. 

Serge Beynaud, par son jeu chorégraphique, fait descendre la danse coupée-décalée de là où Arafat l’avait accrochée. Il vient sur scène pour que la danse ne soit pas une décadence, mais un art qui ait un sens. Beynaud, en donnant du rythme à la « sagacité » sans la détacher du sol, se veut le héraut d’une conception médiane entre l’art de Douk Saga et celui de Yorobo. Il est le trait d’union entre deux philosophies, deux visions différentes. Il est l’homme de la conciliation, de la concorde, de l’harmonie. Nous en voulons pour preuve ses pas de danse faits d’élégance et de grace. La danse de Beynaud bien que « décalée » de l’originelle n’est point « coupéé » d’elle. Elle est une exaltation de la vie et de la joie. L’occupation scénique de ce danseur hors-pair répond à une philosophie de quête de l’ordre. « La danse joue un rôle capital dans les relations humaines, elle est une école du comportement social, de l’harmonie du groupe. La danse est l’école de la générosité et de l’amour, du sens de la communauté et de l’unité humaine » clamait Rudolf von Laban. 

 Hors scène, il n’est ni une voix irrévérencieuse ni une gueule injurieuse. L’artiste veut simplement être en harmonie avec son environnement.  Beynaud récrée le coupé-décalé par une mise en ordre du désordre. Ses pas de danse constituent une tentative de reconstruction d’un univers en état de chaos. On peut alors dire que l’arrangeur est monté lui-même sur scène pour apporter au mouvement ce qui lui fait défaut : l’équilibre et l’élégance. Ses prestations chorégraphiques est un discours, un acte de communication que ne peuvent percevoir que les cœurs épris de beauté et de paix. Dénis Diderot a bien raison de dire : « Une danse est un poème ». 

Après avoir arrangé les sons, Serge Benaud se donne le devoir d’arranger, cette fois-ci, cette danse qui depuis un moment a emprunté les chemins tortueux. Le coupé décalé, semble nous dire le gentleman, lorsqu’il est en prestation, n’est pas un art martial, mais bien une danse. 

Macaire Etty

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