Dédiée aux femmes internautes de mon pays. Notamment à : Fatyma Kaba, Majesté Estelle, Marie Joël Kéi.
Un fait médiatique secoue, depuis hier, la toile : la simulation du viol d’une femme par un quidam ; et cela, en direct d’une chaîne de télé, à une heure de grande écoute. La colère des internautes et la vague d’indignations généreuses qui irradient la toile en ce moment traduisent parfaitement le refus de nombreux Ivoiriens de cautionner de telles scènes qui, reconnaissons-le, heurtent nos certitudes éthiques. Bien évidemment, je me joins à ce torrent de protestations légitimes.
À l’instar de nombre de mes concitoyens, je condamne donc cette séquence télé absolument déplacée. Elle offense, en effet, notre sens civique et dérange notre confort intérieur (même si la femme violée n’était qu’un mannequin — comme on l’a vue sur les vidéos). Non, nous ne saurions accepter cette banalisation outrageante d’un acte de violence extrême perpétré sur une femme. Le viol, tout viol, est violence. Le viol est une violation de l’intégrité physique du violé (ou de la violée, dans le cas d’espèce.) Le viol est un haut acte de rapt et souillure de l’intimité de l’agressée. Je comprends donc et soutiens entièrement ce courant d’indignations qui inonde les réseaux sociaux.
Nos pays africains, sous et mal développés, en peine d’émergence, ont besoin de se nourrir d’images fécondes susceptibles d’armer les cerveaux et toute la psyché nationale vers la réalisation de faits productifs et sains. La télé, parce qu’elle véhicule le son, l’écrit, l’image et toute sa charge chromatique qui génère des émotions fortes, devait veiller à ne pas outrepasser l’éthique (quoique non expressément prescrite) en matière d’éducation des masses.
Sur la question, j’ai été rassuré de lire le post de l’animateur imprudent, Yves de Mbela. En toute humilité, il a reconnu sa faute, a pris conscience de la gravité de l’acte qu’il avait posé (sans doute par altération de vigilance et mauvaise inspiration professionnelle). Cela n’efface pas l’outrage certes, mais c’est tout de même un acte réconfortant. J’en appelle alors au sens du pardon des téléspectateurs, et surtout, des femmes qui ont souffert dans le corps et l’âme, en voyant la dramatisation comique de ce supplice que nombre d’entre elles, hier violées, portent encore dans leur intériorité, dans le silence et la solitude des martyrs qui vivent leurs tragédies muettes. Il n’y a rien d’aussi traumatisant que la retranscription banalisée d’un supplice — j’en conviens. Yves de Mbella et, avec lui, la télé qu’il sert, sont indiscutablement en faute ; et je ne saurais ne pas les accuser de violences avérées sur l’esprit des téléspectateurs. Mais, n’allons pas plus loin que l’expression verbale de notre indignation. Le dicton dit : « Une faute avouée est à moitié pardonnée.» N’oublions donc pas ce joli précepte en nous disant, au fond de nous-mêmes : « Nous sommes, tous, faillibles ».
Félicitations aux internautes et à la vaste communauté des femmes lettrées de notre pays, pour cette réaction saine qui indique, tout heureusement, que notre société n’est pas tout à fait perdue : il y a, encore, ici, des esprits capables d’indignations salubres. Il faudrait, à présent, veiller à faire de ce réflexe (le sens de l’indignation collective), une culture sociale de la protestation à grande échelle. Et celle-ci doit envahir tous les domaines où quelques-uns d’entre nous se plaisent, dans le climat d’impunité ambiante, à poser des actes d’incivisme inacceptables : ne pas s’arrêter aux feux rouges, klaxonner à tue-tête, écraser des passants par excès de vitesse (et même l’excès de vitesse tout court), rouler sans phares et avec des pneus lisses comme des œufs de Pâques, assister à des scènes de racket (spectacle quotidien), accepter, dans le silence des résignés, les retards insolents des ministres de la république aux cérémonies où ils sont invités, tolérer l’absence des médecins du public dans les hôpitaux publics (ils travaillent dans les cliniques huppées de la capitale), s’accommoder des scènes de sexe débridé et de violence inouïes servies par des chaînes de télé intouchables, etc. Tant et tant de ces anormalités et anomalies que notre société devra, désormais, se fixer pour objectif et devoir civique de dénoncer hautement afin d’aseptiser notre environnement mental.
Une bûchette d’allumette peut embraser toute une forêt en détruisant les mauvaises herbes et habitants nocifs (les bêtes nuisibles) qui la hantent. Œuvrons donc à faire de l’acte regrettable d’Yves de Mbella, cette bûchette d’allumette qui va nous aider à dératiser notre société. Les hommes ivoiriens ont trahi nos espérances de voir renaître ce pays à des valeurs et notions productives. Il vous appartient, à vous les femmes, d’actionner le levier du changement. J’ai foi en votre révolte.”
Tiburce Koffi, Enseignant et Ecrivain.
Email : gnametkoffi@gmail.com