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La percée du mouvement évangélique et la floraison des lieux de culte ont fait naître certaines pratiques chez des hommes de Dieu. Qui n’hésitent pas à transformer la maison de Dieu en des endroits de véritables business autour des opérations de quêtes, dîmes, cotisations ordinaire, etc. Escroquerie ou prescription divine, le débat achoppe. Regards croisés de certains acteurs.

Par ELYSEE LATH 

«Avec Dieu, on ne raisonne pas. Nos actions sont guidées par la foi que nous avons en notre Seigneur. Cela ne s’explique pas, ça se vit», affirme Ahoussi Ferdinand, chargé de paroisse. Voilà qui est clair pour qui veut servir Dieu au travers d’une congrégation religieuse. Cette conception des choses est partagée par l’ensemble des adeptes de la religion, ces personnes qui ont décidé de ‘’donner leur vie à Dieu’’, espérant après leur mort, vivre une seconde vie, mais cette fois, éternellement. Rien n’est plus normal pour eux que de mettre tous leurs biens matériels et financiers au service de la cause spirituelle. «Le Seigneur n’a-t-il pas dit à Zachée que s’il veut être sauvé au dernier jour, qu’il donne tous ces biens aux pauvres ? C’était une manière de lui dire que ce n’est pas la quantité de biens matériels qu’il possède qui l’enverra au ciel, mais plutôt l’amour qu’il manifeste à l’égard de son prochain. Et lorsque tu aimes ton prochain, cela va de soi que tu partages avec lui ce que tu as. Dieu nous demande donc de ne pas être égoïste, mais plutôt de cultiver l’esprit de partage», exhorte Tiéhi Jean-Baptiste, prophète de Dieu. A travers cette exhortation, l’homme de Dieu soutient que l’Eglise, c’est une communauté dans laquelle les fidèles devraient en principe avoir tout en commun. «Les plus riches doivent soutenir les pauvres. Et c’est en cela qu’ils trouveront leurs bénédictions. Parce que la foi qui nous anime nous dit que l’or et l’argent appartiennent à Dieu et c’est lui qui décide d’en donner à qui il veut. Mais quand il le fait, c’est aussi une mission qu’il vous confie, celle d’aider les autres», renchérit-il.

DONNER À DIEU ET VIVRE MISÉRABLE : QUELLELOGIQUE ?

Loin de toute considération profane, la misère telle qu’on la connaît sous nos tropiques est omniprésente dans les milieux ‘’des Frères croyants’’. Des familles entières qui élisent domicile dans les temples (lieux de prière) parce que n’ayant pas de toit à elles. Les églises sont devenues le refuge des veuves, des orphelins, des gens en quête d’emploi. Les lieux de culte sont également pour certains des centres hospitaliers où des malades parfois agonisants viennent se réfugier. Et en dépit de leur situation misérable, rétorque Ousmane Soumahoro, ‘’prédicateur de rue’’, ces personnes se font ruiner régulièrement par des pasteurs qui n’ont de thème de prêche que ‘’la dîme et les offrandes’’. «Ils n’ont pas le minimum pour se prendre en charge eux-mêmes, mais ils sont obligés de nourrir des pasteurs qui, eux, se déplacent dans de grosses berlines. Cela parce qu’on leur enseigne que les riches n’iront pas au paradis céleste. Et pendant que ces désoeuvrés donnent le peu d’argent qu’ils possèdent, ce sont les pasteurs qui s’enrichissent et les fidèles continuent de s’appauvrir», dénonce Ousmane. Ce prédicateur de la rue, comme il se fait appeler, soutient que les pasteurs choisissent à dessein certains versets bibliques dans le seul but d’amener le peuple à débourser de l’argent pour les entretenir, eux et leurs familles. «Alors que, les livres saints sur lesquels certains hommes de Dieu se basent pour justifier les nombreuses cotisations et les dîmes dans leurs églises contiennent aussi des versets qui mettent ces pratiques en cause. Mais ces passages bibliques, ils ne les lisent jamais au pupitre. Lorsque vous prenez le livre de 1 Timothée chapitre 6 verset 7 à 9, vous vous rendez compte que Dieu, par la bouche de l’Apôtre Paul, s’adresse aux évangélistes en ces termes : ‘’Car, nous n’avons rien apporté dans le monde et il est évident que nous n’en pouvons rien emporter. Si donc nous avons la nourriture et le vêtement, cela nous suffira. Mais ceux qui veulent s’enrichir tombent dans la tentation, dans le piège, et dans beaucoup de désirs insensés et pernicieux qui plongent les hommes dans la ruine et la perdition’’», argumente Ousmane Soumahoro. Pour qui ce verset biblique interdit aux hommes de Dieu de se faire entretenir par le peuple à travers des cotisations qu’ils lui imposent. C’est Dieu lui-même, indique-t-il, qui récompense ceux qu’il envoie en mission.

A L’ÉGLISE, TOUTE ACTION EST JUSTIFIÉE

queteLa tendance malheureusement est à la course à l’argent. Tout le monde veut gagner de l’argent et les églises deviennent du coup des endroits de business. C’est d’ailleurs l’argument que nombre de profanes avancent pour justifier ou dénoncer une sorte d’escroquerie, menée de main de maître par certains pasteurs au travers de la religion. «Je n’arrive pas à comprendre comment des personnes qui n’arrivent pas à se nourrir, à se loger, à scolariser leurs enfants, trouvent de l’argent pour aller payer la dîme ou des offrandes. Qu’est-ce qu’il y a de logique en cela ?», s’interroge Lévry Félix, étudiant en licence de philosophie. Pour lui, ces personnes sont sous la domination d’une force qu’elles n’arrivent pas à maîtriser. Ce qui les amène à poser des actes qui défient toute logique. «Prier Dieu ne veut pas dire qu’on n’a pas le droit de raisonner», fustige notre interlocuteur. Mais dans les sociétés dogmatiques, tout se justifie. Tandis que certains dénoncent les pratiques religieuses qui font appel aux biens matériels et financiers, les adeptes de la foi y voient l’expression de l’adhésion à une communauté. Une communauté qui a ses lois et ses principes. «Le Dieu que nous adorons demande de le mettre à l’épreuve et on verra ce qu’il est capable de faire pour nous. Lorsque des gens affirment que la dîme n’est pas une institution divine, ils se trompent royalement. Le livre de Malachie en son chapitre 3 verset 10 dit ceci : ‘’Apportez toutes les dîmes à la maison du trésor, afin qu’il y est de la nourriture dans ma maison’’. Et il poursuit pour dire : ‘’Mettez-moi de la sorte à l’épreuve et vous verrez que je suis le Seigneur qui promet et réalise’’. C’est donc Dieu lui-même qui demande qu’on apporte ce qu’on a dans sa maison, on n’invente rien», justifie Tiéhi Jean-Baptiste. Qui note aussi que les cotisations et autres offrandes ou dons servent à contribuer à l’avancement de l’oeuvre dans l’église. Notamment le payement des factures d’eau, d’électricité, l’entretien du temple, l’achat d’instruments de musique pour les chorales ou groupes musicaux, etc.

TOUCHE PAS À MA FOI…

dimeElles se comptent sur les bouts des doigts, ces communautés religieuses qui utilisent l’argent du peuple pour servir le peuple. Parce que les Saintes Ecritures disent aussi que se mettre au service de plus petit que soi, c’est servir Dieu. Mais au lieu de cela, ce sont les responsables seuls qui bénéficient de cette manne financière. Pendant que la grande majorité (des fidèles) souffre de famine ou de maladies, certains individus, pour s’être arrogés le titre de chef ou guide religieux, se remplissent les poches de sommes faramineuses qui se chiffrent en millions, leur proposant en retour des séances de prières pour leur guérison. ‘’Ces grandes entreprises de Dieu’’, on peut le dire, échappent malheureusement à tous les circuits de taxation publique en vigueur. Cependant, force est de reconnaître aussi que l’adhésion à une religion est libre et n’est soumise à aucune contrainte terrestre ou céleste. Et comme le dit le livre d’Hébreux chapitre 11, verset 1, «Or, la foi est une ferme assurance des choses qu’on espère, une démonstration de celles qu’on ne voit pas». Autant dire que la foi a ses raisons que la raison ignore. Les adeptes de la religion, en mettant leurs biens au service de Dieu, espèrent en recevoir autant de sa part. Loin de vouloir détourner ses lecteurs de leur foi religieuse, le quotient Le Sursaut essaie, à sa manière, de susciter le débat sur un fait de société que chacun de nous a une fois vécu ou vit en ce moment. «Il n’est pas interdit de cogiter dans la maison de Dieu, mais il faut y être pour comprendre ce qui s’y passe», fait remarquer Ahoussi Ferdinand. Religieusement !

In Le Sursaut du vendredi 12 dec / dimanche 14 dec 2014