« La nouvelle CEI nous conduira vers des élections calamiteuses »

fatoumata

Par Notre Voie – La loi qui réforme la commission électorale indépendante (Cei) a été définitivement adoptée par le parlement monocolore, le mardi 27 mai dernier. Pourtant, malgré les jubilations et autres autocongratulations du ministre de l’intérieur, Hamed Bakayoko, l’inquiétude grandit au sein de l’opinion nationale. Pas seulement du côté de l’opposition qui a déjà clairement fait connaitre ses réserves, mais aussi du côté de certains cadres de la coalition au pouvoir. Parmi ceux-ci, Fatoumata Traoré-Diop, membre de la direction des forces nouvelles (ex-rébellion armée). Cette ex- vice-présidente de l’ancienne Cei a publié hier sur sa page facebook, son opinion sur la nouvelle Cei. et elle n’est pas du tout tendre.

« Il n’est plus nécessaire de rappeler que la tenue d’élections démocratiques repose essentiellement sur la rigueur de la structure en charge de l’organisation de ces élections, mais aussi et surtout sur la transparence de chacune des étapes du processus électoral. Malgré nos diverses suggestions, nos nombreuses interpellations, il est surprenant de constater l’adoption d’une réforme de la CEI validant une nouvelle composition de membres », déplore-t-elle. « Une telle composition, ajoute-t-elle, nous conduira inéluctablement vers des élections calamiteuses ». Et l’ancienne vice-présidente de la Cei de plaider : « évitons à notre pays, une autre crise pré ou post-électorale, comme celle 2010-2011, soldée officiellement par 3000 morts ». Mme Fatoumata Traoré-Diop ne se contente pas de mettre du bémol à l’enthousiasme débordant du ministre de l’intérieur, elle fait aussi des propositions qu’elle invite Alassane Ouattara à prendre en compte. «En matière de prévention de crise, il n’est jamais tard pour mieux faire », avertit celle qui a appartenu à un mouvement armé et qui revendique désormais fièrement la qualité d’experte électorale et consultante ayant sillonné de nombreux pays. « Se taire face à une telle situation, est faire preuve d’une passivité devant l’histoire de notre Nation qui porte encore en elle les stigmates de cette violente crise liée à la gestion d’une simple élection », affirme-t-elle. Enfin, si elle admet que ce n’est pas à la Cei qu’on gagne une élection, elle avertit aussi qu’avec une telle composition, un candidat peut perdre une élection. Pour ne pas dire qu’un candidat peut gagner avant la compétition. Parole d’experte.

Augustin Kouyo

Les 4 propositions de Fatoumata Traoré

A/ Sur la composition de la nouvelle Cei, les représentants des acteurs politiques (avec voix délibératives ou consultatives) ne sont pas obligatoires. Quel équilibre sérieux pourrait-on avoir en Côte d’ivoire entre les notions de « partis au pouvoir » et « partis d’opposition ». Nous savons tous qu’à la moindre difficulté, ces ennemis d’avant-hier, devenus des alliés hier, dans une pseudo-alliance d’aujourd’hui, sont capables de tout ignorer, de tout oublier pour être demain de véritables adversaires, voire d’impitoyables ennemis jurés. Sans hésiter, ces acteurs politiques prendront la Cei en otage comme hier et les résultats seront encore une fois chaotiques au sein du peuple. Évitons donc de désigner des acteurs politiques dans un organe qui se veut indépendant. Pensons aux nombreuses victimes de la crise post-électorale 2010-2011 et refusons que les politiques soient membres de la nouvelle Cei. Ne confondons pas les Commissions électorales de supervision (cas du Sénégal, du Mali, de la Mauritanie…) aux Commissions électorales indépendantes (cas du Ghana, de la Sierra Léone, de la Côte d’ivoire…). La nôtre, réclamée par les politiques pour accompagner le multipartisme sous l’ère du père fondateur de notre nation, puis créée en 2001, n’est pas un simple organe de régulation mais plutôt un organe indépendant de gestion des élections, tout en couvrant l’ensemble du processus électoral (recensement électoral, confection de la liste électorale, organisation des élections de a à Z…).

B/ sur le rôle d’impartialité des membres, nous savons tous que dans notre pays les religieux ont montré leur franche partialité lors de la gestion du contentieux électoral. avec et auprès des acteurs politiques antagonistes, un groupe de religieux se trouvait dans « le bunker » pendant qu’un autre se trouvait à « l’hôtel », au moment où le peuple se faisait massacrer. C’est malheureusement l’histoire récente de notre pays, personne ne peut l’ignorer ! Il est évident que ces mêmes religieux ne peuvent être subitement membres de la Cei si nous la voulons indépendante! La Cei n’est pas la CDVr. Leur rôle comme relais de sensibilisation, de conscientisation des populations est nettement plus salutaire. Les associer aux acteurs directs de l’organisation des élections est un second grand risque à éviter.
C/ sur le nombre de membres de la CeI, il est temps qu’on travaille avec professionnalisme.
Les dernières élections de 2010-2011 sont enregistrées comme l’une des plus chères au monde. Pour rien! Pendant que la pauvreté du peuple devient plus criarde. Ce n’est pas 31 membres, ni 17, ni 15, ni 10 membres qui permettront d’avoir des élections transparentes. J’affirme que moins de 10 membres, en Côte d’ivoire, peuvent techniquement faire fonctionner notre Cei. En la matière, faisons sans gêne comme le Ghana, la Sierra-Léone, la Guinée Bissau… Dans ce dernier pays cité, les acteurs politiques et la CeDeao avec le Président Ouattara en tête, ont encouragé et soutenu la mise en place d’une Commission nationale des élections de 04 membres, tous des magistrats élus par l’assemblée nationale. D’autres exemples existent. A côté de toutes ces commissions, vous comprenez que la proposition de 17 membres ne se justifie pas, à moins que cette formule masque de multiples agendas non élucidés ! Les principales questions à se poser sont plutôt : Quelle est la fonction précise de chaque membre de la Cei? Quel est le budget de fonctionnement de la Cei? Quel est le coût réel pour nos élections ivoiriennes? Quelle expertise exige-t-on aux membres à désigner pour la Cei? Quelle parité pour l’inclusion du genre ? Quels démembrements de la Cei sur le terrain ?

d/ enfin, je suis d’accord avec ceux qui soutiennent que ce n’est pas à la Cei qu’un candidat « peut gagner » une élection, oui mais sans polémique aucune, je peux confirmer qu’avec une telle Cei un candidat « peut perdre » une élection. souvenons-nous que de l’accord politique de Linas-marcoussis à l’APO, ce point relatif à l’indépendance et à la transparence de la Cei a été traité comme une revendication pour l’instauration d’un nouvel ordre. C’est pourquoi l’adoption récente d’une telle loi par l’assemblée nationale inquiète les ivoiriens, les ivoiriennes, la communauté internationale et tout démocrate ayant suivi les étapes de résolution de notre crise depuis le départ. Cette inquiétude est d’autant plus grande que l’absence du Président de l’institution lors des discussions sur cette importante réforme n’a échappé à personne, aussi bien en commission qu’en plénière. Une partie du peuple avisé s’interroge déjà ! Que se passe-t-il ? Ce peuple qui vous a fait confiance hier, vous regarde et vous observe. Ressaisissez-vous. Apprenez à écouter certaines voix !

Source : facebook/ fatoumatatraoré