Minerais-de-sang-Cobalt

 Six Vérités des Organisations de la Société civile du Nord-Kivu spécialisées dans le secteur de Ressources naturelles, en réponse à la Lettre Ouverte adressée aux gouvernements, entreprises, organisations non-gouvernementales et autres acteurs travaillant sur la thématique des « minerais de sang ».

Les organisations de la société civile du Nord-Kivu spécialisées dans le secteur des Ressources naturelles félicitent les signataires de ladite lettre pour avoir exprimé leur point de vue sur une question non moins importante. Par leur initiative, les signataires offrent une opportunité aux voies congolaises de s’exprimer et de fixer l’opinion sur le soubassement des enjeux de la campagne contre les minerais de sang dans l’Est de la République Démocratique du Congo au regard des conflits armés qui sévissent dans la région depuis plus de deux décennies.

En effet, la lettre ouverte a le mérite d’avoir formulé un ensemble de recommandations dont la pertinence n’appelle aucun débat. C’est notamment le cri d’alarme lancé en faveur de l’amélioration des revenus des exploitants miniers artisanaux et de leurs conditions de travail assimilées à l’esclavage moderne. C’est aussi l’appel lancé pour une attention particulière qui doit être portée aux voies congolaises, notamment sur les questions de l’exploitation minière, ses implications sur la sécurité et les droits humains dans la région.

Par ailleurs, au-delà des recommandations formulées, certaines affirmations avancées posent une série d’interrogations quant à la bonne foi des signataires et la finalité de leur initiative. Cela étant, les organisations de la société civile du Nord-Kivu [voies congolaises] ont estimé nécessaire de s’exprimer pour rétablir la vérité quant aux faits historiques des minerais de sang et initiatives pour les combattre.

Nous avons, pour ce faire, épinglé certaines de ces affirmations, et y avons apporté des éclaircissements comme suit :

Premièrement :

Par les affirmations : 1) « les minerais aident à perpétuer les conflits, mais ils n’en sont pas la cause », 2) « Parmi les bases structurelles des conflits dans la région, il y a d’une part les luttes de pouvoir et d’influence, au niveau national et régional, et d’autre part des tensions relatives à l’accès à la terre, la citoyenneté, et l’identité des différents groupes qui peuplent la région », les signataires de la lettre s’inscrivent en faux contre 11 Chefs d’Etat de la région qui, en 2006, avaient conclu que l’exploitation illégale des ressources naturelles dans la Région des Grands Lacs est l’un des facteurs responsables ou aggravants des conflits endémiques et de la persistance de l’insécurité dans la Région en même temps […] un handicap majeur à la réalisation des Objectifs du Millénaire pour le Développement. « Ces minerais congolais sont trop souvent mêlés au sang des victimes, aux larmes des enfants et aux cris des femmes violées. C’est une vérité, pas une fatalité », a soutenu le Représentant spécial du Secrétaire Général des Nations Unies, Monsieur Martin Kobler dans son annonce à la conférence minière de Goma, le 23 mars 2014.

Les signataires de ladite lettre confirment en plus, que : « les groupes armés ne dépendent pas des minerais pour survivre ». A ce sujet, le Représentant spécial du Secrétaire Général des Nations Unies, Monsieur Martin Kobler, Patron de la MONUSCO – un organisme vieux de plus de 10 ans dans la région –, a confirmé à la conférence minière de Goma, le 23 mars 2014 que : « certains groupes armés naissent de l’appétit minier, et presque tous se développent, s’enrichissent et se renforcent grâce aux revenus tirés de l’exploitation illégale des ressources naturelles. Les groupes armés survivent à la fois grâce à la taxation illicite de la production, la mainmise sur les carrés miniers, mais aussi grâce au travail forcé ». En plus, le Gouvernement de la RDC, la Conférence Episcopale Nationale du Congo (CENCO) et les organisations de la Société civile congolaise ont, tour à tour, pointé du doigt accusateur le pillage systématique des minerais et d’autres ressources naturelles comme l’une des causes majeures des conflits dans l’Est de la RDC. Qui dit vrai ?

Deuxièmement :

La lettre affirme : « le M23, jusqu’à récemment le groupe armé non-étatique le plus puissant en RDC, n’a jamais cherché à contrôler directement les activités minières ». De quelle preuve dispose-t-on pour faire une telle affirmation lorsqu’on sait que le M23 s’est évertué à tisser des alliances avec des groupes armés locaux dont le contrôle des sites miniers n’est pas à démontrer (cf. témoignage d’un éminent expert de la tragédie dans l’Est de la RD Congo, Monsieur Steve Hege, le 11 décembre 2012 au Congrès américain).

Troisièmement :

La lettre semble s’appuyer sur les analyses internes des Nations Unies : « … seulement 8% des conflits en RDC sont liés aux minerais ». Mais, il est clair qu’il s’agit là de la RDC dans son ensemble. La lettre informerait mieux l’opinion si ces analyses avaient déterminé précisément ce pourcentage dans l’espace et dans le temps. Cependant, quelle que soit la proportion dans ce pourcentage pour le Kivu, cela ne mérite pas d’être minimisé car, cela a pour conséquences des déplacements massifs des populations, des viols des femmes et perte des milliers des vies humaines.

Quatrièmement :

La lettre ouverte fait une révélation de taille : « L’Est de la RDC est une économie militarisée à 100%, dans laquelle les minerais sont seulement une ressource parmi d’autres que les groupes armés, et l’armée congolaise (FARDC), utilisent comme sources de financement ». Est-il vraiment possible qu’une économie d’un territoire aussi vaste qu’environ deux fois la superficie de la France, soit militarisée à 100% ?.

Si tel est le cas, alors tous les opérateurs économiques, et surtout miniers, travailleraient avec des capitaux de cette économie 100% militarisée.

Cinquièmement :

Une autre révélation de la lettre est que : « Le gouvernement congolais ainsi que la société civile n’ont pas été suffisamment consultés sur la section 1502 de la loi Dodd Frank Act avant son adoption […] les seuls acteurs qui ont été consultés étaient des partisans de la loi […] ».

Par quelle magie le gouvernement américain et les ONGs pour la campagne contre les minerais de sang auraient pu déterminer à l’avance les partisans d’une loi avant toute consultation sur terrain ? Ne serait-ce pas les conclusions des consultations qui pouvaient déterminer les partisans ou non de cette loi ?

Minerais-de-sang

Sixièmement :

D’après le résultat de la lettre ouverte : « à côté de l’impact sur les communautés des exploitants miniers artisanaux et sur l’économie locale, la campagne contre les « minerais de sang » et [la loi] Dodd-Frank n’ont pas vraiment mené à la destruction des groupes armés, ils les ont plutôt amenés à changer de secteur d’activité ».

Il est de notre constat aussi de remarquer que la campagne contre les minerais de sang ainsi que les exigences de la section 1502 de la loi Dodd-Frank ne laissent pas de choix aux groupes armés que de changer de secteur d’activité, faute de marché pour leurs minerais. C’est en effet, un succès pour la campagne et la loi d’avoir obligé les groupes armés à quitter le secteur minier artisanal. C’est l’occasion de demander que toutes les initiatives en cours étendent leur champ d’action à ces autres secteurs non pris en compte dans la section 1502 de la loi Dodd-Frank.

Conclusion

1) Tout organisme et tout individu épris de paix pour l’Est de la RDC et la région des grands lacs africains en général est invité à fournir un effort d’honnêteté scientifique et intellectuelle pour se refuser de toute conclusion hâtive tendant à mettre en cause les faits historiques de la tragédie congolaise alimentée en grande partie par le pillage systématique des ressources naturelles et l’exploitation illégale des minerais dans l’Est de la RDC ;

2) C’est le moment pour les initiatives d’assainissement du secteur minier de s’engager véritablement dans la poursuite des efforts de formalisation du secteur minier artisanal, le respect de la responsabilité sociale et environnementale des entreprises, les droits humains, et développer des projets robustes alternatifs aux mines qui prennent en compte la question de femmes et enfants ;

3) Nous lançons, par cette occasion, un appel pathétique à l’endroit du Gouvernement congolais pour un engagement soutenu et sans relâche à placer en ordre de priorité le processus de la réforme du système sécuritaire sans laquelle les initiatives de paix, d’assainissement du secteur minier et autres sont en perpétuelle menace.

Liste des Organisations Signataires :

  1. Association pour le Développement des Initiatives Paysannes (ASSODIP), Janvier MURAIRI
  2. Bureau d’Etudes, d’observation et de coordination pour le Développement du territoire de Walikale (BEDEWA), Prince KIHANGI
  3. Centre de Recherche sur l’Environnement, la Démocratie et les Droits de l’Homme (CREDDHO), Jeredy MALONGA
  4. SOS AFRICA, Fidel BAFILEMBA
  5. Centre d’Etudes pour la Paix et les Droits de l’Homme (CEPADHO), Me Omar KAVOTA
  6. Observatoire pour les ressources naturelles (ORN)/Conférence Episcopale pour les Ressources Naturelles (CERN)/DIOCESE DE GOMA, Tiffany N’ZILA
  7. Synergie des Femmes pour les Victimes des Violences Sexuelles (SVFS), Justine MASIKA
  8. Observatoire de la Société Civile pour les Minerais de Paix (OSCMP), Alexis MUHIMA
  9. Centre des Recherches sur les Droits Humains et la Démocraties en Afrique (CREDDA-ULPGL), Raphael WEMA
  10. Aide et Action pour la Paix (AAP), Me Nelly MBANGU
  11. Réseau d’Actions Citoyennes pour la Démocratie (RACID), Daniel KALONGA
  12. Marche Mondiale des Femmes, Eudoxie NZIAVAKE
  13. Comité Provincial des Femmes du Nord-Kivu (CPF-NK), Gogo KAVIRA
  14. Dynamique des Femmes Juristes (DFJ), Mireille NTAMBUKA
  15. Carrefour pour la Justice, le Développement et les Droits Humains (CJDH), Fortunat MARONGA,
  16. Information Pour tout le Monde (IPM), Fiston MISONA TABASHILE
  17. Programme d’Appui à la Lutte Contre la Misère (PAMI), Bonaventure NEGURA
  18. Réseau des Femmes des Mines (RFEM-RDC), FURAHA Lénine
  19. Centre des Recherches sur les Ressources Naturelles (CRRN), Etienne KIBANDJA
  20. Réseau d’Initiatives Locales pour le Développement durable (REID), Neema BAENI
  21. Assistance aux Femmes et Enfants Victimes des Violences (AFEVI), Brigitte BASHALI
  22. Fondation Point de vue des Jeunes Africains pour le Développement (FPJAD), Etienne KAMBALE
  23. Action Communautaire pour la Protection de l’Environnement et le Développement Intégral (ACOPEDI),B. YALALA
  24. Centre d’Etudes Appliquées sur la Paix et les Droits de l’Homme (CEAPDHO), Aimé NDOOLE
  25. Réseau des Femmes Chrétiennes (RAFEC), Liliane CHAI
  26. Réveil des Femmes pour le Développement (RFED), Louise NYOTA
  27. Réveil des Femmes pour le Développement Intégré (RFEDI), Annie PENGELE
  28. Pour la Coordination provinciale de la Société civile du Nord-Kivu, Thomas d’Aquin LUANDA MUITI-Président