Par Samuel BEUGRE

Pendant mon confinement, mon attention se porte sur la pensée de Platon : « chaque société politique reflète le type humain qui la com-pose ». C’est une indication essentielle pour l’érudit, car pour com-prendre un ordre politique, dit Eric Voegelin, il faut avant tout com-prendre le type humain qui s’exprime dans une société concrète. Ainsi la société athénienne de son temps reflétait le modèle d’humanité sophistique qui la caractérisait, tandis que le modèle de ville décrit dans la République était celui de l’homme philosophe. De la même manière, Aristote, en expliquant les différentes formes de gouvernement, tyrannie, monarchie, aristocratie, oligarchie, république, démocratie, les relie aux vertus ou aux passions qui prévalent dans une communauté politique donnée. Pour avoir une république, donc, il ne suffit pas d’avoir de bonnes lois, il faut que les gens pratiquent des vertus civiques, vivent selon le modèle de l’homme qui met pleinement en œuvre le potentiel de la nature humaine.

Au contraire, lorsque dans une communauté politique ses membres sont animés par des passions et, en particulier, sont dominés par la peur, la tyrannie est la seule forme de gouvernement qui peut gouverner ce peuple malheureux. Comment ne pas penser à la Cote d’ivoire au moment de l’épidémie. Je crois cependant qu’il est normal que beaucoup paniquent, s’abandonnant également à l’irrationalité de la peur, qui peut les pousser à des gestes inconscients, comme des heurts, même physiques, à ceux qui insistent pour quitter la maison ou circuler dans la rue, s’exposant donc au contact physique et donc à la contagion, ou même aller à une fête le soir pour arrêter le graisseur présumé. Ce n’est pas du tout que le maire d’une ville soit à la tête de cette « fête ». Ce n’est pas du tout qu’une classe politique entière, tant nationale que locale, semble émue par le désir de rechercher le consensus du peuple en alimentant cette peur. Que vous pensez pouvoir légiférer sur les réseaux sociaux en gardant le pallium fermé, afin d’apparaître des protagonistes uniques et absolus de la scène. Ce n’est pas du tout que les déterminations municipales, régionales et nationales se chevauchent pour concurrencer ceux qui sèment la panique parmi les citoyens. La situation est certainement grave, personne ne veut la sous-estimer.

Pour en sortir, il faut cependant maintenir clarté et fermeté sur les principes, car, même en acceptant l’état d’exception résultant de la propagation de l’infection, on espère que cette condition ne deviendra pas la coutume. Nous espérons tous qu’en Cote d’ivoire, une fois l’épidémie terminée, pourra redevenir une démocratie constitutionnelle, mais cela n’est possible que si le principe selon lequel en période de difficulté le Parlement, la représentation constitutionnelle du peuple, est inutile sinon nocif. Garder les chambres libres et permettre au président de convoquer directement les partis politiques toutes les deux semaines, confirmerait le principe selon lequel le seul solutionneur aux problèmes du pays est le gouvernement. Que c’est la seule institution qui représente directement le peuple et le seul résolveur d’une grande peur.

Ici Platon et Aristote viennent à notre secours. Ils nous rappellent que si nous cédons à la peur, nous n’avons plus de défense contre la tyrannie.