Par Patrice Nganang

Je ne me suis pas exprimé sur les vidéos camerounaises dont la publication m’a fait être bloqué sur Facebook pendant trente jours, bien que tout le monde demandait sinon attendait mon point de vue – au pays et à l’étranger, oui -, parce que ce qui se passe dans notre pays est très grave. Le discrédit total jeté sur les forces armées camerounaises, ne peut pas seulement être mis en perspective par l’habituel geste d’humour qui fait se moquer de Tchiroma ou de Badjeck, ou alors de leurs employeurs – les Bulu. Car c’est tout de même extraordinaire – m’ont contacté pour une réaction, entre autres France 24, RFI, BBC, ARD, etc., et pourtant je demeure silencieux devant l’énormité de ce qui a lieu, de ce qui a eu lieu – je réfléchis. Et ce qui a eu lieu, c’est l’effondrement total de la prétention de l’Armée camerounaise à la morale. Car il faut savoir que c’est l’armée qui est le socle de la souveraineté d’un pays. Dans toute définition de celle-ci, c’est elle qui garantit donc la fondation morale du pays, dont les embranchements sont l’éthique, le juridique, et évidemment les opinions vraies ou fausses. L’extraordinaire de ce que nous ont montré ces derniers mois est là : l’Armée camerounaise exécute des mamans avec bébés au dos ; l’Armée camerounaise exécute des dizaines de vieillards, tout simplement comme ça. Et pire, elle le fait, en se filmant en photo et en vidéo. Il suffit déjà de dire que ces vidéos jettent dans la poubelle tous les chiffres qui nous étaient balancés devant la figure jadis par Gubai Gatama, du BIR qui auraient exécuté des centaines de Boko Haram ! On se rend compte soudain, que les soldats du BIR, en fait de Boko Haram, exécutaient des mamans, des bébés, des vieillards, et se filmaient afin de recevoir les 30,000Fcfa de prime de risque !

La déroute de l’Armée camerounaise est d’abord morale, car la morale c’est le socle de sa fondation, c’est ce qui la distingue des bandits qui ont aussi des fusils, des brigands qui ont aussi des kalachnikovs. Sans morale, une armée n’est rien du tout, et la morale de l’Armée c’est la protection de la vie, c’est l’honneur au peuple. Une armée qui tue des bébés, des mamans, s’attaque à la vie à sa fondation. Une armée qui exécute des vieillards s’attaque à la vie à sa fin. Une telle armée est déjà défaite de l’intérieur, par ses propres actions. Mais la défaite de l’Armée camerounaise, sa déroute véritable n’est pas que liée à ces deux faits qui m’ont jeté au cœur de sa sanglante forfaiture. La défaite de l’Armée camerounaise a lieu dans le recrutement même des soldats qui fait que, pas à pas, l’Armée de la république du Cameroun se retrouve entre les mains d’une tribu – devienne donc une milice tribale bulu. Evolution logique, car l’Armée est toujours le lieu ou sont ‘casés’ les cousins, les frères, les jeunes les moins nantis intellectuellement, quand on a le pouvoir de le faire. Et ceux qui, aujourd’hui, ont le pouvoir de ‘caser leurs petits’ aussi facilement, ce sont évidemment les Bulu. En 36 ans de ‘casement’, on se retrouve avec une armée tribale. Evolution simple, logique, qui est la dégringolade de l’Armée dans le cabinet tribal. Et c’est cette armée-là, devenue en 36 ans sociologiquement bulu, francophone dans la pratique de son commandement, qui brule des villages anglophones, calcine des grand-mères et des grands-pères dans des maisons, viole, vole, commet crime de guerre sur crime de guerre en fin de compte. C’est cette armée qui sur le crime de guerre ajoute le mensonge, et ose, oui, qui ose même obliger des populations anglophones à prêter serment devant le drapeau camerounais qu’elle même piétine et recouvre de sang. Indigne armée, armée de criminels, armée de bandits, de voleurs, qui ose même demander aux gens de respecter la république qu’elle jette dans le cabinet !

La défaite de l’Armée camerounaise est d’abord morale, avant d’être militaire. Une armée défaite moralement se retrouve exsangue, parce que ses soldats les mieux outillés fuient – refusent d’aller tuer leurs frères pour de l’argent. Et c’en est ainsi des soldats du BIR qui me contactent, c’en est ainsi des soldats communs qui me contactent. C’en est ainsi des policiers qui me contactent. Ils ne veulent plus aller commettre des crimes de guerre. Recrutés dans l’Armée camerounaise pour garantir le socle moral de la république – sa souveraineté -, ils refusent d’aller tuer leurs propres compatriotes. Ils refusent d’aller exécuter des gens qui parlent la même langue qu’eux, et celui qu’ils contactent c’est l’écrivain. Ils refusent d’aller exécuter bébés et mamans. Ils me contactent, parce que l’écrivain est le repère moral d’un pays, du pays. La révélation du mensonge de l’Armée camerounaise, l’explosion sur le visage de ses porte-parole de l’accusation que c’est moi, écrivain, qui avais fait la vidéo extraordinaire, c’est le sacre de l’écrivain comme repère moral de notre pays. Il n’est pas moment plus grave que celui-ci, car soudain, l’alphabet se trouve victorieuse devant les balles, devant les kalachnikovs, devant les chars d’assaut. Car soudain l’écrivain que je suis, se retrouve victorieux devant l’Armée nationale camerounaise – pour la deuxième fois. Car c’est de victoire de l’écriture sur les armes qu’il s’agit. C’est bien ce qui s’est passe. Et c’est cela la justice, car justice doit être rendue a partir des textes, des lois, pour ces enfants qui ont été ‘troués’ [pour parler comme les soldats du BIR] par les Bulu, justice doit être rendue pour cette maman qui a été abattue par des soldats bulu, en même temps qu’ils se filmaient en vidéo. Justice doit être rendue pour les Anglophones, pour les minorités de ce pays prises en otage par une milice à qui la république a remis des armes, et qui s’en sert pour tuer les citoyens.

La justice est le compas de l’écrivain.

Concierge de la république