« En politique, il faut savoir identifier les bons signaux, les bons sons, au moment opportun pour prendre la bonne décision. »

 Ouattara-Gnonzie

(Notre Voie, 21 – 22 décembre 2013) – Le Rassemblement pour la paix et le progrès (Rpp), parti à la philosophie houphouétiste, se positionne dans l’opposition. Dans l’entretien qui suit, Ouattara Gnonzié, ancien ministre de l’Information de Laurent Gbagbo et S.G du RPP, jette un regard sur la vie politique ivoirienne. 

Notre Voie : Avec la libération du Pr. Georges Armand Ouégnin de la prison de Boundiali et votre retour d’exil, il reste encore Me Hamza. Cela veut dire que le Rpp n’est pas encore au complet…

Ouattara Gnonzié : Effectivement. Il y a la météo pour détecter le temps. Je pense aussi à la météo en politique. Donc, à partir du moment où j’ai observé un certain nombre de signaux, écouté un certain nombre de sons, le temps me semblait moins orageux qu’il y a deux ans. Donc je suis arrivé. Je peux me tromper, mais pour l’instant, rien n’est venu contrarier ce sentiment.

N.V. : Vous êtes donc arrivé laissant derrière vous vos amis de l’ancienne majorité présidentielle. Que leur dites-vous ? Au regard de votre expérience, ils peuvent rentrer ?

O.G. : Revenir d’exil est un acte très personnel. Chaque exil a une histoire, chaque exil a un parcours. Mais il n’est pas évident que les exils aient la même histoire et le même parcours. Et donc, il appartient à chacun, à un moment donné, de vérifier, d’analyser, de prendre la décision de rester ou de renter.

N.V. : Les Ivoiriens se demandent comment un ministre du président Laurent Gbagbo qui plus est faisant l’objet d’un mandat d’arrêt international a pu rentrer comme ça. Qu’est-ce qui s’est passé ?

O.G. : Je l’ai déjà dit. En politique, il faut savoir identifier les bons signaux, les bons sons, au moment opportun pour prendre la bonne décision. Maintenant, je vois bien où vous voulez en venir, puisque beaucoup de journalistes m’ont déjà demandé s’il n’y a pas de deal. Il est évident que si c’était le cas, je ne le dirais pas. Parce qu’un deal, ça suppose un accord entre aux moins deux partis. Et, pour le rendre public, c’est d’accord partie qu’on le fait. Si je vous dis seul qu’il y a un deal, vous ne me croirez pas parce l’autre partie n’est pas ici présent pour se prononcer. Donc je n’en dirai rien…

N.V. : Le président fondateur du Rpp, Laurent Dona Fologo l’a dit. Il a révélé qu’il en avait déjà parlé avec le chef de l’Etat qui a répondu en disant : «Qu’est-ce qu’il fait encore là-bas ?». Il a aussi indiqué qu’il savait que vous alliez rentrer au pays. Donc ce que je demande, c’est qu’est-ce qui est dans le deal ? Qu’est-ce que vous avez concédé en échange de votre liberté de rentrer au pays ?

O.G. : Si vous insistez, c’est que, pour vous, il n’est pas possible qu’il n’y ait pas eu de deal. Mais ce que je dis, c’est que si le deal existe, je ne peux pas en parler parce qu’il me faut l’accord de l’autre partie pour rendre public ce sur quoi nous sommes tombés d’accord. Sinon j’aurai commis une faute et je n’ai pas envie de commettre une faute. Moi, je crois qu’il n’y a pas de deal, mais vous ne me croyez pas. Je dis que j’ai observé le temps, j’ai observé la météo politique et puis je suis rentré. Dans tous les cas, s’il y a un deal, vous le saurez, parce que rien ne se cache.

N.V. : Est-ce qu’avec votre arrivée, le Rpp a repris ses activités ? Qu’est-ce qui a été fait depuis ?

O.G. : Avant que je n’arrive, le Rpp a continué ses activités comme la plupart des partis. Il n’y avait pas la possibilité d’organiser des grandes manifestations parce qu’il y a eu des activités avortées à cause de la violence. Ce qui fait qu’il y a beaucoup de méfiance quand les partis veulent organiser des manifestations à Abidjan. En revanche, à l’intérieur, le Rpp a toujours organisé des manifestations. Je suis rentré, j’ai repris service il y a une semaine, et je suis en train de faire des consultations. Et puis, avec mes camarades, nous allons certainement faire d’autres choses.

N.V. : Le président Fologo a dit : «Nous allons faire une opposition sans injure ». Qu’est-ce que cela signifie ?

O.G. : C’est à lui qu’il faut poser la question parce que chacun a son tempérament. Moi, je suis arrivé, vous me lisez, c’est à vous de juger mes déclarations. Si je suis opposant ou un partisan du pouvoir, vous pouvez le percevoir dans la déclaration que j’ai faite avant de venir et aussi dans mes interviewes.

N.V. : Je pose la question parce que, pour moi, que le président fondateur du parti le dise ainsi, cela traduit une ligne de conduite pour le Rpp. Alors je me demande ce que cela veut dire, si cela fait référence à une façon de faire que vous observez.

O.G. : Nous au Rpp, nous sommes opposants. Nous avons déjà réaffirmé notre appartenance à l’opposition. Et cela va se voir dans les manifestations que nous allons organiser prochainement. Maintenant, les qualificatifs qu’on peut donner à l’opposition, ça c’est autre chose. Moi, je n’ai jamais entendu, le président dire cela. Ce qu’il a plutôt dit, c’est que nous sommes dans l’opposition et nous y demeurons.

N.V. : Le Rpp se réclame houphouétiste. Ce sont les «Houphouétistes» qui sont au pouvoir à travers le Rhdp, comment les jugez-vous ?

O.G. : Je n’ai pas à les juger. J’observe…

N.V. : Quelle est votre appréciation ?

O.G. : Je n’ai pas non plus à les apprécier. Je pense qu’il appartient aux Ivoiriens de le faire. Ils ont un bilan à présenter dans deux ans. Les Ivoiriens pourront juger s’ils sont Houphouétistes ou s’ils ne le sont pas. Ceux qui sont Houphouétistes savent le parcours d’Houphouët-Boigny ; ils savent qu’il y a un certain nombre de choses qui sont chères au président Houphouët-Boigny. Au moment venu, ils vont les juger pour les authentifier ou non.

N.V. : Quand on regarde le nombre d’exilés et de prisonniers, cela rentre-t-il dans la philosophie d’Houphouët ?

O.G. : Moi, je suis Houphouétiste, le président Fologo et l’ensemble de notre parti aussi. A leur place, je n’aurais pas fait ce qui se fait. En évoquant Houphouët-Boigny, je n’aurais pas fait ça. Mais ils ont peut-être des raisons de faire ce qu’ils font. Houphouët-Boigny à leur place non plus n’aurait pas fait ces choses. Mais rien oblige à dire qu’ils ne sont pas Houphouétistes. Il y a peut-être plusieurs pans de la vie d’Houphouët. Mais il est évident que le président Houphouët-Boigny a fait certaines choses par le passé. Aujourd’hui il serait là, il ne les aurait pas faites. Parce que chaque chose en son temps et chaque environnement a ses actes.

N.V. : Vous pensez aux complots ?

O.G. : Par exemple, à un moment donné, sous Houphouët-Boigny, il y a eu des complots, il y a eu des prisonniers et Houphouët-Boigny s’est excusé. Et je pense que, s’il avait vécu, il n’aurait plus répété cela.

N.V. : En quels mots auriez-vous donné des conseils aux Houphouétistes si vous deviez le faire concernant les exils, les emprisonnements.

O.G. : Je n’ai pas de leçon à leur donner. Mais j’imagine que, dans le contexte actuel, ils sont pour que la Côte d’Ivoire prospère. Et je pense donc qu’ils sont conscients aujourd’hui qu’il y a des Ivoiriens emprisonnés et d’autres en exil. Je vois un certain nombre de signaux, certainement qu’ils ont la volonté d’aller vers la décrispation. Mais c’est vrai qu’on constate qu’il y a une sorte d’hésitation, même si, à un certain moment, la lecture semble un peu floue.

N.V. : Quelles sont vos relations avec l’opposition actuelle. Avez-vous pris des attaches depuis votre arrivée ?

O.G. : J’ai de bonnes relations avec tout le monde. Ceux qui ont souhaité me rencontrer, je les ai rencontrés, j’ai parlé avec d’autres au téléphone.

N.V. : Est-ce que vous êtes prêt à conduire une action commune avec vos amis de l’opposition ?

O.G. : Ça dépend. Vous savez, l’opposition est une plateforme. Il peut y avoir des sujets sur lesquels se dégage l’unanimité, d’autres à controverses et d’autres sur lesquels on n’est pas tout à fait d’accord. Si ce sont des sujets sur lesquels on est d’accord, naturellement, on est prêt à partir ensemble. Aujourd’hui, on s’entend sur beaucoup de choses, dont les libertés, la démocratie.

N.V. : Pendant que vous étiez en exil, le Fpi a rencontré le Rpp pour lui expliquer le bienfondé des Etats généraux de la République (EGR).

O.G. : Oui, on m’a rendu compte que le Fpi a rencontré le Rpp sur les Egr. On m’a dit aussi que le Fpi avait promis de faire parvenir un document qui n’est pas encore arrivé.

Mais ma position personnelle est que, quelque soit la dénomination qu’on puisse donner à cela, je sens qu’il y a un besoin, une nécessité que les Ivoiriens se parlent. Il y a un besoin même une obligation que les Ivoiriens s’accordent sur un minimum aujourd’hui. Par exemple, sur la Commission électorale, sur le listing électoral, sur le désarmement… Donc il y a un certain nombre de points pour lesquels il est important que les Ivoiriens s’asseyent pour se mettre d’accord. Peu importe qu’on appelle ce rassemblement les Etats généraux, le Forum, la Conférence nationale, il est impérieux que les Ivoiriens se parlent après cette crise.

N.V. : Depuis votre arrivée, êtes-vous allé chez vous ? Etes-vous libre de circule ?

O.G. : Pour vous dire la vérité, tout le monde me dit qu’il n’est pas prudent. D’après ce que j’entends, je lis dans les journaux, il y a beaucoup de personnes qui portent des armes en Côte d’Ivoire et je pense que ça ce n’est pas bon. Je n’ai pas de statistiques mais j’ai le sentiment qu’une grande proportion d’Ivoiriens porte des armes alors qu’elle n’aurait pas dû. Même dans un pays comme les Etats-Unis, où le port des armes est inscrit dans la constitution, je ne sais pas s’il y autant de citoyens qui portent des armes. C’est pourquoi je dis, ne serait-ce que pour ça, et pour des points comme ceux-là, il est important que les Ivoiriens se parlent pour mieux aborder l’avenir, pour aller vers une vraie réconciliation parce que les Ivoiriens (de l’opposition ou pas) n’ont pas d’autres choix que de se pardonner mutuellement.

Interview réalisée par Armand Bohui

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