Davido est une des stars incontestées de la Naïja music, cette nouvelle vibe créée par des jeunes Nigérians qui a déclassé en quelques années les Congolais qui régnaient en maîtres sur les musiques urbaines et populaires africaines. C’est donc une grosse pointure, avec près de 2 millions d’abonnés sur son compte YouTube, des clips musicaux à plus de 100 millions de vues, des disques vendus et joués dans le monde entier. Il démontre le dynamisme économique du Nigéria.

Depuis quelques semaines, ses compatriotes au pays et dans la diaspora se sont mobilisés contre la SARS une unité de police spécialisée dans la répression des vols et des braquages accusée de brutalité excessive et de torture. Pour les Camerounais, cette unité évoque le souvenir douloureux du commandement opérationnel qui, au début des années 2000, sema la peur par des exécutions extrajudiciaires, au prétexte de lutter contre le grand banditisme. Au Nigéria, cette mobilisation s’est faite à travers les réseaux sociaux, et des milliers de personnes sont ensuite descendues dans les rues, au pays et dans la diaspora, pour s’indigner contre ces pratiques d’un autre âge et demander la dissolution de cette unité.

C’est dans ce contexte que Davido est descendu dans la rue à Abuja. Il était en première ligne. On l’a vu ouvrant le cortège, tenant un haut-parleur, haranguant la foule, pour faire passer le message, convaincre les indécis et rassurer les convaincus. Dans toute contestation, le point de bascule se fait lorsque des personnalités s’investissent dans la cause. Cet investissement ne se fait pas uniquement par la parole, le mot de soutien, même si celui-ci a son importance, mais par l’entrée en scène du corps. Le corps de la personnalité, de la célébrité, comme dans un concert, une conférence doit se mêler aux corps de ses compatriotes.

La police a utilisé des canons à eau et des gaz lacrymogènes contre les manifestants. Pourtant, le mouvement a atteint une telle ampleur que l’exécutif nigérian a dû reculer, en annonçant la dissolution avec effet immédiat du SARS. C’est une petite victoire. Mais une belle victoire. Une victoire qui ne repose pas uniquement sur les épaules de Davido. Pourtant, on ne saurait nier qu’il y a fortement contribué. Cette victoire devrait inspirer d’autres pays africains où les corps sont violentés en permanence par ceux qui détiennent un pouvoir. On dirait même que pour ces derniers le pouvoir est fondé, comme à l’ère coloniale, sur la soumission, l’asservissement, l’écrasement des corps, plutôt que sur la liberté, la réalisation de soi et l’aspiration au bonheur.

Le corps est la voie d’accès à la politique. Le passage obligé. On pourrait même dire que la politique commence lorsqu’on réalise qu’on a un corps et surtout qu’on réalise le traitement infligé à ce corps. La politique commence donc par un réveil, parfois lent, très lent, après un long, très long sommeil. Un sommeil qui avait justement été instillé aux corps par la peur et la manipulation.