Amani N'Guessan Michel

N’guessan Amani Michel, ancien ministre de l’Education nationale et de la Défense

(Le Nouveau Réveil, 29 mars 2013) – Il a été, pendant douze années, membre du gouvernement. Après plusieurs années passées à la tête du ministère de l’Education nationale, il a eu, par la suite, la charge du ministère de la Défense sous son mentor, Laurent Gbagbo. Dans l’interview qu’il a bien voulu nous accorder et dont nous vous proposons la première partie, N’guessan Amani Michel se prononce sur la gouvernance du pouvoir Ouattara et jette un regard sur la vie du Fpi, son parti. 

Monsieur le ministre, comment se porte le FPI aujourd’hui ?

Le Fpi va mieux. Il faut rappeler que c’est le Fpi et des partis alliés qui ont porté au pouvoir M. Laurent Gbagbo en Octobre 2000. Un pouvoir, c’est une vision définie dans un projet de société, décliné dans un programme de gouvernement. Le 22 Octobre 2000, c’est la vision du Fpi qui a été le choix du peuple de Côte d’Ivoire. A partir de ce moment, pour la première fois, un régime véritablement démocratique venait de s’installer en Côte d’Ivoire. Le Fpi est donc une vision nouvelle qu’a choisie le peuple de Côte d’Ivoire. Après 30 ans de parti unique et 10 ans de pluralisme politique dont 9 ans sous le Pdci Rda au pouvoir et 1 an de pouvoir militaire. Le Fpi, dans la constance de la lutte pour le changement de la nature du pouvoir, venait de relever un grand défi, à savoir, l’instauration de la démocratie en Côte d’Ivoire. On peut donc dire que Félix Houphouët Boigny a proclamé l’indépendance et Laurent Gbagbo, la démocratie en Côte d’Ivoire. Mais comme tout change ment, il y a eu des résistances. La droite ivoirienne va servir au FPI et à ses alliés une opposition armée qui aura raison d’eux le 11 Avril 2011. Le Fpi est décimé. Sa direction est emprisonnée ; les destructions de biens et les pilages qui ont suivi le changement ont visé essentiellement les militants du Fpi et leurs alliés les réduisant au manque de tout. Le parti est affaibli par la persécution de ses militants. Plusieurs d’entre eux ont trouvé la mort par assassinat ou par asphyxie financière. Parmi eux, des cadres émérites dont Boga Doudou, Bohoun Bouabré, Tagro Désiré … Le président fondateur du Fpi et fédérateur de la coalition de gauche en Côte d’Ivoire est déporté à La Haye. Le président du Fpi, ses deux vice présidents et bien d’autres cadres sont en prison au nord. Plusieurs cadres sont en exil intérieur et extérieur. Des avoirs sont gelés. La politique du fusil a causé beaucoup de préjudice au Fpi et à ses alliés. De ce désastre politique, le Fpi se remet et va mieux aujourd’hui.

Le Fpi a enregistré des départs de taille dont le président Mamadou Koulibaly. Qu’est ce qui a amené, en réalité, votre parti à la rupture d’avec l’ex président de l’Assemblée nationale ?

Pr Mamadou Koulibaly, président du Lider

Pr Mamadou Koulibaly, président du Lider

Le camarade Koulibaly a décidé de quitter le Fpi. Je ne vais pas assumer sa décision. Cependant, on peut dire que le cas Koulibaly est l’une des conséquences de désastre subi par le Fpi. En effet, le Fpi est véritablement un front. C’est cette réalité qui fait que le Fpi est fondamentalement un parti démocratique ; sa survie en dépend. Le président fondateur est un socialiste qui a su fédérer autour de lui plusieurs tendances. C’est ce qui fait penser à nos persécuteurs que son éloignement entraînerait la disparition du Fpi. Or, Laurent Gbagbo n’a pas construit le Fpi sur une base matérialiste. Il a développé une conscience politique au sein du Fpi. Ce qui a permis d’amoindrir sans effacer la diversité des tendances et à entraîner les rapprochements. Aujourd’hui, c’est cette conscience politique qui permet au Fpi de résister à tout, de survivre à la bourrasque et de poursuivre la lutte pour la réinstauration de la démocratie en Côte d’Ivoire. Laurent Gbagbo, effectivement éloigné du milieu de ses partisans, il est à craindre l’un des effets pervers, à savoir l’expression négative des diversités réunies. Koulibaly Mamadou serait il l’expression de la fragilité de l’unité de conscience politique en formation au sein du Fpi ? C’est là une tentative d’explication. Comme vous le voyez, c’est le professeur Mamadou Koulibaly qui est en rupture avec le Fpi et non le Fpi qui est en rupture avec Koulibaly. Nous sommes et demeurons le Fpi, c’est à dire un front ouvert à toute la gauche démocratique.Le Fpi faisait partie de l’Internationale socialiste dont était membre François Hollande, actuel président de la République de France. Quelle relation entretenez-vous aujourd’hui avec le président français ?

Pour répondre à cette question, il faut clarifier que le président Hollande renferme en un, deux identités différentes. Il y a le camarade de gauche et il y a le président de République de France. Vous parlez donc du camarade François Hollande devenu président de la République française. Un camarade devenu président d’un Etat souverain mérite respect et considération dus à son rang. Le changement de statut de Monsieur François Hollande a une conséquence évidente sur nos relations. Si hier, ces relations étaient basées sur la liberté de pensée et d’expression si caractéristique des militants de gauche, aujourd’hui, la gouvernance d’un Etat a ses exigences desquelles tout chef d’Etat ne peut se soustraire. M. Hollande est le président de la France. Il a un devoir, celui de servir les intérêts des Français. Un parti politique lui est donc moins utile qu’un Etat. Les changements importants qui ont marqué la fin du siècle dernier l’y obligent. L’idéologie marque le pas au profit du réalisme avec la chute du mur de Berlin et l’ouverture de l’ancien bloc de l’Est sur l’Occident. La naissance des BRICS est récente et n’impacte pas encore les relations internationales. Au Fpi, nous avons conscience de toutes ces évolutions du monde et nous ne nous nourris sons pas d’illusions. Nous gardons de bons rapports avec le parti du président François Hollande, le parti socialiste français. La fondation Jean Jaurès nous a reçus lors de notre dernière visite en France et nous a réaffirmé son soutien à la formation des cadres du Fpi. Avec le Président de la République Française, disons que nous avons des relations institutionnelles dominées par une doléance essentielle du Fpi, à savoir l’aide de la France à la normalisation de la vie politique en Côte d’Ivoire.

Le monde, vous le releviez tout à l’heure, bouge, les choses évoluent. N’est ce pas alors votre parti, le Fpi, qui ne fait pas une appréciation assez pointue de la dynamique des choses et du monde ?

Si, le Fpi a pris la juste mesure des évolutions sur les plans national et international. Sur le plan national, nous avons constaté qu’aucun pays développé n’est anti démocratique. C’est pourquoi, nous insistons pour que la démocratie soit une réalité en Côte d’Ivoire. Pour ce combat, le Fpi reste ouvert à tous ceux qui caressent cette idée. Sur le plan international, les évolutions actuelles nous engagent résolument à opter pour la diversification de la coopération avec les autres Etats tout en restant raisonnables au niveau des attentes. Vous comprenez notre choix pour le dialogue avec le pouvoir pour asseoir les bases d’un Etat démocratique et notre élan pour une diplomatie ouverte sur le monde. Dans la gestion du pouvoir, c’est l’appréciation objective de la dynamique des choses et du monde qui a fait que le FPI a mis en avant la cohésion sociale qui libère toutes les énergies au service du développement national dans l’intérêt de tous et de chacun. Avons-nous eu le temps de dérouler toute notre stratégie de gouvernance des affaires de l’Etat que nous avons dû faire face à des coups d’Etat dès 2001 et à une rébellion armée qui va occuper 60 % du territoire ivoirien de 2002 à 2010. Il n’est donc pas question d’un manque d’appréciation assez pointue des réalités d’ici et d’ailleurs au niveau du Fpi.

Comment expliquez-vous alors les rapports assez tendus que le Fpi au pouvoir, a eus avec la communauté internationale ?

Qu’est ce que la communauté internationale ? Je voudrais plutôt comprendre mieux les choses en parlant de groupes d’intérêt. Le dernier né, c’est les BRICS, les pays émergents. Comment vont ils impacter le monde ? Je n’en sais rien mais pour le moment, notons que du monde bipolaire, on est passé à un monde unipolaire dirigé par les USA et l’UE avec pour chaque puissance une zone d’influence. En ce qui concerne la Côte d’Ivoire, la France, depuis les indépendances, est le tuteur. Avec la Françafrique, les chefs d’Etat se succèdent dans les Etats francophones ex-colonies françaises au bon gré des autorités françaises. Laurent Gbagbo a fait l’exception. D’où la suspicion d’un défaut de naissance puis la méfiance d’un parti de gauche au pouvoir en Côte d’Ivoire par la droite française, enfin le rejet d’une vision politique, celle incarnée par le Fpi et Laurent Gbagbo. Or, c’est la France au sein de ce groupe d’intérêt qui a autorité sur la Côte d’Ivoire et dicte l’attitude du groupe vis à vis d’elle. Dès lors que la France rejette le pouvoir ivoirien, souverainiste à souhait, elle entraîne à sa suite le groupe d’intérêt ou communauté internationale ; à en juger par la kyrielle de résolutions de l’Onu contre le régime d’Abidjan rédigées par la France au sein du Conseil de Sécurité. L’avènement du Fpi au pouvoir en Côte d’Ivoire rompt avec la souveraineté française établie sur la Côte d’Ivoire depuis son indépendance en 1960. Nous avons compris que la stabilité à l’intérieur d’un Etat et dans le monde est basée sur la garantie d’intérêt de groupes constitués ou d’Etats puissants. La remise en cause de ces intérêts vous attire le rejet des puissances du moment.

Comment jugez-vous la gouvernance du président Ouattara ?

Elle est suicidaire pour la Côte d’Ivoire. Car en réalité, M Ouattara serait venu dans un contexte démocratique, c’est à dire avec une élection tranquille, normale, reconnue par tous qu’il développerait son programme de gouvernement tranquillement. Mais, il sait très bien qu’aujourd’hui, le préalable à une gouvernance normale, c’est d’abord de réconcilier les Ivoiriens. Parce que la Côte d’Ivoire est sortie d’élections difficiles. Il a choisi d’outrepasser cette nécessité incontournable pour asseoir plutôt une dictature. C’est suicidaire pour son pouvoir et pour la Côte d’Ivoire.

Une Commission dialogue, vérité et réconciliation a été créée pour réconcilier les Ivoiriens. Où se situe alors le problème ?

Je ne crois pas du tout en la capacité de la Cdvr. Quand je dis cela, ce n’est pas que je ne crois en la capacité des hommes et des femmes qui l’animent, bien au contraire, ce sont des gens d’expérience. Son président a été Premier ministre, gouverneur de la Bceao. Les qualités individuelles ne manquent donc pas à la Cdvr. L’incapacité se situe au niveau de la structure elle même. La Cdvr ne peut rien faire.

Pourquoi ?

Il y a deux blocages à la réussite de la mission de la Cdvr: Premier blocage : posons-nous la question de savoir qui a créé la Cdvr. Ce sont Messieurs Alassane Ouattara et SORO Guillaume qui ont créé la Cdvr pour ramener la confiance entre les Ivoiriens. Leur entrée sur la scène politique ivoirienne est sujette à problème. Monsieur SORO Guillaume est le chef armé de la rébellion en Côte d’Ivoire, son tuteur est Monsieur Alassane Ouattara, selon le témoignage de l’ex com Zone KONE Zackaria. Il y a là un problème d’acceptation réelle de la Cdvr par une franche importante de l’opinion nationale. Deuxième blocage : un proverbe nigérian dit ceci : « ». Messieurs BANNY et OUATTARA sont dans cette situation. Qu’est ce à dire ? Monsieur OUATTARA, président de la République de Côte d’Ivoire, confie une mission à Monsieur BANNY, mais les conditions pour que Monsieur BANNY puisse accomplir cette mission sont détenues par Monsieur OUATTARA. Le succès du dialogue politique conditionne en grande partie la réconciliation. Or, Monsieur OUATTARA instrumentalise le dialogue en cours. Ce qui lui enlève tout intérêt et toute valeur pacificatrice de l’environnement politique. Faut-il préciser que le problème en Côte d’Ivoire est essentiellement politique et non social.

Quand vous dites que M. Ouattara et M Soro sont le problème, que voulez vous dire ? Contestez vous leur légitimité ?

Sans contester leur légitimité, acceptons qu’ils sont arrivés dans un contexte trouble. Il faut donc qu’on clarifie ce contexte.

Le FPI n’a t il pas favorisé ce con texte trouble ?

En faisant quoi ? Il y a eu une élection… Aujourd’hui au Kenya, la Cour suprême kényane vient de dire qu’il faut recompter les voix. A l’Ump en France, lorsqu’il y a eu des problèmes, on a dit qu’il fallait recompter les voix. Je crois qu’ils vont d’ailleurs organiser de nouvelles élections. Quand il y a un contentieux électoral, il faut interroger l’organisation des élections. En Côte d’Ivoire, nous sommes allés à des élections avec une rébellion armée.

Les conditions n’étaient pas réunies, selon vous, et vous avez accepté d’aller à ces élections avec des hommes en armes ?

Kadhafi a été assassiné. Laurent GBAGBO est emprisonné à La Haye. Est ce que la paix, prétexte pour justifier ces actes, est au rendez vous dans ces pays ? Eh bien non. Leçons à tirer : les groupes d’intérêts ou la communauté internationale n’agissent toujours pas dans les Etats sous développés dans l’intérêt de ces derniers. Cependant, dans le cadre des relations internationales, la Côte d’Ivoire est signataire de plusieurs accords dont le non respect peut être grave de conséquences. Dès lors, vous comprenez que l’action dans nos Etats n’est souvent pas libre. Acceptez-vous par exemple la notion d’enfants esclaves en Côte d’ Ivoire ? Et pourtant, que d’efforts pour mettre fin à une réalité socio économique inexistante.

La Côte d’Ivoire est indépendante depuis 1960. Pourquoi, c’est sous le régime FPI que vous trouvez que la communauté internationale veut s’accaparer le pays ?

Revoyez mon commentaire sur la caractéristique des rapports entre la Côte d’Ivoire, ex colonie de la France et la France, d’une part et de l’autre, mon appréciation des relations internationales. Vous comprendrez pourquoi les relations entre le régime Fpi et la communauté internationale ont été difficiles. L’exploitation des ressources économiques de la Côte d’Ivoire ne date pas effectivement du temps du Fpi. C’est une question de courage politique pour dénoncer cette exploitation. Tant qu’en Afrique, la crainte du sort fait au Président GBAGBO nous éloignera du juste combat pour la souveraineté et l’indépendance réelle de nos Etats, nous demeurerons des Etats sous développés, pourvoyeurs de matières premières brutes à d’autres Etats dits développés.

Sous Ouattara, les réalisations sont visibles. Il y a les routes, des barrages et des ponts sont en train d’être construits, l’électrification est faite, des chantiers sont en route, il y a une reprise au niveau de la coopération internationale, il y a des missions diplomatiques en Côte d’Ivoire… Qu’est ce que vous demandez de plus au président Ouattara ? Qu’est ce que vous dénoncez réellement ?

Je ne vous apprends rien quand je dis que tous ces projets étaient déjà positionnés par le président Laurent Gbagbo (par exemple le barrage de Soubré, le 3ème pont…). Certains projets étaient même en exécution par exemple l’autoroute du nord. A la différence de Monsieur OUATTARA, nous engagions la Côte d’Ivoire dans le développement en réduisant la dette intérieure et extérieure. Aujourd’hui, l’endettement de la Côte d’Ivoire est une catastrophe. D’aucuns pensent que c’est l’expression d’une confiance en la Côte d’Ivoire. Erreur ! Car les marchands d’argent ne font pas de cadeaux. Il va falloir rembourser. L’expérience montre qu’aucun pays africain ne s’est développé avec l’endettement. A un moment donné, asphyxiés par la dette, ils ont négocié le rééchelonnement qui n’a fait qu’accroître la dette. Puis, on est passé par les PAS (Programme d’Ajustement Structurel). Aujourd’hui, pour ne pas détruire le système d’endettement, les groupes d’endettements procèdent à un allègement de la dette des PPTTE (Pays Pauvres Très Endettés). Tenant compte de cette dette ivoirienne, le Fpi a privilégié l’auto financement et la réduction de ladite dette. Monsieur Ouattara arrive après le Fpi et choisit d’endetter à nouveau le pays et ferme les yeux sur les scandales économiques et financiers, faits de détournements et de passations irrégulières de marchés de gré à gré. C’est du déjà vu et les résultats sont connus. C’est la recherche de rééchelonnements, des PAS et de l’éligibilité au PPTE. Non, nous ne voulons pas de cette évolution du pays. C’est en fin de compte une question de stratégie de développement qui varie d’un régime à l’autre.

Même les Etats Unis sont endettés alors ?

Les USA n’ont jamais été candidat à l’éligibilité au PPTE. C’est qu’il y a une différence dans la gestion de la dette. Et surtout les conditions du développement sont assez bonnes : La question de la promotion et du respect du bien public comme étant à la base de l’épanouisse ment individuel et collectif est réglée. Les facteurs de base du développement humain et économique sont acquis. Dans ces conditions, la dette entraine une plus value. Non, ne comparons pas les deux types d’endettements. Alors que les Américains font face une crise de surproduction, la Côte d’Ivoire peine à trouver sa voie pour le développement.

Interview réalisée par Patrice Yao et PauL Koffi

Coll : Lance Touré, Serge Amani et Konan françois