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Mamadou Koulibaly : “Au Rdr, le nombre d’indépendants est grand, car le malaisse est aussi grand”

(Le Nouveau Réveil, 11 – 12 mai 2013) – Hier, président de l’Assemblée nationale et l’un des dirigeants du Fpi, Mamadou Koulibaly, aujourd’hui, patron de son parti, le Lider, poursuit son chemin, égal à lui-même, avec son franc-parler qui ne le quitte pas. Pourquoi s’attaque-t-il à Ouattara dont il a été l’un des premiers à reconnaitre la victoire en 2010 ? Qu’est-ce qui les oppose ? Quels ont les contours de la nouvelle coalition qu’il appelle de ses voeux ? Est-ce un Cnrd bis ? Koulibaly se livre à coeur ouvert dans cet entretien qu’il nous a accordé.

Vous avez annoncé une large consultation sur les questions de la nationalité et du foncier rural, annoncées par le président de la République. Quelle forme doit prendre cette large consultation ?

Je m’en suis référé à deux éléments. Le premier, c’est la déclaration du président Ouattara lui-même, quand il était candidat. Il a dit qu’il s’engageait devant le peuple de Côte d’Ivoire à ne rien décider, qui concerne la vie de la Nation, tout seul dans son coin, et qu’il ferait toujours une large consultation des populations ivoiriennes avant de faire quoi que ce soit. Le constat, c’est que, depuis qu’il est arrivé, non seulement il ne consulte personne, mais il va même prendre les pleins pouvoirs à l’Assemblée nationale. Et il s’engage cette fois, en vrai ou en faux, sur les questions foncières et de nationalité. Je me dis qu’il faut qu’il respecte sa parole donnée. Le deuxième élément, c’est que les deux sujets sont hyper sensibles. Non pas parce que quand on y touche, ça crée des palabres. Mais ils sont sensibles parce que ça touche l’ensemble des populations. La nationalité, c’est la Nation qui est en jeu. Le foncier, c’est l’ensemble de toutes les régions, de tous les peuples de Côte d’Ivoire qui sont concernés. Là, il ne s’agit pas d’élections, puisque celles-ci ne concernent qu’une partie des populations, à savoir, les gens qui ont 18 ans et plus. Le foncier et la nationalité concernent tout le monde. Ma suggestion donc, c’est qu’il ne puisse pas décider tout seul dans son coin.

Faites-vous allusion à un référendum ?

Pas un référendum. Ce que je veux dire, c’est qu’il ne faut pas mettre ensemble les deux questions : la nationalité et le foncier. La nationalité, c’est simplement pour la Côte d’Ivoire, d’appliquer les engagements qu’elle a pris au sein de la Cedeao. Nous sommes membres de l’Uemoa et de la Cedeao. Les populations de l’Ouest africain ont le droit de se déplacer et de s’installer librement dans le pays de leur choix. Il n’y a aucune difficulté à cela. De mon point de vue, cela devrait être clair pour le président de la République, qu’il n’y a aucun problème de nationalité, si nous appliquons les textes de la Cedeao. Il ne fallait pas les signer, on les a signés, il faut donc laisser aux gens la liberté de circulation, d’installation et de résidence et que cela soit réciproque dans tous les pays de la Cedeao.

Qu’en est-il du foncier ?

C’est, à mon avis, la question la plus grave. Il faut que l’on comprenne que la question foncière n’est pas une question de redistribution des terres. Non ! C’est une question du retour de la terre à ses propriétaires initiaux. Mon raisonnement, c’est que les rois de France, quand ils ont colonisé la Côte d’Ivoire, se sont approprié, et le territoire et les hommes. Les montagnes, les rivières, l’or, les forêts : tout était à la couronne de France. Ils ont exploité ce territoire jusqu’à l’indépendance. Quand nous sommes devenus indépendants, il aurait fallu, à ce moment-là, que la couronne de France, rendant le territoire de Côte d’Ivoire, au peuple de Côte d’Ivoire, que le nouvel Etat dise à ses populations : « ceux qui nous ont colonisés s’en vont. Reprenez vos terres. Toi le vieux de Béoumi qui as 50 ha, voilà, le papier, ta terre te revient. Toi le vieux de Soubré qui as 10 ha, voilà le papier, ta terre te revient »…

Il faut à vos yeux une privatisation des terres ivoiriennes.

La terre est un bien privé. C’est pour les populations. Dans toutes les familles de Côte d’Ivoire, chacun a un lopin de terre. Notre gouvernement a refusé de reconnaitre cette propriété privée. L’Etat s’est substitué au pouvoir colonial. Il vend des terres, là où il y a déjà des propriétaires de ces terres. Ça crée des conflits. Moi, je suis à Sakassou, je pense que j’ai 10 ha, et le préfet vend ces 10 ha à quelqu’un d’autre qui vient pour faire de l’agriculture. Lui, il a un papier signé du préfet, et moi, j’ai un droit coutumier. Les droits s’entrechoquent et ça devient conflictuel. Ce que nous, nous suggérons, c’est que l’Etat commence à faire le cadastrage de toutes les terres de Côte d’Ivoire. Qu’on demande à l’ordre des géomètres, de mettre des bornes, de réprofiler les terrains, de voir les limites des villages, des communes, des sous-préfectures, des départements, de faire des routes pour séparer les terres, de faire du remembrement, installer des servitudes qui permettent à chacun d’aller dans son champ sans passer par le champ de quelqu’un d’autre, puis de donner les papiers de toutes ces terres aux propriétaires. Une fois qu’on a fait cela, il n’y a plus de difficulté. Si monsieur Coulibaly arrive de Korhogo, qu’il veut s’installer à Kouibly, pour faire de l’agriculture, il va rencontrer le propriétaire de la terre qui a le titre foncier, et tous les deux dealent entre eux. Ils signent des contrats, de prêts de vente. L’Etat n’a plus rien à y voir. Ça se passe entre notaires et avocats. En cas de conflit, c’est l’affaire des juges et des avocats. Mais, si on ne donne pas ces terres aux propriétaires et que c’est l’Etat qui s’asseoit à Abidjan pour dire : « nous donnons 200.000 ha de terres à telle compagnie dans le nord, 300.000 ha de terres à telle compagnie à l’Ouest », c’est là que nait le conflit. Car ces 300.000 ha à l’Ouest, 200.000 ha au Nord appartiennent bien à des villageois. De quel droit on veut leur arracher ces terres pour les donner à quelqu’un d’autre ?

On peut vous répliquer que vous aviez ces solutions 10 ans durant quand vous étiez président de l’Assemblée nationale….

Que les gens arrêtent de rappeler tout cela. Koulibaly n’était pas le président de la République. Koulibaly était le président de l’Assemblée nationale. Koulibaly a trouvé la loi sur le foncier rural votée, et Koulibaly a toujours dit que cette loi n’était pas bonne, mais les gouvernements successifs ont toujours refusé de modifier la loi. Je continue de dire aujourd’hui qu’elle n’est pas bonne. Depuis 1990-1992, où je me suis intéressé à ces questions, j’ai toujours écrit que la propriété étatique de la terre conduit au conflit. Je me suis toujours engagé pour dire que chaque Ivoirien, chaque propriétaire de terre doit avoir un titre foncier sur sa terre, qu’il faut faire le cadastrage. Moi, je n’ai pas voté la loi en 1998 ! En 1998, j’étais prof à la fac. Elle a été votée, elle n’a pas été appliquée, elle n’est pas bonne.

On ne peut tout de même pas, raisonnablement, totalement déposséder un Etat de tout le domaine !

Mais l’Etat n’a pas à être propriétaire foncier. Il va prendre la terre de qui ? Les terres ont déjà des propriétaires. L’Etat s’est octroyé différentes forêts classées pour des raisons culturelles, environnementales, de protection des espèces en voie de disparition, de conservation au profit des générations futures. Mais il n’est même pas capable de protéger ces forêts classées ! Regardez la forêt du Banco. Cette forêt, dans les années 1960, était très vaste. Regardez ce qu’il en reste. Les forêts du Mont Péko, de Taï, les forêts classées de Bouna… L’Etat lui-même, de par la loi, s’est donné des zones qu’il n’est pas capable de protéger. Pourquoi aller arracher les terres de nos parents qui vont au champ pour les donner à l’Etat, alors que, lui, n’arrive pas à s’occuper déjà, du patrimoine qu’on lui a donné ?

Tout à l’heure, à propos de votre passé de président de l’Assemblée nationale, vous disiez que vous avez trouvé des problèmes là, et que vous n’étiez pas le président de la République. Le président de la République actuel peut vous répondre, lui aussi, qu’il a trouvé Ouérémi dans la forêt du mont Péko.

Non, Ouérémi est un Frci. Les Frci, c’est une création du président de la République. Donc, il n’a pas trouvé Ouérémi là. Ourémi est un combattant Frci.

Toujours est-il qu’il est là, dans la forêt du mont Péko depuis 2003.

C’est le restant, sinon le produit des Fafn. On sait d’où il vient. Mais la forêt du mont Péko est la propriété de l’Etat de Côte d’Ivoire. Peu importe que Ouérémi soit Togolais, Burkinabé ou Malien. L’important, c’est qu’il y a une forêt classée qui est propriété de l’Etat de Côte d’Ivoire. Et l’Etat de Côte d’Ivoire n’a pas à laisser cette forêt classée dans les mains de bandes armées. Pareil pour les villages environnants spoliés. C’est un engagement de l’Etat de Côte d’Ivoire de protéger la propriété des villageois. Ouérémi, non seulement, il est là-bas, mais ne le fait même pas discrètement, il nargue l’Etat de Côte d’Ivoire.

Vous n’allez pas dire que sa présence dans le mont Péko est plus menaçante aujourd’hui qu’hier, puisqu’il y était depuis des années sous le régime de l’ancien président, Laurent Gbagbo.

Sous le régime de Laurent Gbagbo on évoquait le fait qu’il fallait que ces combattants occupent le terrain pour chasser Gbagbo du pouvoir. C’était la logique des zones Cno (Centre, Nord et Ouest). De la même façon que Fofié était à Korhogo, que Wattao et les autres étaient à Bouaké, Katiola, Man, que Zakaria était à Vavoua, de la même façon Ouérémi était là-bas. Aujourd’hui, Gbagbo n’est plus au pouvoir. Pourquoi redécouper le pays en morceaux et les laisser sous la gestion de ces mêmes Com’zones ? On n’est plus en situation de conflit où il y a la Côte d’Ivoire des Cno et la Côte d’Ivoire de l’Etat de Côte d’Ivoire. Le président Ouattara est élu président de la République de Côte d’Ivoire, d’une « Côte d’Ivoire rassemblée », selon son propre slogan. Dans ce rassemblement, il est difficile de comprendre que la gestion qui a prévalu dans les zones Cno, soit aujourd’hui généralisée à l’ensemble de la Côte d’Ivoire : morceler le pays et le donner à des Com’zones, certains, officiellement nommés préfets de régions, et d’autres officieusement, responsables de régions. Ce n’est pas normal. Ce n’est pas ce qui est officiellement dans le serment du président de la République Ouattara….

“L’oppposition doit arrêter de faire du nombrilisme”

Pourquoi, hier, on n’a pas utilisé tous les moyens contre Ouéremi ? Est-ce à dire que les rebelles étaient plus forts que l’Etat sous Gbagbo ?

Oui, les rebelles étaient plus forts que l’Etat. Pendant ces 10 ans, il était dans le fauteuil de président de la République, mais c’est Ouattara qui gouvernait. Ça, je le dis, je le répète. Tout ce qui a été fait, l’a été que par la volonté de Ouattara. Quand Ouattara ne voulait pas quelque chose, ça ne se faisait pas. Quand Ouattara voulait quelque chose, ça se faisait. Le désarmement a été signé à plusieurs reprises par Gbagbo Laurent, jamais il n’a pu désarmer. La réunification du pays a été, à plusieurs reprises, proclamée dans les accords par Gbagbo Laurent, mais jamais il n’a pu réunifier le pays. L’unicité des caisses a été signée dans les accords à plusieurs reprises, mais jamais Gbagbo Laurent n’a pu obtenir l’unicité des caisses. Mais aujourd’hui, Gbagbo Laurent n’est plus là. C’est Ouattara qui est le président de la République. Il n’a toujours pas le désarmement, l’unicité des caisses, la réunification du pays. De surcroit, la gestion traditionnelle qui était appliquée par les Forces armées des forces nouvelles (ex-rebelles) dans les zones Cno a été généralisée à l’ensemble du territoire. Ça, ce n’est pas constitutionnel. Le président a prêté serment sur la constitution, moi, je considère que s’il n’arrive pas à faire respecter l’autorité de l’Etat sur l’ensemble du territoire, à garantir l’intégrité du territoire partout, c’est un parjure.

Il ne vous arrive pas de penser que ce ne sont pas des questions qui ne se règlent pas par un coup de baguette magique, d’autant que 10 ans durant, l’ancien régime n’a pas pu apporter des solutions à ces mêmes questions. Quand vous évoquez une hyperpuissance du président Ouattara, hier, d’aucuns pourraient plutôt parler d’incapacité de Gbagbo à l’époque, dans la résolution de ces questions.

Je suis d’accord avec vous, avec eux. Incapacité du pouvoir de Gbagbo à l’époque, oui. Mais ça, c’est passé. Gbagbo, on n’en parle plus. Aujourd’hui, c’est Ouattara qui est président. Et moi, je parle de l’Etat aujourd’hui. Un Etat, avec un président de la République qui a les pleins pouvoirs, et qui, pendant longtemps, a appuyé, organisé, participé à toutes les rencontres de sortie de crise nationales ou internationales. Aujourd’hui, qu’il est président, il ne peut pas nous dire qu’il n’est pas capable d’avancer économiquement, politiquement, sur le plan militaire, social….

Vous pensez qu’il n’y a pas eu d’avancée du tout ?

Sur le plan politique, je ne vois pas d’avancées. Les prisons sont pleines d’opposants politiques, la réconciliation est complètement bloquée, le parlement est l’ombre de lui-même, l’opposition n’a aucun statut, le président a les pleins pouvoirs… On a fait des élections, mais une démocratie, ce ne sont pas les élections. C’est le contrôle du pouvoir politique et le fait que le pouvoir politique puisse rendre compte et qu’on puisse lui demander des comptes.

Est-ce pour le contrôle de ce pouvoir politique que vous en appelez à une coalition de rupture ?

Oui. Il faut une coalition pour qu’on arrête de faire du nombrilisme, une coalition pour regarder seulement les intérêts des hommes et des femmes politiques. Avant la question de la nationalité qui, à mon avis, importe peu, et avant même de toucher aux questions foncières, qui me paraissent importantes, cette coalition doit, au commencement, demander et obtenir du président de la République, qu’immédiatement, l’on fasse un recensement de la population. On ne peut pas éviter cela. Nous sommes à notre quatrième recensement général de la population. Entre le premier de 1975, le second de 1988 et le troisième de 1998, on attend le quatrième recensement qui devrait avoir lieu en 2008. On est en 2013. Avant de parler de quoique ce soit, qu’il s’agisse des élections, de la nationalité, du foncier, voire de programme économique, de plan de développent national, il faut qu’on sache combien il y a d’hommes, de femmes et d’enfants en Côte d’Ivoire. Et cette coalition, c’est pour rompre avec cette tradition qui nous conduits à ignorer complètement nos populations et à ne penser qu’à la politique : qui devient président, ministre, Dg, député, maire… Ce n’est pas ce qui donne à manger aux populations. Ce n’est pas ce qui donne la paix ou la sécurité. Ce qui donne la paix et la sécurité, c’est d’abord de savoir combien nous sommes en Côte d’Ivoire. Combien y a-t-il de chômeurs, d’hommes, d’enfants, de personnes qui vivent dans le milieu rural, en milieu urbain, combien vivent d’agriculture, de service… Si on a toutes ces indications, on peut voir clair et organiser le développement économique. Ça, c’est une question plus importante que la nationalité. Le recensement dira combien de nationaux, il y a. Et les étrangers ont des droits garantis par la Cedeao : le droit de la libre circulation, de la libre installation…

Comment pourriez-vous obtenir cette coalition quand on sait que vous-même, vous étiez au Fpi et que vous dirigez un parti politique aujourd’hui. Comment pourriez-vous vous retrouver dans un rassemblement avec les dirigeants du Fpi ? Comment les 11 groupements politiques ivoiriens qui n’ont pas pu parler de la même voix, face au gouvernement, dans le cadre du dialogue républicain, peuvent aujourd’hui discuter solidairement avec le même gouvernement ?

A mon avis, les contextes ont beaucoup changé entre ce qui se passait, il y a six mois, et aujourd’hui. Et puis, moi, je suis un éternel combattant, je me dis qu’il faut toujours remettre sur la table la possibilité que les Ivoiriens puissent se parler sur le champ politique. Je ne désespère pas du dialogue entre le gouvernement et l’opposition et du statut de l’opposition. Comment cela va se faire ? Moi, j’ai lancé l’appel. Mais ce qu’il faut éviter, c’est de refaire un Cnrd (Congrès national de la résistance pour la démocratie) bis. Le Cnrd a été inefficace parce qu’il a été une association de partis politiques, d’associations et de mouvements politiques superposés, qui n’avait pas de direction centrale, de direction organisationnelle, de direction stratégique, de vision commune. Ça n’a pas marché. Ce n’est pas une Lmp (La majorité présidentielle) qui était un rassemblement de gens autour d’une personne pour des questions électorales. Ça n’avait ni état-major ni statuts ni règlement intérieur, ni direction. Ça n’a pas marché. La coalition dont je parle, c’est une coalition autour d’un programme au service de la Côte d’Ivoire. Ce n’est pas une coalition contre Ouattara, c’e n’est pas une coalition pour quelqu’un, c’est une coalition pour la Côte d’Ivoire. C’est une coalition de rupture, avec cette vieille tradition de laisser-aller, de mépris vis-à-vis de notre peuple. Le recensement général de la population est le premier axe de cette coalition. Le deuxième, c’est le statut de l’opposition. Le troisième, c’est la recomposition de la Commission électorale indépendante (Cei), sur la base d’un partenariat entre le gouvernement et cette opposition reconnue. Le quatrième point, c’est de remettre à plat la liste électorale et de la reconstituer de fond en comble, intégrer les 4 ou 5 millions de personnes supplémentaires totalement exclues du processus électoral par Ouattara, depuis les élections dernières. Une fois qu’on a obtenu ça, on peut dire que les élections de 2015 sont en route. Moderniser le processus électoral, ce n’est pas mettre des gadgets électroniques, comme le vote électronique. Ce n’est pas ça. C’est d’adapter le processus électoral aux exigences du moment.

C’est-à-dire ?

Les exigences du moment, c’est : tous les enfants qui avaient 13, 14 ans en 2009, vont avoir l’âge de voter en 2015. Il faut que la liste électorale intègre ces 4 ou 5 millions de personnes. On aurait dû les intégrer avant d’aller aux élections municipales. Ouattara ne l’a pas fait. La résolution 2062 le demandait. On aurait dû changer la Commission électorale pour y aller, on ne l’a pas fait. Et on a exclu 4 millions de gens. Ça, c’est punissable par la Constitution.

Vous ressentez le besoin d’une opposition face au pouvoir Ouattara mais vous n’en voyez pas encore la forme.

Oui. Le besoin est là, l’exigence est là, mais la forme que cela va prendre, je n’en sais rien. Moi, j’ai lancé l’appel, un cri du cœur, parce que j’écoute en ville et les gens à l’intérieur du pays. Les planteurs d’anacarde déçus, à qui Ouattara avait promis monts et merveilles et qui ne voient que la misère. Les planteurs de cacao déçus, eux aussi, parce qu’ils ne voient que la misère. Les jeunes à qui il avait promis 200.000 emplois par an, mais qui sont toujours dans une situation de chômage aggravée. Les femmes, qui vont accoucher dans les hôpitaux, qui meurent là-bas…. Je trouve que cette coalition a sa place. Il faut qu’elle s’organise rapidement.

Un autre appel est lancé pour un rassemblement patriotique. Qu’est-ce qu’il vous inspire ? Je ne sais pas ce que c’est.

Le Fpi demande au Pdci de se mettre ensemble en vue de contrer le pouvoir du président Alassane Ouattara au sein d’une force politique qui s’appellera le rassemblement patriotique.

Je n’en connais pas les contours, je ne sais pas ce que c’est. Mais moi, je ne lance pas l’appel à des partis politiques. Je lance l’appel à toutes les bonnes volontés, aux individus, aux associations, à tous ceux qui, dans leur salon, pensent que, franchement, la Côte d’Ivoire va mal. Elle est à 8.9% de croissance, comme le dit le gouvernement, mais c’est une croissance qui se fait sans accroissement d’emplois, de bien-être des populations, c’est une croissance qui se fait avec la pauvreté….

Comment vous avez interprété la montée en puissance des candidats indépendants lors des élections locales ?

J’ai vu deux éléments principaux dans cette montée en puissance. Le premier, c’est que depuis son élection à la présidence de la République, le président Ouattara n’a pas arrêté de chuter dans l’estime des Ivoiriens. Le nombre de voix qu’il a obtenues à la présidentielle au premier tour est beaucoup plus faible que ce qu’il a eu aux législatives, avec ses élus et son parti politique. Aux municipales, ce nombre de voix est toujours en baisse. Il est donc dans une tendance décroissante. Il tombe dans l’estime des populations. Même celles qui ont accepté de mourir pour lui, à l’époque, prennent aujourd’hui conscience que ça a été une erreur. C’est la première leçon que j’en tire. La deuxième, c’est qu’il y a un dégoût certain, de beaucoup de gens, de la classe politique elle-même et de la population en général, vis-à-vis des machines partisanes. Le nombre des indépendants issus même de tous les partis politiques prouve qu’au sein même des machines politiques, les gens ne sont plus vraiment à l’aise.

Est-ce le déclin des appareils politiques ?

Pas vraiment un déclin, mais il y a une sorte de lassitude vis-à-vis des partis politiques, et le fait que les indépendants partent à la compétition prouve qu’il y a des gens qui ont de nouvelles idées, qui ont envie de faire autre chose, mais que les partis, dans leur structuration, n’arrivent pas toujours à accorder à ces personnes ce qu’elles demandent. Les gens vont donc en se disant : moi, je vais proposer aux populations ce qui me plaît, vous du parti, vous proposerez ce que vous voulez, et on verra. Et la victoire des indépendants prouve que les partis n’ont peut-être pas toujours raison.

Quand le président de la République vous dit que 50% des indépendants élus sont issus de son parti, est-ce que vous ne pensez pas que cela réduit un peu ce qu’on appelle le phénomène des indépendants ?

Non, ça ne réduit pas. Au contraire. Ça montre qu’il y a un problème au sein de son parti. Ça veut dire que la discipline du parti qui, normalement, aurait dû amener tous les candidats à rester dans la ligne du parti pour aller aux élections, s’est complètement effritée. Ça veut dire que l’autorité du président du parti s’est complètement effritée au sein de sa machine. Ça veut dire que la direction de ce parti n’a plus la mainmise sur les cadres de ce Rdr. Ça veut dire qu’il y a des conflits internes au sein de ce parti. Et si le nombre d’indépendants est grand, ça veut dire que le malaise est aussi grand. Si le nombre est faible, le malaise est faible. Mais il y a malaise quelque part.

Vous ne pensez pas que ça veut dire aussi que la Cei n’est pas aussi partisane qu’on le dirait ?

Non, ça veut dire que la Cei est totalement inefficace, et à la limite, inutile.

Pourquoi ?

Toutes les élections qu’elle a organisées depuis qu’elle a été mise en place se sont terminées par la tricherie, des conflits, des morts d’hommes. Elle a fait les présidentielles. Je ne vous passe pas ce qui s’est passé. Elle a fait les législatives, ça s’est terminé par des bagarres partout. Elle a fait les municipales, il y a eu encore des violences. Au lieu d’être une Commission électorale indépendante, elle est plutôt dépendante sur le plan opérationnel sur le plan du choix des dirigeants et sur le plan financier. Cette dépendance-là, la tue.

Si elle était aussi dépendante, comment expliquer la montée des indépendants ?

Ce n’est pas elle qui choisit les indépendants dans les partis politiques. Elle, elle organise les élections. Elle sécurise les élections, les programme, les organise. Cette Commission électorale, ce n’est pas aujourd’hui qu’il aurait fallu décider sa restructuration, en conseil des ministres, contrairement à ce que le gouvernement dit. C’est au lendemain des législatives. Je m’inscris, encore une fois, en faux contre les interprétations qu’en donne le président de la République. Les accords de Pretoria, de Ouagadougou, tous les accords signés, disent que cette Commission électorale est là pour les élections générales. Et quand on dit élections générales, en science politique, ce sont les élections présidentielles et les élections législatives. Les élections municipales ne font pas partie des élections générales. D’ailleurs, la résolution 2062 l’a rappelé au président de la République en disant : n’allez surtout pas à ces élections municipales sans avoir reformaté la Commission électorale, restructuré la liste électorale, choisi avec vos opposants, la date des élections, dans un large consensus, donné à cette opposition un statut pour que ces élections soient inclusives, et sans avoir pris des garanties pour que cette compétition puisse se dérouler sans conflits après.

Une fois de plus, si cette commission électorale était si dépendante du pouvoir, et si elle était aussi abonnée à la tricherie, elle n’aurait pas favorisé la victoire des indépendants. Dans votre logique, elle aurait plutôt favorisé la victoire du parti au pouvoir.

Quand on dit qu’elle n’est pas indépendante, ça ne veut pas dire qu’elle est à la botte du pouvoir. Ça veut dire qu’elle est à la botte des partis politiques. Les conflits qu’on voit dehors, entre les partis, sont aussi les conflits qu’on voit à l’intérieur, dans la commission électorale. La dépendance de la commission ne signifie pas qu’elle est au service du président de la République. Non. Elle est au service des partis politiques. Les indépendants sont partis en se disant : on y va parce que, localement, on maitrise la commission électorale. A partir de ce moment, ça veut dire que le président est à Abidjan, qu’il ne contrôle pas la commission, et qu’eux, ils la contrôlent localement. Et le président de la République, lui, avait la responsabilité de remettre tout à plat, d’y faire rentrer et le gouvernement, et les opposants, de façon paritaire, pour que ces élections soient surveillées, et que les gens n’aillent pas à ces élections en se disant : moi, j’ai le contrôle de la commission électorale, localement. Ça a contribué à donner ce qu’on a vu.

Vous donnez raison au boycott.

Non, ce n’est pas donner raison au boycott. Ce que je dis, c’est que la commission électorale et le président de la République n’ont pas respecté les engagements internationaux, les accords de sortie de crise, les résolutions des Nations unies. Ça a donné, ce que ça a donné. Ceux qui ont boycotté ont fait un choix politique, de même que ceux qui y sont allés. Je ne les juge pas. Je juge ceux qui ont la gestion de l’Etat de Côte ‘Ivoire.

Ne pensez-vous pas que l’absence d’un contre-pouvoir en face du pouvoir est aussi liée à l’incapacité des opposants de savoir se rassembler et de privilégier les intérêts nationaux ?

C’est vrai qu’il y a cet aspect. Si vous êtres des opposants, des groupes d’opposition, si vous n’êtes pas capables de vous organiser dans une coalition bien organisée, autour d’un programme, pour faire face à un gouvernement, pour challenger ce gouvernement, le contrôler et défendre les intérêts des populations, quelque part, vous êtes aussi responsables du succès de ce pouvoir. L’autre volet, c’est que le président de la République lui-même ne veut pas d’opposant, pas même en son propre sein. Son partenariat à l’Assemblée nationale au sein du Rhdp a donné deux exemples où il a montré qu’on ne doit pas lui dire non, même entre partenaires. Quand les députés de son propre camp, qui traditionnellement sont opposés à des choses, n’ont pas voulu regarder de près sa loi sur la famille, il a dissous le gouvernement pour mettre tout le monde au pas. Quand, dans un deuxième temps, il sort de l’Elysée, après avoir rencontré le président français et qu’il annonce que désormais, il va gouverneur par ordonnances, ça veut dire que, même s’il y avait une opposition forte en face, il n’en aurait même temps tenu compte. Il a repris dans les mains de l’Assemblée nationale le pouvoir législatif !

Vous ne pensez pas que ce que vous dites pose davantage un problème institutionnel, qu’un problème personnel qui serait lié à la personne du président Ouattara ?

Je parle des Institutions, non pas des personnes. En Côte d’Ivoire, chaque fois que je vous dis : le président de la République, ce n’est pas de Ouattara je parle. Je parle de l’Institution de la République. Quand Gbagbo était président, je disais la même chose. Et à l’époque, mes amis on pensé que j’étais contre Gbagbo. On disait : mais, Koulibaly, il cherche quoi même ? Pourquoi, il est toujours en train de critiquer Gbagbo ? Ce n’est pas l’homme que je critique. C’est l’Institution présidentielle. A l’époque, quand je disais qu’il faut un régime parlementaire, des responsables de mon ancien parti disaient : lui, il veut prendre la place de Gbagbo. Je parlais du régime. Mon problème, ce n’est pas les hommes, ce sont les Institutions. Notre base institutionnelle n’est pas bonne.

Alors, je vous poserais la question : que cherche Koulibaly finalement ?

Ce que Koulibaly cherche, c’est que nous puissions nous donner des Institutions qui nous aident à atteindre nos objectifs. Le président Ouattara veut que la Côte d’Ivoire soit émergente. C’est bien. Il a de l’amour pour son pays. Pourquoi pas ? Mais ce ne sont pas les voies qu’il choisit-là, qui vont nous conduire à l’émergence. Le président Ouattara veut la réconciliation, c’est bien, tout le monde souhaite cela. Mais ce n’est pas en discriminant entre les Ivoiriens qu’il va atteindre la réconciliation. Il veut la paix sociale, la sécurité pour tout le monde, c’est bien. Mais ce n’est pas en confiant la gestion du pays aux Com’zones qu’il va atteindre ces résultats. Voilà ce que dit Koulibaly. Il y a des Institutions, renforçons-les, contrôlons les hommes politiques, le président de la République, les députés, ayons un gouvernement fort, une opposition forte, pour que les intérêts du peuple de Côte d’Ivoire soient défendus.

Auriez-vous une réaction particulière sur l’actualité politique du moment ?

Juste une observation. J’ai entendu des amis dire, en ville, qu’après avoir dénoncé Ouérémi dans le Mont Péko, je devrais tomber sous le coup d’une poursuite pour propos xénophobes, racistes, ou tribalistes. La loi existe, ils n’ont qu’à la relire. On aurait dû poursuivre le président de la République le jour où il déclarait, alors qu’il prêtait serment, qu’il exerçait son pouvoir pour faire du rattrapage ethnique. La loi condamne ce type de propos. Dire qu’on est président de la République, juste pour l’intérêt de quelqu’un, n’est bien. Les peuples du Nord de la Côte d’Ivoire, les peuples Dioula, Malinké, de Côte d’Ivoire, n’ont pas besoin de discrimination pour avoir leur bonheur. Les peuples, Wê, Dan, Guéré, Yacouba, Baoulé, Bété ou Agni, n’ont pas besoin, pour vivre ensemble, qu’on les discrimine entre eux. Si on doit arriver à une paix, il faut rassembler les Ivoiriens, tenir un discours qui rapproche les uns des autres, et non pas un discours qui les déchire tout le temps. J’invite, tous à lire la loi, à relire les propos des uns et des autres. Moi, je n’ai pas fait de parjure.

Interview réalisée par BENOIT HILI