Ferdinand Oyono

Meka, le héros de ce roman publié par les éditions Julliard en 1956, est convoqué par Fouconi, le commandant blanc de Doum. Une convocation qui est loin de le réjouir car il pense qu’il va être arrêté et emprisonné. En réalité, il doit être décoré, le 14 juillet, par le Haut-Commissaire, le grand chef des Blancs, pour services rendus à la France. Pour rappel, Meka avait offert ses terres à la Mission catholique et ses deux fils avaient perdu la vie en défendant la France pendant la Seconde Guerre mondiale. Par cette décoration, le mari de Kélara est censé devenir l’ami ou le frère des Blancs. La suite montrera qu’il n’en est rien. En effet, la cérémonie de décoration est immédiatement suivie d’une petite fête dans une salle du Foyer Européen. À la fin de la fête, tout le monde quitte la salle, sauf Meka qui était ivre. C’est un orage qui l’obligera à partir de là. Comme il fait nuit, il décide de s’arrêter chez Mami Titi qui tenait un petit bar dans le quartier des indigènes. En route, non seulement il perd sa médaille mais il est arrêté, bastonné et jeté en prison par les policiers de Gosier-d’Oiseau. Meka prend alors conscience, douloureusement et amèrement, que “le chimpanzé n’est pas le frère du gorille”, c’est-à-dire que le Noir n’a jamais été et ne sera jamais l’ami du Blanc.

“Le Vieux Nègre et la médaille” prolonge en quelque sorte “Une vie de boy” dans la mesure où on y retrouve la même naïveté des Noirs. Comme Toundi dans “Une vie de boy”, Meka fait preuve d’une grande naïveté en s’imaginant que recevoir la médaille des Blancs, c’est devenir leur ami. Il faudra qu’il soit humilié et maltraité par Gosier-d’Oiseau pour qu’il comprenne qu’il y a un grand fossé entre le comportement réel des Blancs et leurs paroles doucereuses.

Les tirailleurs africains avaient cru, eux aussi, qu’ils étaient devenus les frères des Blancs après avoir combattu à leurs côtés pendant les deux guerres mondiales jusqu’au jour, le 1er décembre 1944, où 70 d’entre eux furent massacrés par des gendarmes français dans le camp de Thiaroye, pour avoir réclamé le paiement de leurs indemnités et pécule promis depuis des mois. Jean-Bedel Bokassa se considérait comme l’ami de la France. Il appelait même De Gaulle son papa, un papa à l’enterrement duquel il ne se priva pas de verser un torrent de larmes. Mais, quand il fut renversé par la même France en 1979 et qu’il voulut s’exiler dans l’Hexagone, Giscard, qui profita pourtant des diamants centrafricains, lui répondit qu’il n’était pas le bienvenu en France. Finalement, c’est Houphouët qui le recueillit.

Peu avant le premier tour de la présidentielle de 2010, Claude Guéant, en visite à Abidjan, laissa entendre que son pays ne soutenait aucun candidat et que Paris travaillerait avec le président qui serait élu par les Ivoiriens. Et, une fois de plus, il se trouva des Ivoiriens naïfs pour gober les mensonges de Guéant. Or l’ancien ministre de l’Intérieur ne disait pas la vérité car, quelques semaines plus tard, l’armée française fut mise à contribution pour bombarder la résidence du chef de l’État et installer le pion de la France.

Mais il n’y a pas que l’ingratitude et la duplicité des Blancs qu’Oyono nous fait voir dans “Le Vieux Nègre et la médaille”. Est aussi stigmatisée la tromperie des missionnaires qui, pour prendre les terres de Meka, lui ont fait croire qu’elles “ont plu au bon Dieu”. Pire encore, les ouvriers noirs qui travaillent sur ces terres doivent se contenter du merci du prêtre, alors que la communion et la confession ne sont jamais gratuites.
Un autre reproche fait aux missionnaires blancs est leur discrimination : Blancs et Noirs sont enterrés séparément dans le cimetière catholique. Idem devant la “sainte table” : les Blancs n’y reçoivent pas le même traitement que les Noirs. Oyono trouve intolérable ce racisme des gens qui prétendent parler au nom d’un Dieu qui ne fait point acception des personnes (Rm 2, 11).

La discrimination et l’incohérence des missionnaires ont-elles disparu ? Non, puisque, après avoir frappé du poing sur la table pour protester contre l’expulsion des Roms roumains et hongrois de la France par Sarkozy, Benoît XVI ne leva pas le petit doigt quand la France massacra en 2011 des Ivoiriens qui voulaient simplement appliquer leur Constitution. Le plus scandaleux est qu’il se fit représenter à l’investiture de l’imposteur. Ni son successeur ni l’ambassadeur du Vatican à Abidjan n’ont jusqu’ici jugé nécessaire de condamner les incessantes violations des droits humains par le régime Ouattara. Par ailleurs, quel prêtre, religieux ou religieuse français s’est une fois désolidarisé des crimes de la France en Afrique francophone ? On a ainsi l’impression que, même dans la “sainte” Église catholique, la vie du Noir a moins de valeur que celle du Blanc. Or, tant que persistera cette façon de voir et de faire, il y aura des Africains pour penser que le Christianisme est une vaste escroquerie ou un auxiliaire sournois mais efficace de l’impérialisme occidental.

Comme on peut le voir, le roman de Ferdinand Oyono reste d’actualité. Les maux qu’il dénonce existent toujours et s’appellent : naïveté des Noirs; propension de ces derniers à faire spontanément confiance au Blanc; ingratitude, duplicité et hypocrisie des Blancs; racisme de leurs missionnaires, etc.

À la fin du roman, Meka dit qu’il n’a pas plus la force de se battre. Si lui et les gens de son village s’étaient battus, peut-être que cela aurait atténué l’arrogance et l’influence de la France au Cameroun car, et c’est une autre naïveté dont nous devons nous défaire, les Blancs ne mettront jamais fin à la Françafrique de leur propre gré. Il revient aux Africains de les y contraindre. Nous devons les affronter et les combattre pied à pied.

Jean-Claude DJEREKE