Charnier de Yopougon, assassinats de … Hélène,  Balla Kéita, Robert Guéi, Camara Yèrèfè dit H, Guy André Kieffer; les enfants dans les plantations de cacao, le mutisme du régime Ouattara

Henri Konan Bédié et le Pdci-Rda pourront-ils résister à la menace qui pèse sur eux par Alassane Ouattara et ses partisans qui se sentent martyrisés de 1994 à 1999 ? 

Signé par les leaders des partis membres du Rassemblement des Houphouëtistes pour la démocratie et la paix (Rhdp) il y a quelques jours, suite à une rencontre entre Henri Konan Bédié et Alassane Ouattara quelques heures plus tôt, l’acte de naissance du parti unifié des Houphouëtistes semble ouvrir la voie à une déchirure des membres de la famille. En témoignent les bruyantes manifestations d’humeur de militants du Parti démocratique de Côte d’Ivoire-Rassemblement démocratique africain (Pdci-Rda) contre leur leader, HKB comme l’appellent les Ivoiriens. Qui dénoncent une forfaiture, craignant l’absorption, et même la disparition de leur parti au profit de leur principal allié, le Rassemblement des républicains (Rdr) d’Alassane Ouattara qui en tire le plus grand profit. Si parti unifié il y aurait, serait-ce possible que les militants de base, socle des partis politiques, cohabitent pacifiquement ?

Ce n’est un secret pour personne, le profond désamour entre Henri Konan Bédié et Alassane Ouattara, alors respectivement président de l’Assemblée nationale et premier et unique Premier ministre de Félix Houphouët-Boigny date du dernier trimestre de 1989, année où le premier président ivoirien confie un comité inter-ministériel à Alassane Ouattara, Gouverneur de la Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO). Celui-ci avait pour mission de redresser l’économie ivoirienne exsangue par plusieurs années de gabegie. Economiste, qui est resté ministre de l’Economie et des Finances de Côte d’Ivoire pendant 11 années (1966-1977), et auteur des réformes économiques du pays, ancien fonctionnaire à la Banque mondiale, Henri Konan Bédié acceptait mal que son pupille aux Etats-Unis d’Amérique soit ‘’l’oiseau rare’’ qu’Houphouët-Boigny ait trouvé. C’est qu’au moment où Henri Konan Bédié était ambassadeur de Côte d’Ivoire aux Etats-Unis un an après l’accession à la souveraineté nationale du pays en 1960, Alassane Ouattara qui y était allé pour ses études en 1962, l’avait pour tuteur légal. Mais, bien plus encore, il devenait, de par sa position de Premier ministre, la deuxième personnalité du Pdci-Rda par la volonté du président Houphouët-Boigny. Bien que deuxième personnalité constitutionnelle de Côte d’Ivoire en tant que président de l’Assemblée nationale, et dauphin constitutionnel, Henri Konan Bédié percevait en ce ‘’technocrate’’ (comme Houphouët aimait à présenter Alassane Ouattara) un potentiel rival à la succession du président.

La victoire de Bédié sur Ouattara

La suite des évènements lui donnera raison quand, le 07 décembre 1993, le Premier ministre annonce aux Ivoiriens et à la communauté internationale, au journal télévisé de 13 heures, le décès du père-fondateur de la nation ivoirienne. Il annoncera même que lui et ses ministres évacueraient les affaires courantes, en attendant que les médecins légistes constatent le décès d’Houphouët-Boigny et transmettent le dossier au Conseil constitutionnel qu’il savait pourtant inexistant à cette époque. Une supercherie que HKB ne tardera pas à contrer de la plus vigoureuse des manières, en annonçant à son tour, au journal télévisé de 20 heures le même jour, qu’en vertu de l’article 11 de la première Constitution du pays, il succédait au défunt, et demandait aux Ivoiriens de ‘’se mettre à ma disposition’’, Alassane Ouattara et son Gouvernement y compris. Un message musclé que certains observateurs ont mis sur le compte de la colère, expliquant qu’il était plutôt destiné à Alassane Ouattara et ses soutiens, nationaux et extérieurs. ‘’La guerre Bédié-Ouattara’’ venait ainsi de se déclarer, dont Bédié venait de remporter la victoire. Mieux préparé, avec une réelle assise populaire (Ministre pendant 11 ans, Député de Daoukro et président d’une Assemblée nationale unicolore-seul le Pdci-Rda y était représenté-) contre Ouattara que personne ne connaissait au pays avant 1990, en dehors des cercles financiers, et des trois années passées à la Primature, HKB a rapidement pris les choses en main.

Humilié au congrès extraordinaire du Pdci en avril 1994, Djény Kobinan et ses amis créent le RDR

Mais cette victoire n’a procuré qu’une courte joie au clan Bédié. ‘’Embauché’’ au Fonds monétaire international (Fmi), avec l’accord de Bédié quasiment sous contrainte, et croyant certainement éloigner son rival, Alassane Ouattara rumine sa vengeance. En avril 1994, trois mois seulement après l’inhumation de Félix Houphouët-Boigny en janvier, à Yamoussoukro, le Pdci-Rda tient un congrès extraordinaire au palais des congrès de l’hôtel Ivoire, à Abidjan, dont le point unique était la désignation de son nouveau président. Président intérimaire de la République, HKB devait contrôler le parti. Seul candidat en lice, il ne pouvait tolérer un son contraire. C’est dans cette atmosphère que Djény Kobinan Georges, membre du Bureau politique, adversaire malheureux de Arsène Usher Assouan (premier ambassadeur de Côte d’Ivoire aux Nations unies, ami de longue date de Bédié, longtemps Député-maire de la Commune ‘’présidentielle’’ de Cocody, à Abidjan) aux législatives 1990, remportées par le Professeur Francis Vangah Wodié, alors président du Parti ivoirien des travailleurs (Pit), tente de prendre la parole. Secrétaire national du Pdci-Rda chargé des relations avec les autres partis, donc de l’opposition, et ami de Laurent Gbagbo adversaire malheureux de Félix Houphouët-Boigny à la première présidentielle multipartite en 1990, Djény était dans le viseur des barons de ce parti. Il insiste pour dénoncer l’illégalité du cumul de la fonction de président de la République avec celle de président du parti au pouvoir, sans succès. Raillé, et humilié par des congressistes, Djény Kobinan claque la porte du congrès. Sa position étant partagée par Philippe Grégoire Yacé, président du Conseil économique et social d’alors, compagnon de Félix Houphouët-Boigny et président de l’Assemblée nationale de 1960 à 1980, Djény est suivi par des dizaines de congressistes. Il entendait aussi dénoncer l’humiliation qu’a subie Alassane Ouattara à la mort du ‘’Vieux’’. Sur conseils de Philippe Yacé, il transforme le courant des ‘’rénovateurs du Pdci’’, dont il était le porte-parole, en parti politique. Il en devient le Secrétaire général, premier responsable du nouveau parti. Avec ses amis sortis du Pdci, notamment Hyacinthe Leroux, les Professeurs Hyacinthe Sarassoro, Ayé Ayé, Henriette Dagri Diabaté, et bien d’autres, Il sollicite, toujours sur conseils de Philippe Yacé, et obtient l’accord d’Alassane Ouattara pour présider aux destinées du Rassemblement des républicains. Celui-ci accepte l’offre.

Alassane Ouattara devient officiellement président du RDR en 1999

Mais contraint par la réserve de l’Institution internationale, il ne peut diriger un parti politique. Surtout dans un pays placé sous l’administration de la Direction générale adjointe du Fmi dont il est devenu le premier responsable. Djény Kobinan et Laurent Gbagbo, président du Front populaire ivoirien (Fpi), scellent une union la même année, en vue de venir à bout d’un Pdci qui, bien que fragilisé par la disparition de son fondateur, détient encore les leviers du pouvoir, dans tous les compartiments, avec le soutien d’une base paysanne militante plutôt solide. Le Front républicain qu’ils créent tente d’empêcher la tenue de l’élection présidentielle en 1995, surtout que le président du RDR, à Washington, ne peut être autorisé à compétir en raison de la raison évoquée plus haut, mais aussi de l’article 35 de la Constitution de la première République qui empêchait tout Ivoirien qui s’était prévalu d’une autre nationalité d’être candidat au poste de président de la République de Côte d’Ivoire. Alassane Ouattara s’étant prévalu de la nationalité Voltaïque, puis Burkinabé, et Américaine dans le cadre de ses études et début de sa vie active, il était frappé par les dispositions de cet article. HKB fait même éditer ‘’les chemins de ma vie’’, un livre-interview dans lequel il dit de Ouattara qu’il ‘’savait, lui-même, qu’il n’avait pas à se mêler de nos affaires de succession en Côte d’Ivoire’’, parce que, toujours selon Bédié, ‘’il est Voltaïque’’. Laurent Gbagbo et le Fpi se mettent aux côtés du Rdr, dans le cadre du Front républicain créé quelques mois plus tôt, pour boycotter la présidentielle de 1995. ‘’Le boycott actif’’ perturbe sérieusement la cohésion nationale, avec des pertes en vie humaine dans certaines zones du pays où il a été…plus actif. Malgré tout, l’élection a lieu, avec plus de 97 % pour le candidat du Pdci-Rda, face à Francis Wodié qui n’a pas accepté de suivre le mot d’ordre de l’opposition. Après son élection qui le sort de la posture d’intérimaire, Henri Konan Bédié entame les réformes des Institutions, au nombre desquelles la réécriture de l’article 35 de la Constitution afin de définitivement sceller le sort d’Alassane Ouattara, celui qu’il considère comme son principal adversaire. Très vite, l’adversité entre les deux hommes se transforme en animosité, pire un duel, sous le regard amusé de Laurent Gbagbo, qui entend tirer profit de cette ‘’guerre fratricide’’, et bénéficier du soutien des militants du Rdr le moment venu. Son mandat au Fmi achevé en 1998, Alassane Ouattara devient officiellement président du Rassemblement des Républicains en 1999, au plus fort des contestations de ce parti contre Henri Konan Bédié, un an après le rappel à Dieu de Djény Kobinan, décédé le 18 Octobre 1998.

Le coup d’Etat contre Bédié en 1999

Installé en France, le tout nouveau président du Rdr multiplie les conférences de presse, accusant son ‘’ennemi’’ de vouloir l’empêcher d’être candidat parce que ‘’je suis Musulman, et du Nord’’. Ralliant à sa cause une frange importante des populations originaires de la partie septentrionale du pays, qui constituent plus de 90 % des militants de son parti aujourd’hui. ‘’Je frapperai ce pouvoir moribond, et il tombera comme un fruit mûr’’, autant de slogans d’Alassane Ouattara contre Bédié. Des militants du Rdr sont emprisonnés suite à des casses orchestrées lors de marches dites pacifiques. Et le 24 décembre 1999, une réclamation de primes de mission de jeunes militaires de l’armée ivoirienne, entamée le 22 décembre, et au moment où la direction du Rdr (Henriette Diabaté, l’actuelle Grande Chancelière, Amadou Gbon Coulibaly, aujourd’hui Premier ministre, et bie d’autres cadres) se mue en coup d’Etat militaire. Brutalement évincé à un an de la fin de son mandat, Henri Konan Bédié part en exile en France, au moment où Alassane Ouattara regagne le pays. Dans l’avion qui le ramène, le président du Rdr salue ‘’le coup d’Etat des œillères’’, qui devait lui permettre d’être candidat à la présidentielle 2000 en Côte d’Ivoire. De nombreux observateurs lui ont, alors, attribué ce coup d’Etat. Même de nombreux militants du Pdci-Rda et les partisans du président déchu. Dès lors, plus rien ne pouvait rapprocher les deux hommes. Du moins logiquement. Convaincu qu’il a été victime d’un coup d’Etat arbitraire soutenu par Alassane Ouattara, Bédié et son filleul d’antan avaient désormais leurs chemins diamétralement opposés, jusqu’à l’avènement de Laurent Gbagbo et le Fpi au pouvoir d’Etat, suite à une élection organisée par le Général Robert Guéi, chef du Conseil national de salut public (Cnsp), l’organe qui a dirigé la transition militaire de décembre 1999 à Octobre 2000. Candidats à cette compétition, Henri Konan Bédié et Alassane Ouattara ont été disqualifiés, le premier pour ne s’être pas présenté devant le collège des trois Médecins agréés par le Conseil Constitutionnel, et le second pour s’être prévalu d’une autre nationalité.

Naissance et objectif du Rhdp

Victime d’un coup d’Etat manqué en janvier 2001, Laurent Gbagbo devait faire face à un autre dans la nuit du 18 au 19 septembre 2002, qui s’est mué en rébellion lorsque les auteurs ont été chassés d’Abidjan par les soldats loyalistes, pour occuper le Centre, le Nord et l’Ouest de la Côte d’Ivoire. Contraint par les différents accords signés avec les rebelles, Laurent Gbagbo a dû accepter d’user de l’article 48 de la Constitution, qui lui donne la prérogative d’agir sans référendum, pour rendre Alassane Ouattara éligible. Ainsi rendu éligible, au même titre que Henri Konan Bédié et les autres Ivoiriens qui le désirent, Alassane Ouattara et ses soutiens extérieurs devaient résoudre ‘’l’équation Gbagbo’’. L’un et l’autre croyant tirer profit d’un rapprochement, comme conseillés par leurs différents clans, Bédié et Ouattara taisent leurs querelles, dans la perspective de la présidentielle 2005, qui a finalement eu lieu en octobre 2010. Commencent des tractations à Accra lors d’un sommet sur la crise ivoirienne, pour se terminer en France avec la naissance du Rassemblement des Houphouëtistes pour la Démocratie et la Paix (Rhdp), en 2005. Celui-ci regroupe, outre le Pdci-Rda et le Rdr, l’Union pour la démocratie et la paix (Udpci), parti fondé par feu le Général Robert Guéi dont hérite Dr Albert Mabri Toikeusse, le Mouvement des forces d’avenir (Mfa) d’Innocent Anaky Kobena. Ils ont été rejoints plus tard par le Parti ivoirien des travailleurs et l’UPCI du Colonel-Major des Douanes Gnamien Konan, ex-Directeur générale de cette régie financière sous le régime de Laurent Gbagbo. Leur seul objectif, dégager Laurent Gbagbo du Palais présidentiel. Quitte à s’entendre plus tard sur le partage du pouvoir.

Les vieux souvenirs Bédié-Ouattara

Mais, Henri Konan Bédié n’a pas oublié que sa perte du pouvoir d’Etat est en partie dûe à ses disputes avec Alassane Ouattara, qui, lui aussi, n’a pas encore oublié que c’est Henri Konan Bédié qui est à l’origine de ses ennuis avec l’administration ivoirienne. Ainsi, contre mauvaise fortune, chacun d’eux fait bon cœur. Et gare à celui qui sera le premier à déterrer la hache de guerre. Si dans le pire des cas, Bédié devra s’allier au Front populaire ivoirien pour reconquérir son pouvoir perdu, Alassane Ouattara attend que Bédié commette cette erreur pour le mettre ‘’hors d’état de nuire’’. Peut-être même que Bédié pourrait goûter ‘’aux délices’’ de la Maison d’arrêt et de correction d’Abidjan (Maca) où ont séjourné, sous son régime, bon nombre de hauts cadres du Rdr aujourd’hui au pouvoir. Même si ce temps est révolu, Alassane Ouattara n’a pas oublié que Bédié l’avait poursuivi pour ‘’faux et usage de faux en écriture’’ pour ‘’un simple papier qu’on lui demande’’, dixit Emile Constant Bombet, tout puissant ministre de l’Intérieur de Bédié, rejetant le certificat de nationalité qu’il s’était fait établir à Dimbokro, un dimanche, par le Juge Zoro Bi Ballo Epiphane. Il avait même été convoqué à la Police pour ce forfait, et le Commissaire Brindou qui lui envoyait la convocation, nommé plus tard Directeur général de la Police par Ouattara, avait été molesté par les militants du Rd qui avaient formé un cordon de sécurité autour de sa résidence, à Cocody-Les Ambassades.

L’impossible cohabitation pacifique Pdci-Rdr

Si l’objectif de ‘’chasser’’ Laurent Gbagbo du pouvoir d’Etat a été atteint, fort est de constater que les souvenirs douloureux que les deux leaders des deux plus importants partis de la coalition au pouvoir ont l’un contre l’autre sont nombreux. Il suffit d’une petite étincelle pour rallumer le feu de la discorde. Qui plus est, nombre de cadres du Pdci-Rda, pris au piège du débauchage qui se mue en chantage politique, font les frais  du mécontentement de leurs camarades du parti au pouvoir. Ceux-là croient dur comme fer qu’il ne faut plus laisser les rênes du pouvoir au Rdr après 2020. Soupçonné par ses partisans de servir la cause de sa famille biologique que celle de ses militants, Bédié, dans un baroud d’honneur, insiste pour faire accepter à son allié l’idée d’une transition au pouvoir en faveur de son parti. Là où Alassane Ouattara et ses partisans, qui disent avoir souffert le martyr sous Bédié, n’entendent pas lâcher prise à son profit. Avec l’armée, la Justice, l’administration et les Institutions que contrôle le Rdr, les partisans de Ouattara attendent Bédié et les siens de pieds fermes. Pour se venger.

Bédié encore en liberté, c’est par la seule volonté d’Alassane Ouattara. Que va-t-il faire en cas de refus de Bédié et du Pdci de se plier à la décision du parti unifié d’où sortira, dans ses calculs, un cadre du Rdr ? Qui vivra verra ! Quant aux poucets de la coalition, ils se mettent à l’écart, et assistent ‘’la fin du film’’.

Laurent Nahounou

laurentmadoun@gmail.com