Mgr Marcellin Yao Kouadio, Président de l’épiscopat de Côte d’Ivoire

Par Rodrigue ADJEI
Juriste-Politologue

L’homélie incisive et critique concernant la vie politico-socio-économique de la Côte d’Ivoire, dite par Monseigneur Marcellin Yao Kouadio, Évêque de Daloa, le dimanche 04 juin dernier au cours de la 123e Assemblée plénière de la conférence des  Évêques  Catholiques à la paroisse Saint Jean-Marie Vianney d’Agboville, ne cesse de drainer d’importants soutiens, surtout  au sein du clergé Ivoirien, et ce, en dépit  des condamnations et  virulentes réactions des partisans du régime d’Abidjan.

Présidée par Mgr Marcellin Yao Kouadio, la 123e Assemblée plénière de la Conférence des  Évêques  Catholiques de Côte d’Ivoire, qui s’est tenue à Agboville, a été l’occasion pour le prélat Ivoirien de mettre en lumière la désagrégation de la société ivoirienne, du fait des dirigeants actuels du pays, qui entre perfidie, fausses promesses, ruse et gouvernance approximative sapent à l’envi le développement socio-économique de la Côte d’Ivoire, l’avenir de la jeunesse du pays, mais surtout, la réconciliation nationale qui revêt depuis 2011 de l’utopie.

C’est donc en présence de plusieurs de ses paires, du ministre de la Santé et de l’hygiène publique    et de la Couverture maladie universelle, Dimba N’gou Pierre, que l’évêque de Daloa, Mgr Marcellin Yao Kouadio a révélé qu’en Côte d’Ivoire : « la corruption, ce que le Pape François qualifie de cancer social, est généralisée, l’âpreté au gain frauduleux, le tribalisme, la justice sélective, l’esprit de haine et de vengeance, le jeu trouble de la classe politique en grande amitié, hier, divisée, aujourd’hui, la fraude électorale, l’arrogance, le mensonge, la violence et les crimes même en mode silencieux, le développement effectué en morceaux choisis en reconnaissance aux militants dociles ou en représailles aux localités insoumises.

Les prophéties et promesses politiques ne sont pas tenues. Notre pays, la Côte d’Ivoire apparaît comme un vaste cimetière de promesses non tenues avec une jeunesse désemparée, d’où l’immigration clandestine et avec ces cas multiples de suicides, la drogue, l’alcoolisme, la violence, les braquages à mains armées.

La formation est aujourd’hui au rabais dans nos écoles, universités et grandes écoles avec une volonté inavouée d’abrutir tout un peuple, de détruire toute une jeunesse. La prostitution est à ciel ouvert en ville et même dans les zones rurales minées par l’orpaillage clandestin et cet orpaillage est  parrainé par des divinités politiques », avant d’indiquer que « les populations sont attristées, nous assistons à une vraie paupérisation des zones rurales avec les produits agricoles mal rémunérés »

Aussi, affirme t-il que « l’appel à la paix et à la réconciliation n’a jamais été sincère par ce que la plupart du temps ceux qui nous parlent de paix, se promènent en gilet anti balles. On ne note aucun geste de remord chez les bourreaux. Les Ivoiriens restent encore divisés, le climat socio-politique est suffoquant d’où un ministère en charge de la Réconciliation. Le peuple est constamment humilié et pris en otage. Nous vivons une démocratie armée. Nous sommes en face d’un certain occultisme politique».

Les propos révélateurs du président de la 123e Assemblée  plénière de la conférence des  Évêques  Catholiques de Côte d’Ivoire, sont depuis peu mal accueillis par les militants du parti au pouvoir, le RHDP, qui condamnent la sortie du prélat Ivoirien et s’offusquent que de tels propos soient tenus à l’encontre du pouvoir d’Alassane Ouattara, avant de répondre avec morgue à Mgr Marcellin Yao Kouadio, précisément par la voix d’Amadou Coulibaly, ministre de la communication et de l’économie numérique et porte-parole du Gouvernement qui a martelé au sortir du Conseil des ministres du 7 juin dernier que « nous ne vivons pas dans le même monde ».

Fort des attaques contre le président de l’épiscopat Ivoirien, le Père Basile Diané, Curé de la Paroisse Saint Antoine de Padoue de Moossou, dans un élan de soutien à Mgr Marcellin Yao Kouadio, en proie aux invectives des militants et cadres du RHDP, soutient pour sa part qu’« on peut tout reprocher à Mgr Marcellin sauf de n’avoir pas dit la vérité et d’avoir porté au grand jour avec la puissance de l’autorité qu’il revêt, la vérité drastique et dramatique au quotidien de tant d’Ivoiriens épris de vérité, de justice et de paix. Il faudrait accepter quelques rares fois que les écueils tombent de nos yeux et que nous soyons enseignés par la vérité des faits, rien que des faits. »

Et de s’interroger « pourquoi voulons-nous corrompre des prêtres et des Évêques pour qu’ils disent que tout va bien dans le meilleur du monde et nous caresser dans le sens du poil alors que la réalité socio politique commande une analyse à froid et avec lucidité pour reconnaître les failles dans la gouvernance, les souffrances non exprimées publiquement et autres injustices criantes. »

« Tous ceux qui ont eu le culot et l’outrecuidance d’insulter Mgr Marcellin doivent se repentir et avoir l’humilité de se laisser enseigner et instruire par un prélat de grande culture et de grande vertu. C’est triste, honteux et malheureux de parler de quelqu’un, de pourfendre et de jeter l’anathème sur un prophète, au sens noble du terme, qui ne fait qu’exercer une mission hautement salvifique pour la Côte d’Ivoire qu’il aime au même titre que tous ceux qui se sont érigés en justiciers bien souvent pour des prébendes et des strapontins de postes », dixit Basile Diané soutenu dans la foulée par Père Marius Hervé Djadji, Docteur en théologie dogmatique de l’Université catholique de Louvain la Neuve qui s’est contenté de faire un rappel de mémoire à Amadou Coulibaly et d’égrener les maux de la société ivoirienne.

Père Basile Diané, Curé de la Paroisse Saint Antoine de Padoue de Moossou

« J’aimerais inviter le ministre à faire un petit détour historique pour lire ce que des évêques ont dit hier, pour comprendre que dans l’Église catholique de Côte d’Ivoire, les évêques ne parlent pas en fonction de celui qui est au pouvoir. Ils ont parlé devant le président Houphouët-Boigny, quand les cadres du RDR étaient incarcérés au temps du Général Robert Guei a voulu confisquer le pouvoir, Monseigneur Ahouana a parlé .L’histoire est le juge objectif par conséquent, Monsieur le ministre étant donné que vous êtes un expert en communication, parcourons ensemble ce que disait votre presse hier. Vous pouvez approfondir en parcourant des journaux comme le Patriote et autres pendant la période allant de novembre 2011 à janvier 2012. Nous pourrions faire l’exercice ensemble en partant de 1960 à 2012 (…) », a signifié le Père Marius Hervé Djadji.

«(…)  Je voudrais juste vous préciser que les évêques catholiques ont toujours réagi dans ce pays en prenant des dispositions courageuses. Ils ne parlent pas beaucoup, mais quand ils décident de parler, ils ne portent pas de gilets-anti balles. Le Cardinal Yago n’applaudissait pas le président Houphouët Boigny chaque matin », a rappelé le Père Hervé Djadji au porte-parole du Gouvernement Ivoirien, Amadou Coulibaly, qui le 7 juin dernier a pris plaisir à répondre à l’évêque Marcellin Yao Kouadio par une simple boutade et s’est évertué à ressasser  les différentes réalisations du Gouvernement Ivoirien en matière d’éducation, de santé, d’infrastructures routières, d’emplois aux jeunes et de développement économique.

Au-delà, du rappel de mémoire que l’Église Catholique en Côte d’Ivoire a toujours interpellé les dirigeants du pays et vivement critiqué la gouvernance et les écarts des différents présidents qui se sont succédés au magistère de la République, Père Hervé Djadji, sans porter de gants a apporté plus de réflexions à l’homélie de Marcellin Yao Kouadio, en invitant le ministre Amadou Coulibaly à faire profil bas et de se rendre à l’évidence que l’homélie du président de l’épiscopat Ivoirien est une vérité absolue et il ne saurait dire le contraire pour plaire à quiconque.

« Qu’est-ce que Monseigneur Marcellin devait dire à son tour pour être applaudi et porté au dos avec de la poudre sur le visage par Monsieur le Ministre ?

Le Président de la Conférence aurait dû dire qu’en Côte d’Ivoire il y a la réconciliation, tout le monde est content, on s’embrasse, la Justice condamne les coupables, quand on sait tous et vous savez que depuis 2011 seul un camp est jugé, malmené alors que des bourreaux, des rebelles sont ministres, généraux, colonels, ambassadeurs, président d’Institutions ? Vous pensez qu’une telle justice peut apaiser les cœurs ?

Dites merci à Monseigneur parce qu’il met en lumière ce que ressentent des millions d’Ivoiriens. Vous devez simplement prendre cela en compte pour que le gouvernement fasse des efforts dans ce sens.

Qu’est-ce que Monseigneur devait dire pour plaire aux laudateurs du pouvoir ?

Monseigneur Marcellin devait dire qu’en Côte d’Ivoire il n’existe pas d’orpaillages clandestins soutenus par des industriels cachés ? alors que vous savez comme moi Monsieur le Porte-parole du Gouvernement que dans le centre, dans le nord, à l’ouest, on trouve des zones occupées, des villages sous domination de bandes armées. Dites merci à Monseigneur parce qu’il vous présente la souffrance des Ivoiriens.

Que devait dire l’évêque de Daloa pour être porté en triomphe ?

Monseigneur Marcellin devait dire qu’en Côte d’Ivoire, tout le monde mange bien, tout le monde se soigne bien, nous avons de l’eau partout, des routes partout ?

Monsieur le ministre, vous savez comme moi que ce n’est pas la vérité. Il existe des Ivoiriens qui luttent pour avoir de l’eau potable. Nous savons que des Ivoiriens vivent encore dans la misère, avec des dispensaires à 5km vides, sans médicaments. Nous savons qu’en Côte d’Ivoire pour faire un scanner, il faut faire des centaines de kilomètres. Nous savons tous qu’en Côte d’Ivoire, il suffit d’une petite pluie pour que des routes inaugurées deviennent impraticables.

Que devait dire le Président de la Conférence Épiscopale pour qu’il soit le chouchou du Pouvoir ?

L’évêque devait dire qu’il y a la sécurité pour tous les Ivoiriens ? Monsieur le ministre, Porte-parole du gouvernement et ceux qui insultent l’évêque, vous savez avec moi que tout le monde n’est pas logé à la même enseigne. Certains ont toute une poudrière chez eux pour les protéger tandis que d’autres peuvent être tués par des enfants, on peut jouer au ballon avec leur crâne sans réaction. L’évêque n’a fait que relever ce qui existe pour que dans votre plan gouvernemental vous preniez cela en compte parce que quand on est dans des voitures blindées à vitres teintées avec des gyrophares on ne voit vraiment rien.

Père Marius Hervé Djadji, Docteur en théologie dogmatique de l’Université catholique de Louvain la Neuve

Qu’est-ce que le Ministre devait dire pour être un homme de vérité ?

Le ministre devait dire que les Universités de Côte d’Ivoire sont parmi les cinq premières en Afrique, dans nos écoles tout se passe bien, des réseaux de drogue n’existent pas, les enfants ne frappent pas des enseignants pour avoir des congés, le taux de réussite est excellent, les jeunes refusent de prendre la route pour l’immigration clandestine. Monsieur le ministre, vous savez comme moi que c’est du mensonge. Nos enfants sont devenus des brouteurs, d’autres détiennent des armes et sont devenus d’après votre gouvernement les enfants en conflit contre la loi ». Telles sont à la fois les questions soulevées et les affirmations du Père Hervé Djadji au porte-parole du Gouvernement Ivoirien.

La sortie du prélat Ivoirien, à côté des traditionnelles vives critiques de l’opposition ivoirienne, apparaît comme un camouflet inattendu qui n’a pas fini de tétanisé les laudateurs de la politique d’Alassane Ouattara, qui, réfugiés derrière des injures et des propos indécents à l’encontre de Mgr Marcellin Yao Kouadio et de l’Église Catholique, peinent à apporter des faits tangibles pouvant catapulter l’évêque de Daloa, Marcellin Yao Kouadio et le faire taire à jamais.

« J’ai pris le temps d’écouter, de réécouter l’homélie de Mgr Marcellin. J’ai du mal à comprendre toutes ces condamnations d’urticaire et impudiques. Je comprends que beaucoup n’ont pas le niveau intellectuel pour se départir de leurs “divinités” et chapelles politiques mais je pense qu’il faudrait à un moment donné arrêter de tomber dans le dilatoire et l’imposture.» a répliqué le Père Basile Diané, en réponse aux tenants du pouvoir qui s’en ont pris à l’évêque de Dalao, Marcellin Yao Kouadio.

Les quelques vives réactions des partisans du parti au pouvoir entendues ces derniers jours, à l’encontre de l’homélie critique de l’évêque Marcellin Yao Kouadio et surtout la posture méprisante du porte-parole du Gouvernement Ivoirien, font remarquer que la morgue, l’arrogance, la suffisance et la prétention de plusieurs cadres du parti au pouvoir, ainsi que de plusieurs ministres, sont des obstacles à lever pour que la voix du peuple, portée par le prélat Ivoirien et d’autres religieux Ivoiriens trouve effectivement écho auprès des consciences encore éveillées pour le salut de la République.