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Michel Maffesoli

Editions Léo Scheer

Prix: 19 euros 

Depuis le début du 21ième siècle, plusieurs auteurs, et non des moindres, s’interrogent sur le devenir de la Franc-maçonnerie. Le Professeur Bruno Etienne, inaugurait cette salve, en 2000, avec le toujours d’actualité «Une voie pour l’occident, la franc-maçonnerie à venir». Dans ce livre foisonnant et tonitruant, il fustigeait les appareils obédientiels et en appelait à un retour à la «tradition». Puis, ce fut, de diverses manières, Alain Bauer, Michel Barat, Roger Dachez, constatant «Le crépuscule des frères» et appelant aux «Promesses de l’aube». Et voici cette «lettre ouverte aux francs-maçons et quelques autres» du philosophe et sociologue Michel Maffesoli, dont on sait qu’il analyse depuis des décennies la lente agonie d’une «modernité» qui s’est perdue, au lieu d’être rationnelle, dans les croyances «rationalistes» et «progressistes», tout en se raccrochant à quelques «ismes» théoriques, annonçant l’avènement d’une postmodernité vibrionnante, vivante, société collaborative, solidaire (clin d’œil au solidarisme de Léon Bourgeois ?) et empathique.

Au «progressisme», il oppose la progressivité de la démarche initiatique maçonnique. A la vision d’un progrès linéaire, il préfère le thème de la spirale. A la fraternité théorique, qu’elle soit maçonnique ou républicaine, il préfère l’afrèrement. Bref, il en appelle à un retour aux fondements, aux fondamentaux, aux fondations et donc à la tradition de la franc-maçonnerie «éternelle», étant entendu que pour lui, comme pour Jaurès, «être fidèle à la tradition, c’est être fidèle à la flamme, non à la cendre».

Montrant en quoi la franc-maçonnerie du 18ième siècle, entre esprit des Lumières et référence à la Lumière, a pu être en phase avec «l’air de son temps», il laisse entendre qu’elle s’est peut-être depuis, dans la modernité, et en France, perdue de vue, entre d’un coté la défense dogmatique des valeurs républicaines, de l’autre une spiritualité quasi dogmatique, ce qui est un comble pour une «institution», d’essence libertaire, où l’on est censé apprendre à penser et à dire librement, et non pas à être des «libres-penseurs», dont il rappelle, avec malice, que Nietzsche en disait qu’ils n’étaient «ni libres, ni penseurs».

L’objectif de cet ouvrage est clair et précis : montrer l’extraordinaire actualité de la franc-maçonnerie «de tradition», en ce sens que le secret permet le partage de l’intimité et la cohésion du groupe (la loge serait un clan appartenant à une tribu…), le rituel nous rattache au passé et manifeste l’union, le penser libre invite et incite à refuser le dogmatisme et le conformisme de la «bien –pensance», quelle qu’elle soit.

Le voilà bien «le trésor caché» que les francs-maçons doivent retrouver et exposer, trésor que sont les rites, les mythes, la symbolique et la pratique d’une parole libre circulant librement dans un enracinement dynamique et une fraternité vécue au lieu d’être proclamée de façon incantatoire. Le Frère Bruno Etienne disait de la franc-maçonnerie qu’elle était une vieille ânesse qui ignorait qu’elle portait des reliques inestimables. A sa manière moins tonitruante, mais avec une aussi grande acuité et dans un style plus concis, Michel Maffesoli, nous dit que non seulement ces reliques sont un trésor, non pas à idolâtrer, mais que ce trésor est un trésor d’espérance…

Le paradoxe de la franc-maçonnerie à l’aube du 21ième siècle est là : un désir de réenchantement du monde, un désir de spiritualité a-dogmatique, un désir d’espérance émergent et suintent de toutes les couches de la société, émergences de courants de pensée et de styles de vie qu’analysent depuis de nombreuses années les sociologues, philosophes et anthropologues conséquents ; tous désirs que la franc-maçonnerie a de quoi assouvir si elle veut bien, elle-même, puiser dans son «trésor caché» sous les scories de combats sociétaux ou dogmatiques qui ne sont, finalement, pas les siens.

Dans un oxymore tel qu’il les affectionne, Michel Maffesoli, parle d’une «fraternité de combat». C’est bien à un combat que Michel Maffesoli nous invite, celui d’un humanisme intégral, aux antipodes d’un humanisme théorique d’autant plus proclamé que le fait de le proclamer exonère d’avoir à le vivre.

Je connais des milieux maçonniques où Michel Maffesoli est considéré comme un «réactionnaire». Cela doit, d’ailleurs, l’amuser. Il l’est certainement, au sens premier de ce mot, dans la mesure où son ouvrage invite à nous réveiller et à réagir contre certaines «dérives» des appareils obédientiels. Plus précisément, disons qu’il est un «hérétique», quelqu’un qui pense par lui-même et nous invite à faire de même.

Aux premiers, je dis : lisez-le d’abord, vous en discuterez après. Quant aux autres, Sœurs et Frères de toutes sensibilités et de toutes obédiences, considérez cet ouvrage comme le viatique indispensable pour vous accompagner dans votre voyage.

Et c’est ainsi qu’Hiram est grand…

AJL

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