Laurent Gbagbo, injustement détenu à la Haye depuis le 30 novembre 2011

Par Jean-Claude DJEREKE

Dans la bouche de certains locuteurs, les mots peuvent dire le contraire de ce qu’ils portent ou être détournés de leur vraie signification; ils sont alors biaisés, mensongers. Utiliser des mots mensongers n’est pas quelque chose d’anodin. Nous ne devons ni les banaliser, ni les sous-estimer car “la perversion de la Cité commence par la fraude des mots” (Platon).
Je voudrais revenir sur quelques mots qui non seulement sont des slogans creux mais révèlent que ceux qui les ont forgés et mis sur le “marché” ne sont rien d’autre que de vulgaires marchands d’illusions. Je commencerai par cette phrase prononcée le 22 janvier 2012 par le candidat socialiste François Hollande au Bourget, à quelques encablures de Paris: “Mon véritable adversaire, c’est le monde de la finance”. Quand Hollande commença à faire des cadeaux aux riches (90 milliards d’euros au patronat contre 35 milliards à l’époque de Sarkozy, selon Jean-Luc Mélenchon sur BFMTV le 23 août 2014), les électeurs de gauche s’aperçurent que les propos tenus par Hollande pendant la campagne électorale n’étaient qu’un gros mensonge. Jusqu’à la fin de son unique mandat, il n’aura pas réussi à faire mentir ceux qui considéraient les socialistes français comme une gauche caviar, terme qui désigne les personnes qui se réclament du socialisme tout en vivant d’une manière qui jure avec les valeurs socialistes qui sont, entre autres, la simplicité, la solidarité, la compassion, le partage, la proximité avec les milieux populaires, l’attention aux faibles et défavorisés, le contact avec les militants de base, la lutte pour la vérité et la justice, etc. Mieux que quiconque, Laurent Joffrin a décrit le phénomène dans son ouvrage “Histoire de la gauche caviar” (Paris, Robert Laffont, 2006). Sans être les seuls, Dominique Strauss Kahn et Laurent Fabius sont les figures emblématiques de cette gauche caviar.
Les mots ne semblent pas connaître un meilleur sort avec Emmanuel Macron puisque, si l’on en croit le mouvement “Solidarités émergentes”, le slogan « En Marche ! » signifierait en réalité « Marche Arrière » (https://solidaritesemergentes.wordpress.com/…/comment-page…/). En voyant le gouvernement composé de personnes venant de la droite, de la gauche, du centre et de la société civile, beaucoup de Français pensaient que Macron inaugurait une nouvelle façon de faire la politique, qu’il redonnerait du respect à la fonction présidentielle et qu’il réduirait le déficit du pays sans étrangler les pauvres. Un an après son élection, le successeur de Hollande a montré, par son arrogance et sa collusion avec les oligarques, qu’il était un homme, non pas du nouveau monde, mais de l’ancien.
Qu’en est-il chez nous? Les mots y subissent-ils le même dévoiement? Si oui, lesquels? La liste proposée ci-dessous est loin d’être exhaustive, tant s’en faut. Chacun pourra la compléter à sa guise. Le premier slogan auquel j’ai pensé est celui de Konan Bédié à qui Alassane Ouattara est en train de faire payer son refus de créer avec le RDR le RHDP unifié: “Le Progrès pour tous, le bonheur pour chacun”. Ce slogan était trompeur car seule une minorité (la famille et le clan de Bédié) connut le progrès et le bonheur.
Sous le règne (dictatorial) de l’homme adoubé deux fois par Bédié, il fallait composer avec les expressions suivantes: “Vivre ensemble” et “Un ivoirien, un toit”. Ressassées ad nauseam dans les discours, meetings et journaux du RDR, ces expressions n’en sont pas moins une mystification car, si le premier slogan signifie “vivre chez les autres sans eux”, le second doit être compris comme “ le fait de dormir à la belle étoile ou dans un cimetière”. Les déguerpis de Cocody-Danga et de l’Abattoir de Port-Bouët savent de quoi je parle.
Je voudrais saisir cette occasion pour rappeler que les expressions “justice des vainqueurs” et “le bunker de Gbagbo” fréquemment utilisées par les médias français me semblent inapropriées: la première, parce que le RHDP n’a gagné ni le second tour de l’élection de 2010 ni la guerre. Je préfère parler de justice à deux vitesses. La seconde, parce que Houphouët n’a pas construit un bunker mais une résidence présidentielle. Laurent Gbagbo, injustement détenu à la Haye depuis le 30 novembre 2011, a été kidnappé dans cette résidence et non dans un bunker.
Chaque fois que nous voulons communiquer, nous devons avoir le souci de ne pas trahir les mots; nous devons veiller à employer le terme juste car “mal parler n’est pas seulement une faute contre le langage même, cela fait encore du mal aux âmes” (Platon)

Jean-Claude DJEREKE