C’était un 7 octobre 2003. La veille, j’avais présenté mon essai « Fallait-il prendre les armes en Côte d’Ivoire ? » à la librairie carrefour de Cocody où j’avais, à mes côtés, Théophile Kouamouo. William Atteby, lui, avait brillé par son absence sans aucune explication alors qu’il m’avait assuré qu’il serait de la partie. Sitôt arrivé dans la capitale française, j’appelai un parent d’Abidjan pour lui dire que j’avais passé sans encombre la douane et la police de Roissy. « Dieu soit loué, me répondit-il, car je craignais que les Français t’empêchent de retourner dans leur pays, après tout ce que tu as dit contre eux, hier ! » Il continua : « En 2002, l’ambassadeur Renaud Vignal te refusa le visa français parce que tu avais critiqué Jacques Chirac dans ton livre « L’engagement politique du clergé catholique en Afrique noire » (Paris, Karthala, 2001). Les Français ne reculent devant rien pour faire taire ceux qui dénoncent leurs crimes en Afrique. Au pire, ils peuvent t’assassiner. Au mieux, ils peuvent t’expulser et c’en sera fini de ta thèse. » Ma réplique fut la suivante : « Tu as dit ce que tout oncle devrait dire à son neveu qu’il ne veut pas voir mourir trop tôt. Mais n’est-il pas préférable de mourir pour ses idées ? Et puis, ma vie a-t-elle plus d’importance que celle des Um Nyobè, Lumumba, Olympio, Sankara et autres patriotes africains ? Pourquoi ma mort devrait-elle peiner plus que celle des Ivoiriens tués dans la nuit du 19 septembre 2002 ? Lorsque la justice et la vérité sont bafouées, un homme digne de ce nom peut-il se taire ?»

Pendant que nous essayions de nous dresser contre la France et les rebelles soutenus et chouchoutés par elle contre un président démocratiquement élu, pendant que nous mettions nos vies en danger, pendant que nous défendions le pays, par devoir et au nom de l’idée que nous nous faisions du patriote, d’autres se taisaient prudemment pour sauver leur peau, pour ne pas compromettre leur carrière, pour ne pas se voir refuser le visa français, etc. Ils se taisaient quand Laurent Gbagbo était diabolisé, traîné dans la boue, bombardé, kidnappé, déporté à la Haye. On croyait qu’ils sortiraient enfin de leur silence quand Gbagbo et Blé Goudé furent maintenus en prison malgré leur acquittement. Que nenni ! Ils se turent une fois de plus. Aimé Césaire, qui jamais ne se tut devant le racisme et l’injustice, aurait dit à leur sujet : « Et les chiens se taisaient ! » Honte à ces chiens car ce qu’ils croyaient impossible est devenu possible ! Notre joie de savoir nos deux frères hors de la prison de la CPI les laissera probablement indifférents mais cela importe peu. Le plus important, c’est que nous continuions à mouiller le maillot car nous avons gagné, non pas la guerre, mais une bataille.
Jean-Claude DJEREKE