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Willy Vandamme

Selon un article étendu et détaillé du Financial Times, le projet de zones d’exclusion aérienne au-dessus de certaines parties du territoire syrien a été abandonné. La publication est parue hier le 5 octobre sous le titre « La démonstration de force du Kremlin torpille le projet de zones d’exclusion aérienne de la Syrie ». Elle est signée par Sam Jones, le spécialiste de l’aspect militaire en politique internationale du journal. Un homme disposant évidemment de bons contacts au sein de l’establishment britannique concerné.

Exclusion aérienne

Selon cet article, les projets de définition d’une zone d’exclusion aérienne pour l’armée syrienne étaient sur le point d’être conclus et faisaient la quasi-unanimité (des parties en présence) au sein de l’ONU. Cela répondait à une exigence turque vieille de cinq ans. Et cette zone devait être imposée unilatéralement par l’OTAN non seulement à partir de la frontière turque mais bizarrement aussi à partir de la frontière jordanienne. 

La justification avancée par les parties en présence recourt, comme on pouvait s’y attendre, à l’argument humanitaire, à savoir la protection des réfugiés qui, selon l’OTAN, s’enfuient pour se soustraire à la dictature barbare du président Bashar al Assad. Exactement comme on a dû protéger de toute urgence les populations civiles de la ville libyenne de Benghazi en 2011 pour les mettre à l’abri de la dictature brutale de Mouammar Kadhafi. 

Un autre argument plus récemment avancé est la lutte contre l’ISIS. On veut lui ôter le contrôle des postes frontières avoisinant la Turquie afin de permettre aux Kurdes et à des rebelles soi-disant modérés d’ y opérer plus librement et de rogner les ailes de l’ISIS. 

D’autant que ces postes frontières présentent un grand intérêt commercial et financier pour les activités commerciales de l’ISIS avec l’étranger. L’OTAN n’oublie en effet qu’à moitié la partie de bonneteau que joue la Turquie avec l’ISIS depuis un bon moment. Mais cela ne se dit pas quand on souhaite parvenir à un accord à l’unanimité. 

Le vaisseau amiral de la flotte militaire russe en Mer Noire, le croiseur Moskva, qui dispose du système de défense aérien S-300, assure la protection de la côte syrienne contre toute attaque aérienne ennemie. Il se trouve en effet aujourd’hui face à la côte syrienne, prêt à intervenir. 

L’instauration officielle de ces zones n’était selon le journal plus qu’une question de jours, tout au plus de quelques semaines. Mais l’arrivée des navires de guerre Russes ainsi que quelques dizaines d’avions et hélicoptères a, toujours selon Sam Jones, fait échouer ce plan. 

Système de défense aérienne S-300

Selon l’auteur, c’est effectivement surtout la présence d’avions de combat hypermodernes tels le Sukhoi 30 qui a alarmé l’OTAN. De plus il y a la présence face à la côte syrienne d’une vigoureuse flotte russe avec entre autres le croiseur Moskva, un destroyer contre-torpilleur et deux frégates. D’autres navires viennent encore les rejoindre. Notons que le Moskva dispose d’une batterie S-300 de missiles anti-aériens. 

Il s’agit là d’un des armements de l’arsenal russe les plus redoutés par Israël et les Etats-Unis. D’ailleurs, ces dernières années, Israël et les Etats-Unis ont remué ciel et terre pour persuader la Russie de ne pas livrer ces S-300 promis depuis longtemps à l’Iran. Ce que Moscou s’était accordé à ne pas faire jusqu’il y a peu. Nul ne sait ce que la Russie a reçu en échange. Mais rien n’est gratuit dans ce monde. 

Mais c’est surtout l’arrivée de Sukhoi 30 et de S-300 qui aurait forcé l’OTAN à écarter l’idée d’une zone limitée d’exclusion aérienne. Le président turc, Recep Tayyip Erdogan en a pourtant encore évoqué l’idée hier et aujourd’hui lors de sa visite à Bruxelles mais sans trop d’insistance. Sans doute lui aussi savait-il déjà que c’était une bataille perdue. 

Le Sukhoi-30 est considéré au sein de l’OTAN comme un des avions de combat les plus performants, tel qu’il est évoqué par nos médias, c’est un peu le cauchemar du F16. Il y en a actuellement 4 stationnés en Syrie. 

En outre la Russie a fourni à la Syrie tout un attirail de matériel de haute technologie susceptible d’être déployé pour faciliter les communications dans un vaste territoire bien défini. Tout ce matériel hyper moderne doit permettre à la Syrie conjointement avec la Russie de contrôler la situation quoiqu’il advienne. Ce qui leur assure une maîtrise effective de l’espace aérien syrien contre toute intrusion ennemie qu’ils pourront désormais empêcher. 

Intervention au sol

Une zone d’exclusion aérienne telle qu’elle est souhaitée par la Turquie et quelques autres viserait évidemment l’occupation par l’OTAN d’une portion de territoire cruciale de la Syrie. Le contrôle de ses frontières reste pour le gouvernement de Damas un élément essentiel tant pour sa sécurité que pour sa survie économique. Et c’est ce contrôle qu’on aurait voulu lui enlever. Cela équivaut à une déclaration de guerre. 

Mais la coopération de la Russie et de la Syrie avec le soutien de l’Irak et de l’Iran réduit à néant les plans d’occupation partielle de la Syrie. Et cela probablement de manière définitive. 

Même la candidate à la présidence, Hillary Clinton, toujours tenante de la ligne dure en ces matières, a hier encore, lors d’un entretien, laissé tomber cette idée. Seuls les partisans d’une guerre avec la Russie soutiennent encore ce plan aux Etats-Unis. Mais il semble que jusqu’à présent, l’OTAN n’y soit pas disposé . 

Ce document montre les systèmes de défense aérienne S-300 qui effraient tant les Etats-Unis et Israël. Ils sont également fournis actuellement à l’Iran de sorte qu’il ne viendrait aujourd’hui à l’idée de personne de bombarder ce pays. Israël et son complice l’Arabie Saoudite sont prévenus. 

L’instauration d’une telle zone d’exclusion aérienne nécessiterait également l’intervention des avions de l’OTAN qui devraient mener les combats. Au sol, suite à cette situation, les groupes salafistes aux divers plumages régneraient en maîtres et seigneurs. Bien étrange manière d’assurer la protection des citoyens ! 

Afflux des réfugiés

C’est dans ce contexte qu’ il faut probablement voir l’afflux de réfugiés qui affecte l’Union européenne et particulièrement l’Allemagne. Un autre article de ce journal paru hier sous le titre « EU asks Erdogan to agree on migrant plan », semble sous-entendre que c’est la Turquie qui aurait mis en branle ce flux et l’aurait probablement dirigé vers l’Allemagne par diverses manipulations, notamment des réseaux sociaux. 

On sait que l’Allemagne ne partage pas la politique militaire de la France et du Royaume Uni et a déjà pris une série de dispositions visant à contrecarrer cette coalition belliqueuse. Berlin a notamment décidé d’interdire l’exportation de matériel militaire en direction de l’Arabie saoudite. En orientant le flot de réfugiés de telle manière, certains veulent évidemment mettre l’Allemagne sous pression. 

Et alors qu’en Europe, certains exigent une solution rapide de la Turquie et se plaignent du fait qu’elle n’entreprend rien contre cet afflux de réfugiés, Ankara ne semble pas disposée à appuyer sur le frein. « Nous ne sommes pas pressés » a déclaré au journal un porte- parole haut placé qui souhaite garder l’anonymat. Pendant ce temps à Strasbourg, Erdogan a en guise de supplément jugé utile d’insulter publiquement l’UE sur cette question. Il fallait oser le faire. 

Via la Turquie affluent les réfugiés irakiens et syriens, cadeau du président turc Erdogan et de son AKP, membre de la société des Frères musulmans. Les camps de réfugiés syriens en Turquie sont placés sous contrôle strict du gouvernement turc et constituent un vivier de recrutement pour les rebelles salafistes. Vouloir à tout prix sortir de là est d’autant plus compréhensible. 

Il ne faut dès lors pas être surpris que toutes les chamailleries entre Erdogan et l’UE de ces deux derniers jours à Bruxelles n’aient pas donné de grands résultats. L’UE a promis des fonds pour les réfugiés et des contrôles conjoints gréco-turcs en mer seraient organisés. Mais avant la réalisation de ce dernier projet, il coulera sans doute beaucoup d’eau à travers le Bosphore à Istanbul, ou faut-il dire Byzance ! 

Emprise russe et syrienne

Suite à l’intervention résolue de la Russie, il est devenu évident que la Russie et la Syrie ont pris le contrôle de l’espace aérien syrien. Les tentatives de l’OTAN et des Etats du golfe de bombarder en Syrie sans l’accord du gouvernement syrien seront désormais soumises à l’accord préalable de Damas et de Moscou. 

Le stade avancé des plans pour une zone d’exclusion aérienne en Syrie explique sans doute les soudaines arguties juridiques notamment du Royaume Uni, de la France, la Hollande ainsi que la Belgique. 

Comme aucune autorisation d’intervention ne pouvait être obtenue des Nations unies, certains voulaient intervenir contre l’ISIS en solo. Ils ont bien demandé l’autorisation à Damas mais of-the-record, officieusement. Damas a laissé faire à contrecœur parce que cela l’arrangeait plutôt mais, à juste titre, avec infiniment de méfiance. 

Erdogan a d’abord envoyé vers l’Europe des centaines de milliers de réfugiés et vient ensuite invectiver l’UE. Vu cette arrogance, il n’y a rien d’étonnant à ce que ses gardes du corps en soient venus aux mains à deux reprises avec les membres des services de sécurité belges. Et tandis que Madame Erdogan voulait faire son shopping dans la très chic avenue Louise, les gardes du corps turcs bloquaient tout simplement le quartier très fréquenté et les magasins visités. On préfère voir ces visiteurs arrogants partir au plus vite. Erdogan s’en est d’ailleurs allé les mains vides et avec des opinions de presse défavorables ; il aurait mieux valu l’enduire de goudron et de plumes, mais le fait que ces escarmouches ont été répandues dans la presse constitue une bonne alternative. Tout cela a fait la démonstration de l’agressivité du personnage. 

Entretemps, des gens de l’OTAN ont cherché et trouvé tout à coup un moyen de justifier les bombardements et tout ce qu’on veut en Syrie même sans l’ accord préalable des Nations unies. Il s’agit du raisonnement déjà développé et évoqué précédemment dans nos lignes du lieutenant- colonel Chris De Cock (1), chef du service juridique de notre armée. 

Cet argument consiste à prétendre qu’en raison de quelques actions terroristes d’ISIS dans notre pays, nous avions été attaqués et que par conséquent, une intervention de la Belgique tant en Irak qu’en Syrie se justifiait comme une forme de légitime défense. 

Cela est évidemment dépourvu de sens car on voit bien à quoi cela nous conduirait si, à la suite d’actes terroristes commis quelque part en Europe par le PKK, l’IRA ou l’ETA, nous nous octroierions un droit d’intervention en Turquie, au Royaume Uni ou en Espagne. 

L’ISIS, création de l’Occident

En outre, on semble vouloir faire semblant d’oublier que cet Etat islamique est en fait une création de l’OTAN et que la Belgique, entre autres, a contribué au financement de l’ISIS. Comment pourrait-on expliquer autrement la décision prise le 23 mai 2013 par les ministres UE des Affaires étrangères de lever partiellement l’embargo imposé à la Syrie, notamment sur les produits pétroliers ? 

Et cela alors que les puits de pétrole syriens venaient seulement d’être conquis le mois précédent par l’ ISIS (qui s’appelait alors al Qaeda en Irak). Décision prise avec une surprenante rapidité dévoilant l’empressement de l’UE à assurer le financement de l’ISIS de manière à lui assurer une victoire en Syrie. Aussi faut-il, dans cette logique, se poser la question de l’empreinte terroriste de l’ISIS en Europe. S’agissait-il vraiment d’actes terroristes ou étaient-ils programmés pour offrir une base juridique à une intervention de l’OTAN en Syrie ? 

Le président Vladimir Poutine semble de toute évidence avoir mis en échec les seigneurs de la guerre de l’OTAN en envoyant en Syrie une partie de ses forces aériennes et de sa flotte en Mer Noire. Cela semble avoir été un coup de maître. 

Tout cela paraît très sophistiqué mais en diplomatie internationale et dans le petit monde des services secrets et militaires, il ne faut s’étonner de rien. Tout y est possible. Lisez l’ouvrage « The Quiet American » de Graham Green ou regardez- en la version cinématographique où Michael Caine tient le premier rôle. 

Avec cette intervention de Moscou, non seulement le gouvernement syrien peut dormir plus tranquille mais surtout les 17 à 18 millions de citoyens qui vivent sur le territoire contrôlé par le gouvernement peuvent continuer à vivre plus normalement et espérer que l’agression contre leur pays prendra fin aussi rapidement que possible. Voilà l’enjeu correct, la véritable protection des Syriens avides de paix. Et pas d’une solution à la libyenne. 

L’idée seule de transformer la Syrie en une sorte d’Etat salafiste est trop atroce à imaginer. Dans la région, pas mal de massacres de populations ont déjà été perpétrés au vingtième siècle, mais ceci serait bien pire. Outre l’élimination de millions de personnes, cela signifierait l’anéantissement du berceau de notre civilisation. Voilà pourtant ce que nos politiciens occidentaux avaient en vue. Attendons de voir si c’est toujours le cas. 

Le palais des Ommayyades à Damas, un des plus remarquables monuments de l’histoire de l’Islam et accessoirement de la chrétienté dont la destruction éventuelle par les salafistes ne présente aucun problème pour notre ministre des affaires étrangères Didier Reynders, compte tenu du soutien qu’il accorde à ces bandes de voyous. 

Willy Van Damme 

Note : 1) Voir sur le blog : « Syrie et le droit de légitime défense » par Chris De Cock du 15 septembre 2015. 

Traduit par OG pour Investig’Action, relu par BT

Source originale : Willy Vandamme’s weblog

Source : Investig’Action