La seule chose qui donne un poids a l’écriture, c’est l’autorité morale dont elle investit l’écrivain. Et cette autorité morale vient d’une chose simple, très simple: l’honnêteté. L’écrivain est un honnête homme. Une personne honnête. Il faut toujours se rendre compte de cela. L’écrivain le plus heureux, celui qui aura le plus grand succès, ne pourra jamais construire un gratte-ciel avec l’argent qu’il obtiendra de la vente de ses livres. Il sera heureux s’il pouvait utiliser cet argent pour se construire une maison. Je dis bien une maison. Une seule. Qu’il soit un écrivain professionnel, qui vit de sa plume ou pas. Il n’y a donc pas d’argent dans l’écriture, quel que soit le succès de l’écrivain, et quiconque croit que les gens que vous voyez passer à la télé comme écrivains dehors-la ont un gratte-ciel se trompe totalement. Car en faisant les affaires, et même en vendant la drogue, vous avez la capacité de vous bâtir un gratte-ciel partout sur cette terre – mais pas en écrivant des livres. Puisque l’écriture ne donne pas l’argent, la seule chose qu’elle donne, c’est l’autorité morale. Et celle-ci se mesure dans l’honnêteté totale, et absolue, et surtout, dans la capacité a mourir pour la vérité, qui est donc l’expression honnête de ce qu’on sait, de ce qu’on a vu et de ce qu’on a vécu. L’honnêteté absolue, je dis bien, se mesure dans la capacité a mourir pour la vérité, or le test ici, le test immédiat, c’est aller en prison pour la vérité – mais ajoutez-y l’exil, oui, l’exil. Etre expulse de son pays pour avoir dit la vérité. Si donc la richesse se mesure en la possession de l’argent, si la légitimité politique se mesure dans le vote, eh bien, l’expérience de la prison pour la vérité est la chose qui cimente l’autorité morale de l’écrivain.

Je sais qu’il y’a plusieurs écrivains la dehors qui disent qu’ils sont des bons écrivains, mais je leur dis ceci – ils sont des bons écrivains, mais ils ne sont pas encore des grands écrivains. Car la grandeur de l’écrivain se mesure pas à la fortune de ses livres, mais a son honnêteté. Je leur dis donc ceci: prenez vos bagages, allez à Kondengui vous asseoir pour un seul jour et revenez parler avec moi. Car ce qui s’est défini là, ce n’est plus la capacité à écrire des phrases et à publier des livres, et à gagner des prix, c’est tout simplement l’autorité morale de l’écrivain. La distinction entre pouvoir et autorité est difficile dans une tyrannie, parce que le tyran se pare du manteau de la légalité pour commettre la violence sur les gens. Or celui qui commet la violence est faible, il est faible parce que son autorité vient des armes. Or, comme nous avons vu, les vipers ont les mêmes armes que Biya, les AK47. Et l’autorité du tyran vient des armes justement parce qu’il lui manque cette assise morale que lui aurait donné la légitimité, et que la prison pour la vérité, c’est-à-dire pour l’expression honnête des choses vécues et vues, donne à l’écrivain. Dans notre pays cependant, la tyrannie a toujours tout fait pour brouiller les cartes de l’autorité morale – ainsi, le diplôme a été plusieurs fois montre comme fondant une autorité morale, ou alors les titres de professeur – Owona Nguini est ainsi ‘professeur’ sans l’être. Ces derniers temps nous avons tous lu Achille Mbembe révéler son jeu, la parade dans des universités américaines, pour fonder son autorité qui au fond, n’est ici qu’académique. Elle n’est pas morale, comme chacun a vu – scholastique, de savoir donc, ca oui, mais pas morale. Car l’autorité morale qui se fonde dans le commerce de la vérité est proche de celle d’un prêtre, d’un pasteur qui lui a un commerce évident avec la vérité.

Je suis en train de dire ceci: que dans notre pays qui ouvre un de ses chapitres les plus douloureux, la guerre contre les Anglophones, la Guerre civile après la fin de celle-ci en 1970, le piédestal de l’autorité morale que le tyran qui a déclaré la guerre a son propre peuple a automatiquement perdu, est vide. Je suis en train de dire que ce piédestal-là est un piédestal qui revient à l’écrivain, que l’écrivain occupe, à cause de son commerce avec la vérité, et c’est-à-dire à cause de son honnêteté. En fin de compte je suis en train de dire ceci – la vérité dans notre pays qui est si pauvre est d’action, et pas de verbe. C’est-à-dire que l’honnêteté de l’écrivain se mesure dans ses actions, et pas dans ses livres, et pas dans ses diplômes, et pas dans les chaires qu’il occupe. Construire un pont pour un quartier, bâtir les murs d’une école, balayer les routes, c’est des actes qui sont des bâtisses de l’autorité morale. Chacun peut les faire, eh bien je dis, faites-les! C’est ces actes qui sont ce qui donne à l’écrivain ce substrat de force morale qui ferait tomber toute montagne, réunit un peuple divise en anglophones et francophones et qui, en même temps, rend sa parole claire. Et c’est cette autorité morale qui me donne la force, et l’oreille dont ont besoin toutes les minorités de notre pays. Le disant je précise qu’un groupe qui a le pouvoir, et j’appelle d’habitude ce groupe ‘les Bulu’, et qui a donc la force militaire en sa possession, cesse automatiquement d’être une minorité, car la minorité est politique et sa mesure c’est l’absence, ou alors le manque de pouvoir. Seule l’autorité morale permet de composer l’orchestre des minorités qui redonnerait au peuple camerounais la force qu’il mérite et dont il a besoin pour devenir une nation. Cette autorité morale, c’est le Concierge de la République.