L’ancien directeur général du Port autonome d’Abidjan, Marcel Gossio, fait le grand déballage dans cette interview exclusive.

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Votre parti, le Fpi, est en crise en ce moment. Quel est votre état d’esprit face à cette situation ?

Ce sont des choses qui arrivent à tout parti politique lorsque le père fondateur n’est pas là. Je pense que nous allons trouver une voie pour rassembler tout le monde autour du président Affi N’Guessan. Il est en train d’œuvrer dans ce sens.

Pourquoi soutenez-vous Affi N’Guessan alors que l’ancien Chef de l’État Gbagbo est candidat à la présidence du Fpi?

Tout d’abord, je voudrais indiquer que l’ex-Président Laurent Gbagbo n’a jamais été candidat. Je le précise à la face du monde. Ce sont certains de nos camarades qui n’ont pas le courage d’affronter le président Affi qui disent qu’il est candidat. Ils ont donc instrumentalisé le nom du président Gbagbo, ils ont utilisé le Comité de contrôle qui n’a pas joué son rôle. Cela n’a pas marché puisque le comité de contrôle a été désavoué par la justice. Ils voulaient utiliser le nom de Laurent Gbagbo comme un masque, pensant que le président Affi allait se retirer, pour qu’ensuite un individu sorti de je ne sais où prenne le parti et le dirige par procuration. Nous ne pouvons accepter cela. Le Comité de contrôle est à la base de la crise au Fpi.

Ils disent que Gbagbo est candidat pour sa propre libération. Qu’en pensez-vous ?

C’est de dehors qu’on organise la libération d’un détenu. Gbagbo ne peut pas organiser sa propre libération. Ce n’est ni le titre, ni la notoriété qui libèrent ; sinon il ne serait pas en détention à l’heure actuelle, et Jean Pierre Bemba serait libre depuis 2011. C’est l’action de ceux qui jouissent d’une liberté d’action qui permet d’obtenir la libération de ceux qui sont privés de liberté. Lorsque le lion, roi des animaux, est pris dans le filet de chasse, il est obligé de faire un marché avec le rat. Pour dire que l’on a toujours besoin d’un plus petit que soi. Gbagbo n’est pas candidat, ce sont des gens qui se cachent derrière son image parce qu’ils ne peuvent pas et n’ont pas le courage d’affronter Affi. Si, par extraordinaire, Gbagbo était élu président du parti, qui sera alors tenu pour responsable en cas de manifestations violentes ? Gbagbo n’est pas candidat. Les gens veulent jouer avec l’affection que les militants ont pour lui pour diriger le parti par procuration. Jamais cela n’arrivera.

Vous avez parlé, lors de votre récente tournée, des « Gbagbo ou Rien » qui veulent la guerre. Que vouliez-vous dire?

J’ai voulu dire qu’ils veulent la guerre et la confrontation. Ils sont contre tout ce qui est négociation. Ils sont contre le retour des exilés, contre les compromis. Les militants du Fpi et le peuple de la Côte d’Ivoire ne sont pas dans cette logique, parce que nous sommes des enfants du Président Gbagbo qui a toujours dit «Asseyons-nous et discutons». Laurent Gbagbo lui-même, alors qu’il était aux arrêts à l’hôtel du Golf, a dit «la partie des armes est terminée, allons à la partie civile», c’est-à-dire à la négociation pour trouver des solutions politiques. C’est ce chemin que le président Affi a emprunté avec tous ceux qui le suivent.

Vous avez dit aussi que le Fpi mourra s’il ne participe pas aux prochaines élections. Pouvez-vous nous donner des explications ?

Si nous ne participons pas aux élections cette année, nous resterons dans l’opposition jusqu’ en 2020. Le temps de nous organiser, nous serons déjà en 2025. Pensez-vous que les jeunes qui ont leur carrière politique à défendre vont nous attendre ? Non, ils iront dans d’autres partis politiques. La politique de la chaise vide a des limites.

Vos amis pensent que ce serait légitimer le Président Alassane Ouattara. Que répondez-vous ?

A propos de la légitimation du pouvoir en place, ceux qui étaient à la direction intérimaire du parti ont déjà légitimé Alassane Ouattara : ils sont allés à son investiture, ils sont allés à sa prestation de serment. Et quand le Président Ouattara a parlé de deux postes ministériels, ce sont les mêmes qui s’excitaient pour entrer au gouvernement. Ils disent qu’ils ne reconnaissent pas Ouattara le jour, mais la nuit, ils le reconnaissent. Ils ont pris plus de 120 millions de Fcfa dans le cadre du financement des partis politiques. Quand on ne reconnait pas quelqu’un, on ne prend pas d’argent chez lui. Dès qu’ils ont eu l’argent, ils ont commencé à dire qu’ils ne reconnaissaient pas le pouvoir en place. Ils n’ont pas été capables de contribuer à payer les honoraires des avocats du Président Gbagbo qu’ils prétendent tant aimer. C’est hier, à la demande d’Affi N’Guessan que nous avons levé une cotisation pour résoudre certains problèmes liés au procès de Gbagbo. Certains de ceux qui parlent beaucoup ont refusé d’ailleurs de payer cette cotisation. Nous n’avons même pas pu atteindre les 10 millions Fcfa prévus. C’est une honte !

Vos camarades vous accusent d’avoir des deals avec le pouvoir en place. Est-ce vrai ?

Ce n’est pas juste de dire qu’Affi a des deals avec le gouvernement et Ouattara. Plusieurs cadres dont les camarades Aboudramane Sangaré et Alphonse Douati sont sortis de prison. Pourquoi c’est Affi seul qu’on accuse d’avoir un deal avec le pouvoir ? Les journaux «Le Temps » et « LG info » m’ont moi-même présenté comme un traître après le dégel de mon compte par l’Union européenne alors que Nady Bamba, fondateur de ces deux journaux, a eu son compte dégelé dès 2011. Ce sont des menteurs qui intoxiquent les Ivoiriens. Ce sont des gens qui œuvrent pour leurs propres intérêts. Si je vais demain chercher le Président Gbagbo à La Haye, il y aura des gens qui diront que Gbagbo a trahi Gbagbo.

Vous parlez d’un «courant opportuniste » au sein de Fpi. Pouvez-vous en dire plus ?

Affi-Gossio2Ce courant opportuniste est né de la crise post-électorale. Il rassemble tous ceux et toutes celles qui pensent avoir été mal récompensés par le régime Gbagbo pour les efforts qu’ils ont fournis pour porter le Fpi au pouvoir en 2000; frustrations aux plans matériel et financier surtout. Quand on n’était pas là, le secrétariat général a été remanié par la direction intérimaire. Les gens comme les Akoun Laurent, qui étaient des secrétaires généraux du Synesci, ont mis beaucoup de leurs camarades enseignants dans le secrétariat général. Ils croient avoir trouvé dans le chaos postélectoral, avec l’arrestation des principaux dirigeants du parti et l’exil de milliers de cadres, l’occasion de s’emparer de la direction du parti pour prendre leur revanche sur le passé. Leur action, après l’arrestation du Président Gbagbo, constitue dans leur entendement un « haut fait de guerre » qui fonde une nouvelle légitimité dans le parti. C’est au nom de cette légitimité qu’ils contestent à Affi N’Guessan, sorti de prison en juillet 2013, le droit de réaménager le secrétariat général en juillet 2014. Et avec le retour des exilés que nous sommes, ils ont pensé qu’on allait reprendre nos places. Cette catégorie de personnes a le soutien de certains dignitaires, qui étaient opposés à notre retour parce qu’ils voulaient marchander notre présence en exil pour, prétendent-ils, faire pression sur le régime. Cela n’a aucun sens. Aujourd’hui, tout tourne autour de cela. On ne veut pas qu’on vienne reprendre nos places. Je ne comprends pas et cela me fait de la peine. Beaucoup de nos amis, Bohoun Bouabré, Gnan Raymond, Asseu, Gomon, pour ne citer que ceux-là, ne sont pas revenus vivants de leur exil. La direction intérimaire a accueilli leurs dépouilles avec du monde et cela est à saluer. Ils ont eu tous les honneurs, mais ce que je ne comprends pas, quand des camarades exilés rentrent vivants, on n’est pas content de les accueillir. Veulent-ils que nous rentrions dans des cercueils aussi pour être bien reçus et ne pas être traités de vendus ? Ils ne veulent pas que les gens récupèrent leurs postes. La direction intérimaire était tellement occupée qu’elle n’a pas rendu visite aux parents de Gbagbo et aux militants dans les régions qui ont payé un lourd tribut. Il a fallu qu’Affi sorte de prison pour qu’il y ait des tournées. Affi est même allé voir la famille de Gbagbo. Le Président Gbagbo a donné des directives pour qu’il soit reçu à son domicile.

Votre camp est également accusé de vouloir tourner la page Gbagbo.

C’est un disque rayé. Ceux qui disent cela, où étaient-ils quand Gbagbo était sous les bombes au palais ? Moi, j’étais avec lui. Je rends ici hommage à l’ex-ministre Aboudramane Sangaré, Dakoury Tabley et Yanon Yapo qui étaient auprès de Gbagbo, malgré les bombes. Ceux qui crient aujourd’hui, où étaient-ils lorsque la direction intérimaire a organisé la Convention de l’hôtel Belle Côte ? C’était pour qu’il y ait une résolution devant aboutir à un congrès pour la désignation d’un président du parti ; les militants et fédéraux se sont opposés à eux. A cette époque, Affi était en prison, personne ne parlait de la candidature de Gbagbo. Qui voulait tourner la page de qui ? C’est la direction intérimaire qui voulait tourner la page Gbagbo et Affi, n’eut été les militants déterminés.

Comment êtes-vous sorti du pays en avril 2011?

(Rire) Je suis sorti du pays le 13 avril 2011 en pirogue, avec deux gardes du corps, par la mer. Nous sommes arrivés à Half Assinie au Ghana, après 15 heures de navigation. Un ami est venu me chercher et m’a emmené à Takoradi, où j’ai passé deux nuits. Puis nous sommes allés à Lomé et ensuite au Maroc. Je suis arrivé au Maroc le 19 avril 2011 et j’en suis sorti le 17 janvier 2014 pour regagner mon pays, avec beaucoup de bonheur.

On parle de l’implication de la ministre Anne Ouloto dans votre retour exil ?

Les gens en ont fait leurs choux gras. Anne Ouloto est ma petite sœur, si elle s’implique dans mon retour, quand bien même elle est d’un autre parti politique, où est le problème ? Si ma petite sœur veut que je rentre au pays, où est le mal ? Elle s’est impliquée pour mon retour et je voudrais lui témoigner ma reconnaissance devant toute la nation. Il y a des gens qui vous sollicitent chaque jour mais qui ne veulent pas que votre compte soit dégelé, qui veulent vous voir souffrir en exil. C’est dommage. Reconnaître que son frère, ami ou un compatriote, militant d’un autre parti, fait du bon travail n’est pas un crime.

Vous venez de passer deux jours dans votre région d’origine après une longue absence du fait de la crise. Quels ont été vos sentiments ?

J’ai été très content de retrouver les parents de Guiglo, Bloléquin, Tai et Toulepleu. J’ai eu beaucoup de peine parce qu’il y en a qui ne sont plus de ce monde, d’autres sont encore en exil… Il y avait de l’émotion. Les gens ont compris mon message de réconciliation et de paix. Nous rendons grâce à Dieu qui a fait que certains sont encore en vie.

Avez-vous espoir que le Fpi retrouve son unité ?

J’ai espoir. Le Fpi est un grand parti qui sait se retrouver à des moments difficiles, malgré les turbulences. C’est pourquoi je demande souvent à nos militants de faire en sorte que ce qui nous unit soit plus fort que ce qui nous divise momentanément. Affi N’Guessan travaille dans ce sens. Il est en train de prôner la réconciliation, la paix entre nous tous, le rassemblement. Nous sommes obligés de nous retrouver et nos amis d’en face sont aussi en train de comprendre cela. Nous ne devrons pas détruire l’outil important que le Président Gbagbo a créé. Nous devons l’entretenir, le rendre plus fort et le renforcer, pour que son fondateur trouve un parti fort à sa sortie de prison.

Votre camp est accusé d’être à l’origine de l’arrestation de certains de vos camarades. Que répondez à ces accusations?

Ce sont des mensonges. Lida Kouassi a déclaré qu’Affi n’est pas à la base de son arrestation. Mais où sont passés ceux qui voulaient des manifestations de rue ? Pourquoi n’ont-ils pas appelé à marcher quand Assoa Adou a été mis aux arrêts ? Où sont passés les Koua, Akoun, Odette Lorougnon qui accusaient Affi de dormir ? Pourquoi n’ont-ils pas donné de mots d’ordre de manifestation de rue ? Tu n’as même pas une aiguille, mais c’est toi qui veux tuer un éléphant ! C’est la direction du parti qui a fait une déclaration pour protester contre son arrestation. Il faut que les gens arrêtent de mentir. Sans le dialogue, qu’est-ce qu’on peut avoir ? Nous, nous considérons qu’il faut mettre fin à la spirale de violence et à l’instabilité, qu’a connue la Côte d’Ivoire depuis plus de vingt ans, par la négociation et le dialogue.

Le gouvernement vient de dégeler le compte de certains de vos camarades et libérer 50 prisonniers politiques. Votre opinion ?

Cela participe du dialogue politique avec le gouvernement. Le président Affi est engagé sur cette voie. Le dialogue politique a repris et ce sont les conséquences. Ceux qui ne veulent pas entrer dans le dialogue politique font du mal à notre pays et à notre camp. Affi est engagé dans le dialogue politique dans le cadre de la décrispation et nous voyons les résultats. Je remercie le gouvernement pour ses gestes importants d’apaisement. Ces gestes montrent que nous sommes sur la bonne voie. Nous invitons nos camarades à nous rejoindre pour discuter avec le gouvernement. Je demande au gouvernement de faire davantage pour soulager nos camarades. Pour terminer, je souhaite un bel avenir au pays. Je souhaite la libération de tous les prisonniers liés à la crise post-électorale, y compris le Président Gbagbo, son épouse Simone et mon ‘’fils’’ Blé Goudé. Leur libération contribuera à la réconciliation nationale. J’aime mon pays et je veux que tous les enfants se retrouvent en paix pour bâtir la nation. Je suis contre les va-t-enguerre. Je suis contre les hostilités, je suis contre ceux qui sont opposés à la politique du Président Gbagbo qui dit «Asseyons-nous et discutons».

Je souhaite que nos camarades rejoignent notre camp, le camp de la paix, de la réconciliation, du progrès et de l’avenir. Je voudrais remercier Fraternité Matin pour ces écrits en faveur de la cohésion sociale.

Interview réalisée à Guiglo par SAINT-TRA BI

Correspondant régional.

Source : Frat-Mat, 26 janvier 2015