Pour une deuxième fois, en l’espace de six mois, le cimetière du village de Modeste, dans la Commune et Sous-préfecture de Grand-Bassam, a été profané. Un doigt accusateur est pointé vers la société immobilière SIDI par les villageois, et de sources généralement bien informées. Cette société, propriétaire d’une cité à quelques encablures du cimetière, aurait acquis le site par l’intermédiaire du Roi de Moossou, Nanan Kanga Asoumou, dans le but de faire une extension de ses activités immobilières. Dans la nuit du 21 au 22 Avril 2020, en effet, sept tombes ont été profanées, portant le nombre à 20 depuis le mois de Novembre 2019.

Il ne se passe plus de mois, voire de semaines sans qu’un scandale éclate à Modeste, paisible village cosmopolite de quelques milliers d’habitants, sandwiché entre la capitale économique de Côte d’Ivoire, Abidjan, et la première capitale ivoirienne, cité historique et inscrite au patrimoine mondial de l’Unesco, Grand-Bassam dont il dépend sur le plan administratif. Convoitise de prédateurs sans foi ni loi, ce village est devenu un véritable champ de batailles, les uns pour s’accaparer avec force les terres des vrais propriétaires, contre les autres qui entendent défendre becs et ongles leur patrimoine foncier. Se fichant des décisions de Justice en faveur du village, ces prédateurs, munis d’attestations villageoises illégalement établies et signées par une autorité coutumière d’un village ne partageant aucune frontière commune avec le village convoité, font vivre un véritable calvaire aux populations riveraines, sans défense. Des morts et des blessés graves, victimes de bastonnades d’hommes en armes, venus souventes fois d’Abidjan pour marcher sur les plates-bandes de leurs collègues de Grand-Bassam, et de voyous de tout acabit,  y sont enregistrés régulièrement. Femmes, hommes, jeunes et vieux n’ont plus que leurs yeux pour pleurer.

Le cimetière du village de Modeste encore profané

Comme c’est le cas depuis la nuit du mardi 21 au mercredi 22 Avril 2020 où, ô infamie, le cimetière du village a été profané, pour la deuxième fois en l’espace de six mois. Le reste des corps exhumés éparpillé auprès de leurs dernières demeures, pour le repos éternel. Kéita Dramane, notable du village responsable du cimetière ne décolère pas : ‘’Pourquoi les gens sont en train de faire tout cela sur notre cimetière. Ce site, c’est l’ancien chef, feu Nanan Konney Joseph qui nous a donné le site pour y faire l’inhumation des corps/ Mais il y a des gens qui ont vendu ce terrain à un opérateur immobilier, lequel veut y faire ses travaux maintenant. Mais, moi, en tant que responsable du cimetière, personne, aucune autorité du village en tout cas, n’est encore venue me dire que ce site est vendu. Je n’ai reçu aucun acte de vente, qui interdirait de facto des inhumations. Au contraire, c’est le successeur de l’ancien chef, Nanan Konney Ahoua Simon, qui m’a plutôt remis une note pour dire que nous pouvons continuer d’y inhumer les corps. C’est ce que nous faisons depuis lors. Alors, nous, les populations, hommes, femmes, jeunes, personne ne peut accepter que des individus viennent exhumer les corps de nos parents. C’est pourquoi nous, la notabilité, sommes là, pour échanger avec les femmes qui sont venues pleurer devant nous afin de trouver une solution’’, crie-t-il son indignation. Il en est de même que Yawson Joseph, chef de la communauté Ghanéenne : ‘’Vraiment, ce n’est pas bon, du tout ! Cela fait plusieurs fois qu’ils sont venus pour déterrer les cadavres, ce n’est pas bon, c’est le malheur’’, dit-il.

Désarroi des populations

Quant à Anekudi Koku Messan, chef de la communauté Togolaise de Modeste, ‘’ils ont incendié le cimetière une fois, mais cela ne leur a pas suffi. Puis ils sont venus une première fois pour exhumer des corps dont on ne connaît pas encore la destination. Ils reviennent encore pour récidiver, éparpiller les corps dans le cimetière’’, pleure-t-il, avant de se tourner vers le chef intérimaire, Docteur Echui Aka Désiré : ‘’Vraiment, Nanan, voyez cela pour nous. Moi aussi je mourrai un jour, et c’est dans ce cimetière que je serai inhumé. Vont-ils venir exhumer et incinérer mon corps ?’’, a-t-il poussé son cri de cœur au chef, devant la foule de femmes du village qui pleuraient à chaudes larmes, dans la cours du chef Konney Ahoua, absent du pays. Dont N’Guessan Vidiva, une des responsables qui s’écrie : ‘’Vraiment, c’est déplorable, ce que nous avons vu au cimetière. On parle de repos éternel pour les morts, mais à Modeste, ceux-là n’ont pas droit au repos à cause de personnes véreuses. Nous sommes vraiment choquées de voir une telle chose’’, s’est-elle indignée.

La société immobilière SIDI encore indexée

L’auteur de ces méfaits, l’entreprise SIDI, serait confronté à un litige  foncier avec la chefferie de Modeste. Poursuivie pour occupation illicite d’un terrain qui lui a été vendu sur la base du faux, elle n’entendrait pas attendre la fin du procès pour étendre ses activités. Toutefois, une enquête a été ouverte pour situer les responsabilités, ont rassuré Mme le Sous-préfet de Grand-Bassam Sénin née Yéo Yépéri et le Commandant de la Brigade de Gendarmerie de la localité, l’Adjudant-chef Animily Raymond.  Force restera, donc, à la loi.

Les mots de réconfort de la notabilité aux populations

‘’Le soutien de ces autorités est d’un grand réconfort pour la population de Modeste’’, a dit l’intérimaire de Nanan Konney Ahoua Simon, Dr Echui Aka Désiré. ‘’Mais en attendant que justice soit faite, l’urgence est de prendre des dispositions afin que pareille abomination ne se répète pas. Ainsi, sur recommandation des autorités administratives de Grand-Bassam, un certain nombre de mesures ont été arrêtées après concertation. Et la principale décision est relative à la modernisation du cimetière. Il s’agira de procéder à la délimitation efficiente de l’aire du cimetière. La surface sera ensuite nettoyée proprement. Après quoi il s’agira d’ériger une clôture en vue de matérialiser cette délimitation. Ce qui aura pour effet de filtrer l’accès au cimetière et de résorber le phénomène sans cesse décrié des enterrements clandestins. Enfin tout enterrement à venir devra faire l’objet d’une identification du corps avant ensevelissement. La réussite de ce projet nécessite bien évidemment  l’adhésion de toutes les communautés  vivant à Modeste. Appel est donc lancé à l’endroit de chaque responsable de communauté, des organisations de femmes et de jeunes afin que chacun joue sa partition. Au demeurant, il faut conjurer le mauvais sort qui, selon la croyance locale, pourrait frapper le village suite à cette profanation. Des cérémonies traditionnelles seront organisées dans ce sens’’, rassure la notabilité de Modeste.

Interrogé, un responsable de SIDI parle

Occasion pour  Dr Echui Aka Désiré d’exhorter ses administrés à ‘’entretenir l’esprit de cohésion et à continuer d’agir pour un développement harmonieux et consensuel de notre village, de plus en plus en proie à l’expansion galopante d’Abidjan’’. C’est en substance le message fort que lui a chargé de transmettre le chef du village. Et de prôner le pardon afin qu’aucune représailles ne soit perpétrés à l’endroit des présumés coupables. Car Modeste, c’est d’abord et avant tout la paix et la tolérance, gages de cohésion sociale.

Un des responsables de la société SIDI, Monsieur Coulibaly, en confinement à Dabakala, dans le Centre-Est du pays, et en l’absence des premiers responsables hors du pays pour cause de la Covid-19, que nous avons essayé de joindre pour leur version n’a pas décrocher notre appel. Toutefois, joint ultérieurement suite au verdict de la Cour de Cassation qui déboutait le Roi de Moossou de son pourvoi, M Coulibaly avait dit ne pas se préoccuper du procès en cours. Et qu’il avait eu l’assurance de Nanan Kanga Assoumou, qui a signé leur attestation villageoise, de continuer leurs travaux, et qu’il n’y aurait rien.

Laurent Nahounou
laurentmadoun@gmail.com