Le 21 avril, cela fera un quart de siècle que la Fédération estudiantine et scolaire de Côte d’Ivoire (Fesci) a vu le jour. Regards croisés sur un mouvement syndical au parcours mitigé.
La Fédération estudiantine et scolaire de Côte d’Ivoire (Fesci) a 25 ans d’existence. En ce jour commémoratif de cet anniversaire célébré dans un environnement particulièrement tendu, certaines questions reviennent à l’esprit des uns et des autres. Que devient la Fesci, 25 ans après? Bénéficie-t-elle encore d’une légitimité dans le milieu estudiantin et scolaire? La Fesci a-t-elle encore une raison d’exister ? Autant de questionnements qui méritent réflexion. Pour y répondre, il serait plus approprié de se rappeler les objectifs qui ont présidé à la création de cette organisation. Martial Ahipeaud, membre fondateur de la Fesci, par ailleurs, premier secrétaire général (1990-1993), n’a de cesse de le dire : «La Fesci est née pour défendre les intérêts des élèves et étudiants de Côte d’Ivoire. Et c’est ce que nous avons toujours fait lorsque nous étions à la tête de la Fédération». Il s’agissait donc, selon lui, de lutter aux fins de réclamer certains droits, lesquels leur étaient déniés sous le parti unique du Parti démocratique de Côte d’Ivoire-Rassemblement démocratique africain (Pdci-Rda). Mais le contexte sociopolitique, en ce moment-là, était tel qu’une organisation comme la Fesci ne pouvait ne pas prendre part au débat politique. Ainsi, l’organisation syndicale aura été de toutes les luttes politiques pour l’instauration du multipartisme en Côte d’Ivoire. L’ex-secrétaire général se plaît même à dire que la Fesci a ouvert la voie à la démocratie en Côte d’Ivoire. Jugée proche des partis politiques de l’opposition d’alors, principalement le Front populaire ivoirien (Fpi), Martial Ahipeaud a toujours dénié cette étiquette à ce mouvement, soutenant que «la Fesci de cette époque n’était pas un jouet du Fpi, mais bien une entité indépendante». Ayant réussi à mettre sous l’éteignoir le Mouvement des élèves et étudiants de Côte d’Ivoire (Meeci), on peut dire que le syndicat estudiantin avait réussi à fragiliser en quelque sorte le Pdci-Rda. Le Président Félix Houphouët-Boigny n’a eu d’autre choix que de laisser les jeunes s’exprimer.
La traversée du désert
Après son décès subit, arriva l’ère Henri Konan Bédié. Avec lui, le parti a eu droit à un ‘’matraquage’’ plutôt corsé. Au point que les différents secrétaires généraux qui se sont succédé à la tête de la Fédération, ainsi que certaines figures fortes du mouvement, n’ont eu d’autres choix que de prendre le chemin de l’exil. Ainsi, toute manifestation ne pouvait être organisée que dans la clandestinité. Car, tout mouvement de masse était systématiquement réprimé. Avec son lot d’emprisonnements. Par conséquent, les stratégies de lutte ont commencé à se radicaliser. Ce qui a conduit en fin des années 90, au regrettable épisode de l’introduction des machettes dans les cités universitaires et sur les campus. Les bagarres rangées au sein même des animateurs du mouvement se font plus fréquentes. Vient alors l’année 2000, qui a vu l’accession au pouvoir de Laurent Gbagbo, présenté comme le ‘’mentor’’ des fescistes. C’est l’époque ou le syndicat est accusé de faire la pluie et le beau temps à l’université, quand elle n’est pas taxée d’introduire la violence dans le temple du savoir. Dans une enquête publiée en 2009, Human Rights Watch dévoile les activités ‘’illicites’’ que l’organisation estudiantine mène sur les campus. « Les petits commerçants doivent payer un quota s’ils veulent travailler aux abords des cités universitaires ou des campus. Parfois, ce sont des fescistes eux-mêmes qui installent des commerces, des buvettes, voire une boîte de nuit comme le fameux «Marais», à la Cité rouge». Et à la Ligue ivoirienne des droits de l’homme (Lidho) d’ajouter que le syndicat prélèverait aussi des taxes sur les bourses, et aurait pris en charge la collecte des loyers des chambres universitaires. La Fesci ferait ainsi payer 20 000 Fcfa par chambre au lieu du tarif officiel, fixé à 6 000 Fcfa. Certains fescistes se permettraient même de téléphoner, manger et boire dans les commerces avoisinants sans jamais régler l’ardoise, poursuit la Lidho. Dans la récente crise qui a secoué la Côte d’Ivoire, selon toujours un rapport de Human Rights Watch, la Fesci aurait recruté, entraîné et armé des combattants pour défendre Laurent Gbagbo. Cette Ong va jusqu’à qualifier à tort ou à raison la Fesci d’organisation mafieuse. Un avis que ne partage pas les responsables de cette organisation. «Il y a une génération qui a créé et dirigé cette organisation, qui s’est battue et qui s’est formée scientifiquement et qui représente aujourd’hui l’épine dorsale de l’État, de la nation dans tous ses compartiments. Cette génération est à différencier d’avec celle de la guerre des machettes qui, il faut le souligner, a été instrumentalisée par les aînés pour leurs objectifs politiques», affirmait Martial Ahipeaud. Quant à Mian Augustin, qui présidait aux destinées de la Fesci au plus fort de la crise, bien qu’il a toujours nié ces accusations en bloc, il a fini par faire un aveu de taille. «C’est vrai qu’il y a eu des dérapages dans la vie de notre mouvement, je le reconnais. Mais le contexte n’est plus le même, les temps ont changé», a-t-il analysé. Et d’ajouter que «l’essentiel en ce moment, c’est la recherche de la paix».
La Fesci sous l’éteignoir ?
C’est au regard de tous ces ‘’chefs d’accusation’’ portés contre la Fesci, que les autorités actuelles ont prononcé sa dissolution. Déclarant parfois que ‘’les membres de la Fesci n’ont pas leur place dans les universités, mais plutôt à la Cpi’’. L’ex-ministre de l’Enseignement supérieur, Cissé Ibrahima Bacongo, a décidé publiquement de ne plus reconnaître l’existence de cette organisation. Il a fini par obtenir du gouvernement, la création du Conseil des étudiants, seul interlocuteur crédible entre les étudiants et l’administration. Désormais, la Fesci, si elle veut faire entendre ses revendications, devra les faire transiter par ce Conseil, qui à son tour, rendra compte à qui de droit. Une décision qui n’a pas été du goût des militants et sympathisants de la Fesci. Des mouvements de protestation s’en sont suivis, qui ont fini par emporter Bacongo. Gnamien Konan, partisan acharné de la mesure de dissolution de la Fesci, à son arrivée à la tête de ce ministère, n’a pas mis du temps pour faire savoir sa position. «Je ne discute pas avec des bandits», dira-t-il. Toutes les tentatives des jeunes pour échanger avec la tutelle, n’a jamais pu aboutir. «Je ne vois pas en cela quelque chose de dramatique. Je me dis que cela fait partie des rapports qui peuvent exister entre un groupement syndical et la tutelle. De toutes les façons, lorsqu’il y a un problème, il n’est pas le seul que nous sollicitons. Il y a la présidence, la primature, les institutions de la République à qui nous adressons des courriers. Et nous sommes toujours disposés à échanger avec celui qui nous ouvre ses portes. Nous sommes là pour défendre les intérêts des élèves et étudiants. Ce n’est pas le refus du ministre de discuter avec nous qui va nous empêcher de faire le travail pour lequel nous sommes à la tête de cette structure», a précisé Assi Fulgence Assi, actuel secrétaire général de la Fesci. Le secrétariat général du parti au pouvoir a également sollicité le chef de l’Etat aux fins de prononcer par décret, la dissolution du syndicat. Néanmoins, cette solution semble être à courte vue. L’on a encore à l’esprit qu’en 1991, Alassane Ouattara, alors Premier ministre d’Houphouët-Boigny, avait tenté de museler la Fédération. Mais, c’est cette mesure n’a eu que le mérite de la renforcer davantage. Il en a été de même en 1993 avec le Président Bédié. Eugène Djué pouvait donc dire fièrement : «Ce serait une erreur stratégique que le pouvoir actuel ne fera pas. Qu’on le veuille ou non, la Fesci est très populaire et l’ignorer, comme l’a fait le Pdci au début des années 1990, ne fera que radicaliser ses sympathisants». Il y a une certitude aujourd’hui : la Fesci a complètement perdu ses repères, au lendemain de l’arrestation et la déportation de Laurent Gbagbo à la Haye. La preuve, elle ne dispose même plus d’un siège social. C’est un signe des temps.
Elysée LATH
Source: Le Sursaut, lundi 20 avril 2015