L’Afrique au début des 2020 : quelles perspectives de développement démocratique et éeconomique ?

Parade des forces spéciale de Guinée / Photo: Aboubacarkhoraa / Wikimedia Commons

S’il est toujours délicat d’invoquer un système statistique pour aborder ce genre de phénomènes il faut reconnaître qu’en 2021, le nombre de coups d’État s’est avéré important sur le continent africain, par rapport à l’année précédente. Ce ne sont pas moins de six coups d’État – ou tentatives avortées – qui ont été enregistrés en une année, au Mali, en Guinée ou au Burkina Faso par exemple.

Quitte à tomber dans le truisme, on peut parler d’une instabilité générale, d’un délitement endémique des systèmes politiques en place, sur fond de luttes intestines et d’intimidations. Dans les lignes à venir, je vous propose une approche en deux temps.

Tout d’abord, sans entrer dans les détails chronologiques et factuels de chaque pays, je tenterai un bilan de la situation entre 2020 et 2022, pour en repérer les points saillants et les enjeux. Ceci fait, je mettrai en lumière quelques perspectives ; j’étudierai aussi dans quelle mesure le continent pourrait sortir de cette ornière, qui péjore son essor sur le plan économique et démocratique.

Bien sûr, je ne peux faire aucune promesse, je n’ai aucun don de voyance. Mais s’interroger objectivement sur l’actualité s’avère un bon levier pour ne pas se montrer trop candide – sans être cynique pour autant – afin de comprendre les problèmes tout en jaugeant les possibilités de résolution.

La succession des coups d’État en Afrique : comment comprendre ce phénomène ?

Les coups d’État sont loin de constituer une nouvelle donne pour le peuple africain en ce début des années 2020. Ils sont légion depuis des décennies, de manières plus ou moins marquées selon les époques et les régions.

En 2004 par exemple, le journaliste Pierre Franklin Tavares se posait la question suivante, dont il a d’ailleurs fait le titre d’un article : « Pourquoi tous ces coups d’État en Afrique ? » (https://www.monde-diplomatique.fr/2004/01/TAVARES/10927). Plusieurs raisons étaient alors invoquées : le « nouveau cadre macroéconomique ultralibéral, […] [l’] exploitation éhontée de la main-d’œuvre », mais aussi l’intervention constante des multinationales dans le paysage économique, supposant une absence d’autonomie financière qui creuse le fossé des dettes.

Le journaliste parle aussi d’un problème de cohésion : que ce soit au niveau national ou au sein même des états, l’Afrique manquait alors d’un projet fédérateur, susceptible de porter petit à petit le continent vers un essor social, politique et culturel. S’ajoutaient à cette lacune globale les affres de la corruption, venant trop souvent torpiller les tentatives de croissance raisonnée, mais aussi une large propension à entretenir la mécanique des trafics, du marché noir, plutôt que de se tourner vers une restructuration.

Malheureusement, en 2022, on ne peut pas dire que la situation ait évolué. Nul jugement ne sous-tend cette affirmation, bien sûr – et je souhaite vivement que de nouvelles pistes se dessinent. Mais certaines réalités conjoncturelles exigent de notre part à tous, Africains et amis de l’Afrique, une certaine lucidité.

Le processus de décolonisation qui a caractérisé la seconde moitié du XXe siècle et les prises d’indépendance qu’il a supposées ont fait tomber le premier domino d’une confusion générale ; quelques analystes et historiens vont jusqu’à dire que l’asservissement économique ne s’est jamais vraiment résorbé, qu’il s’est seulement déplacé et que l’exploitation des ressources africaines par le reste du monde a simplement pris des allures plus insidieuses.

Toutefois, une partie du paradigme a changé : l’autonomie politique suppose un ébranlement, pour ne pas dire une remise en question constante des structures démocratiques. Au sein de nombreux pays africains, l’établissement d’un gouvernement fiable semble utopique, tant il se heurte à des ambitions individuelles ou communautaires, tant il se voit récupérer par des forces extérieures ou des manipulations internes.

Je prends un exemple caractéristique pour commencer : celui du Mali.

Le Mali : une instabilité (malheureusement) historique

Le Mali a un passif et une actualité particulièrement mouvementés. Ce pays d’Afrique de l’Ouest a tout de même traversé cinq coups d’État depuis sa prise d’indépendance en 1960, dont deux consécutifs, en 2020 et 2021. Nous avons déjà eu plusieurs occasions de commenter les événements survenus sur place, eu égard notamment aux relations tempétueuses que le gouvernement entretient avec les élites françaises, comme aux accointances ambiguës qui le lient aux décisionnaires du Kremlin.

Comme on le sait, l’instabilité systémique de cet État découle, entre autres, de la chute de Mouammar Kadhafi, qui a fait émerger toute une poudrière d’offensives terroristes sous fond de revendications djihadistes.

Les attaques répétées, insidieuses et difficilement prévisibles déplorées sur le territoire malien ont mis à mal la cohésion d’un pays déjà plusieurs fois secoué par les putschs et autres déséquilibres nationaux ou internationaux.

Par exemple, parmi les nombreuses « raisons » que l’on peut identifier au coup d’État survenu en 2020, il y a ce dépit, cette amertume, ce sentiment d’être abandonné, confronté à l’indolence, voire à l’indifférence du gouvernement en place, alors sous le giron d’Ibrahim Boubacar Keita, président jusqu’à sa destitution forcée le 18 août 2020.

Si bien sûr je schématise en présentant les choses ainsi, cette rupture offre un exemple de « basculement » comme il y en a souvent sur le continent africain : la grogne face aux décisions et aux ingérences devient progressivement une manifestation de colère, persistante, insistante, instigatrice d’une réaction vive, d’une manifestation grandissante d’hostilité, puis de défiance, susceptible de conduire à un passage en force, lui-même mutant parfois en ce que l’on appelle les coups d’État.

Souvent, c’est le sentiment d’insécurité générale, de confusion, le manque de repères et de perspectives qui se cristallisent en un putsch irrémédiable.

Le système démocratique en prend toujours pour son grade, en cela qu’idéalement, la gouvernance d’un pays devrait s’organiser autour d’un système régulier d’élections, d’une passation organique du pouvoir. Au lieu de cela, le centre de gravité se retrouve sans cesse déplacé.

Rappelons qu’aux événements de 2020 s’est un autre bouleversement, un nouveau coup d’État en mai 2021, moins d’une année après le premier. C’est désormais le colonel Assimi Goïta qui a pris la tête du pays. Ce qui devrait être un gouvernement militaire provisoire semble se pérenniser, malgré les sanctions prononcées et maintenues par la CEDEAO (Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest) : le 21 février 2022, une période de transition courant sur cinq ans a été prononcée par les membres de la junte.

Le gouvernement militaire : une impasse démocratique ?

Selon ce qui a été annoncé à Bamako, Assimi Goïta n’aura pas le droit de se présenter aux élections présidentielles qui se tiendront dans cinq ans. Cela suppose deux choses :

  • Que la transition durera tout de même cinq ans, ce qui correspond ainsi à quinquennat présidentiel en France. Certains viennent, dès lors, à parler d’un gouvernement « faussement » éphémère, en cela qu’une prise de pouvoir temporaire ne devrait pas durer aussi longtemps.

  • Que la perspective d’un retour à la gouvernance civile est dessinée.

Cela ne rassure pas tous les Maliens pour autant. De nombreux recours ont été déposés. L’embargo prononcé par la CEDEAO plonge le pays dans un marasme carenciel, une pénurie qui, comme toujours, touche les couches pauvres de la population.

Le phénomène a sans doute été renforcé par l’intervention musclée de la CEDEAO : le repli économique imposé pourrait avoir conduit à un repli politique.

Un « retour des coups d’État militaires » ?

Monsieur António Guterres, Secrétaire général des Nations Unies, a récemment alerté sur un « retour des coups d’État militaires ».

Car, comme on le sait, le cas malien n’était pas isolé en 2021. Le Tchad, la Guinée et le Soudan ont été aussi le théâtre d’accès au pouvoir forcés. Toujours selon le secrétaire de l’ONU, cela peut s’expliquer par une forme de « divisions politiques », conduisant à un « sentiment d’impunité ».

Plus compliqué encore les responsables des coups d’État rejettent très souvent le qualificatif de « coup d’État », préférant se présenter comme des libérateurs, ou comme des garants de légitimité selon Jonathan Powell (« Global instances of coups from 1950 to 2010: A new dataset » parut dans Journal of Peace Research 48(2) 249–259).

En Guinée par exemple, il s’agissait de mettre fin au régime autoritaire du président Alpha Condé, jugé totalitaire par ses opposants.

Mais ne peut-on pas craindre, justement, qu’une forme de mimétisme s’installe ?

Quoi qu’il en soit, la principale inquiétude que l’on peut nourrir en voyant tous ces coups d’États militaires réussir, c’est que les nouveaux dirigeants des pays concernés – et de ceux qui risquent de suivre le mouvement – s’enferment dans une logique d’austérité ; que le pouvoir des instances en place prenne le pas sur leurs devoirs.

De nombreux domaines peuvent en pâtir. Le système éducatif est souvent l’une des premières victimes du totalitarisme. La pugnacité des juntes entraîne des conséquences économiques graves.

Il ne faut, cela dit, pas en rester à ces constats attristants, et s’interroger sur les pistes d’amélioration.

Une revalorisation nécessaire de la démocratie

Comme je viens de l’expliquer, la démocratie perd du terrain sur le continent africain ; dans plusieurs pays, les élections sont mises entre parenthèses, l’autoritarisme se substitue à l’auto-détermination. Joseph Siegle, dans son billet mis en ligne par le Centre d’études stratégiques de l’Afrique, considère qu’un « coup d’État réussi augmente considérablement la probabilité de coups d’État ultérieurs ».

Selon le journaliste, une partie de la solution pourrait venir des « acteurs démocratiques internationaux », à condition qu’ils fassent preuve d’une plus grande efficacité. Il déplore en effet une « diminution de la volonté des acteurs régionaux et internationaux de faire respecter les normes anti-coup d’État en Afrique ».

Joseph Siegle se montre favorable à l’harmonisation des réactions régionales et mondiales, afin que la démocratie soit promue d’un côté, et la prise de pouvoir par la force punie de l’autre côté, notamment par la levée des aides financières ou l’ostracisation des pays dirigés par un gouvernement militaire. Il juge absolument nécessaire la mise en place d’un projet commun, d’une lutte rigoureuse contre les ascensions illégitimes.

Les relations internationales : une porte de sortie ?

Tout d’abord, je tiens à le répéter : il serait absurde de se lancer dans des « prédictions », et même dangereux d’opter pour la spéculation. Toutefois, je ne m’interdirai pas une appréciation neutre des événements récents, qui peuvent laisser aux plus optimistes, ou en tout cas aux plus confiants, l’espoir d’un apaisement.

À l’occasion du sommet très attendu entre l’UA (Union africaine) et l’UE les 17 et 18 février 2022, de nombreuses questions ont en effet été mises sur la table quant à la manière dont les membres de l’Union européenne pouvaient prêter main-forte au développement économique et à l’industrialisation du continent.

Monsieur Emmanuel Macron (président de la France et président en du Conseil de l’Union européenne – 1er janvier – 30 juin 2022), a évoqué, par exemple, « que des mécanismes financiers soient recherchés pour promouvoir les projets d’infrastructures durables dont l’Afrique a besoin ».

Madame Ursula von der Leyen, elle, a fait entendre que cette intervention pécuniaire viendrait « créer des projets solides et tangibles dans le secteur de l’énergie, dans les réseaux de transport, dans la connectivité ». L’idée serait de moderniser les modèles énergétiques et industriels africains, et de renforcer drastiquement l’accès au numérique, encore fortement compromis par rapport à son installation pleine en Europe, en Asie, en Océanie et aux États-Unis.

Toutefois, à la lecture des comptes-rendus rédigés dans le cadre de ce sommet, quelques questions subsistent. Les pays actuellement aux mains des juntes pourront-ils profiter, d’une manière ou d’une autre, de ces plans d’aide économique ? La croissance – si elle est effective, et nous l’espérons – des états « boostés » par la participation suffira-t-elle à juguler la multiplication des putschs, en installant un climat général plus serein et en évitant, ainsi, le fameux mimétisme dont je parlais plus tôt ?

De la parole aux actes

Certains observateurs se montrent rétifs à l’enthousiasme. Par exemple, dans un article publié le 23 février 2022 sur le site internet « www.connectionivoirienne.net », notre cher collaborateur Jean-Claude DJEREKE alerte face aux « fausses promesses » éventuelles. Le titre de l’article est d’ailleurs révélateur : « Sommet Afrique-Europe : Attention aux fausses promesses ! ». Ce ne serait pas la première fois, dit-il, que l’UE ferait miroiter des lendemains qui chantent aux instances gouvernementales africaines, sans que les résultats ne soient au final très concluants.

À travers son analyse, Monsieur DJEREKE met le doigt sur un malaise, sur une carence qui peut vraiment s’avérer problématique : l’essor des pays par exemple, africains n’est-il pas, d’une certaine manière, ralenti, mis à mal par cette « mise au ban » de quelques états ? Le rejet des pays « putschistes » ne serait-il pas le terreau d’une coopération à double vitesse entre l’UE et le continent africain, supposant une aide à l’industrialisation « au cas par cas », en fonction de l’état démocratique des nations ?

À cela viennent s’ajouter les jeux de pouvoirs orchestrés par les grandes puissances internationales : encore trop souvent, les territoires africains sont pris à partie dans les luttes d’influence. Le cas du Mali s’avère une fois de plus caractéristique : les dissensions qui ne cessent de s’accentuer entre le gouvernement russe et les instances politiques européennes s’étendent aussi à la situation malienne, eu égard à l’intervention du groupe Wagner sur place de manière « insidieuse » et au départ progressif d’une France en bout de course, désavouée assez largement par les Maliens.

La situation du continent africain en 2022 : quelles perspectives ?

Si la plupart des sources que j’ai consultées pour constituer ce dossier révélaient une analyse sinon catastrophiste, du moins pessimiste de la situation, il me paraît important de rester mesurés, afin de ne pas condamner cyniquement le continent africain à une déchéance inévitable.

Certes, les trop nombreux coups d’État survenus au cours de l’année 2021 – et les choses continuent malheureusement à se compliquer en 2022, avec notamment un coup d’État avorté en Guinée-Bissau – ne peuvent pas être ignorés ou minimisés. Mais l’une des forces de l’histoire, du regard que l’on peut porter sur les événements passés disons, est de pouvoir alerter plus rapidement la communauté nationale et internationale lorsqu’un vieux schéma semble se répéter, et risque de s’installer.

Ainsi, le désir de démocratie comme la conscience de son importance occupent aujourd’hui une place bien plus grande dans le sens moral populaire, quel que soit le pays concerné et bien qu’il y ait évidemment des différences d’une nation à l’autre. Un autre article publié très récemment (12 février) sur BBC News (« Démocratie en Afrique : la multiplication des coups d’État ne signifie pas la fin de la démocratie ») permet justement d’apprécier ce phénomène, et laisse entrevoir une lueur d’espoir non négligeable. Les auteurs, Leonard Mbulle-Nziege (analyste de recherche chez Africa Risk Consulting (ARC)) et Nic Cheeseman (professeur de démocratie à l’université de Birmingham) veulent tempérer le fatalisme ambiant.

Ils tiennent à préciser que, certes, l’installation endémique des régimes militaires entrent en collision avec les principes d’auto-détermination… mais qu’une « majorité des citoyens souhaite vivre dans une démocratie et rejette les régimes autoritaires ». La principale raison, encore une fois, serait historique : trop souvent, dans l’histoire du continent africain, les gouvernements militaires ont versé dans la « violation des droits de l’homme et la stagnation économique ».

En somme, le despotisme, qui a pu sembler rassurant en d’autres temps, paraît bien plus clairement dénoncé, refusé, ce qui met à mal sa survivance. L’inertie des peuples n’est pas à l’ordre du jour ; un attachement aux valeurs démocratiques préserverait, selon les auteurs, le pays d’une sorte de militarisation générale, parce que les ingérences institutionnelles sont vite montrées du doigt et contestées.

Bien sûr, le cas du Mali invite à rester prudent. Comme on l’a vu, les sceptiques y sont de plus en plus censurés. Mais il ne faut pas faire d’un cas spécifique une généralité. À l’heure actuelle, l’espoir est permis, tant qu’on prend en considération l’extrême fragilité de certaines structures démocratiques. L’espoir est permis tant que la résignation ne prend pas le dessus, et que les putschs restent globalement inacceptables, incompatibles pour la population.

Dans tous les cas, les gouvernements des pays africains doivent relever deux grands défis – parmi tant d’autres, mais ceux-là sont corrélés à mon commentaire :

  • Savoir profiter de soutiens extérieurs sans développer une dépendance pour autant.

  • Être en mesure d’assainir ses institutions des incuries démocratiques, notamment grâce aux interventions, aux contestations populaires.

Ainsi le développement économique pourra se conjuguer à un essor idéologique, pour que les peuples et leurs instances dirigeantes puissent retrouver sinon l’harmonie totale – qui n’existe nulle part – du moins une certaine stabilité.

ONGUI Simplice
s.ongui@afriquessor.co.uk