Cet entretien est extrait d’un numéro de la revue Eco Magazine.

serge toussaint

>  Eco Magazine : Serge Toussaint, vous êtes le Grand Maître actuel de la juridiction francophone de l’A.M.O.R.C. En quoi consiste précisément cette Organisation ?

Serge Toussaint : Par définition, l’A.M.O.R.C. est une Organisation philosophique, initiatique et traditionnelle qui perpétue les enseignements que les Rose-Croix se sont transmis à travers les âges. Ouvert aux hommes comme aux femmes, sans distinction de races et de croyances, il a pour devise : « La plus large tolérance dans la plus stricte indépendance ».

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>  E.M. : Vous dites que l’A.M.O.R.C. n’est pas une religion. Pourtant, son symbole est une Rose-Croix, ce qui laisse supposer qu’il s’apparente à un mouvement chrétien !

S.T. : Contrairement à ce que l’on pense couramment, la croix n’est pas un symbole d’origine chrétienne. Elle était utilisée sous des formes diverses par les Égyptiens et les Grecs de l’Antiquité, par les Hindouistes et les Bouddhistes, et même par les Hébreux, et ce, plusieurs siècles avant l’apparition du Christianisme. Il faut savoir également que le symbole des premiers Chrétiens n’était pas une croix, mais un poisson, appelé ichtus en grec. En fait, ce n’est qu’au IVe siècle que la croix est devenue le symbole officiel de l’Église chrétienne. Quoi qu’il en soit, la Rose-Croix n’a aucune connotation religieuse et n’est pas liée au Christianisme. Dans ce symbole, la croix représente le corps de l’homme. Quant à la rose, placée au centre, elle symbolise son âme. Dans son ensemble, la Rose-Croix représente donc la dualité de l’homme, c’est-à-dire le fait qu’il est corps et âme. Il s’agit par conséquent d’un symbole traditionnel et universel.

>  E.M. : Comment vous situez-vous par rapport aux religions ?

S.T. : Comme je viens de le préciser, l’A.M.O.R.C. n’est pas, n’a jamais été et ne sera jamais une religion. Il ne se rattache d’ailleurs à aucun Prophète ou Messie et ne possède aucun Livre sacré comparable à la Bible, au Coran, à la Baghavad Gîta, … Cela dit, l’Ordre respecte toutes les religions. Malgré le respect que j’éprouve moi-même à l’égard de toutes les religions, je pense néanmoins qu’aucune d’elles ne détient le monopole de la Foi et de la Vérité, pas plus d’ailleurs que l’A.M.O.R.C. Prétendre le contraire serait en soi une preuve d’intolérance, voire même de fanatisme. D’autre part, je crois que le IIIe millénaire sera celui de la spiritualité et non celui de la religiosité.

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>  E.M. : Qu’entendez-vous par là ?

S.T. : D’une manière générale, la religiosité se limite à croire en Dieu et à vénérer le Messie ou le Prophète auquel se rattachent les religions, à savoir Moïse pour le Judaïsme, Bouddha pour le Bouddhisme, Jésus pour le Christianisme, Mahomet pour l’Islam etc. Bien que respectables en soi, une telle croyance et une telle vénération ne rendent pas nécessairement l’homme meilleur. Quant à la spiritualité, elle est plutôt fondée sur l’étude des lois divines et l’éveil de l’âme qui évolue en nous. Elle correspond donc à un processus dynamique dont le but est de se parfaire sur le plan humain. Or, tel est précisément l’idéal philosophique des Rosicruciens : devenir meilleurs dans leur comportement et rendre le monde meilleur par leur comportement.

>  E.M. : Si l’A.M.O.R.C. est tolérant à l’égard des religions, il semblerait que certaines religions fassent preuve d’intolérance envers l’A.M.O.R.C. Est-ce exact ?

S.T. : Malheureusement oui. L’expérience prouve en effet que certains religieux, notamment en Afrique, condamnent les Rosicruciens, voire même les persécutent, et répandent au sujet de l’A.M.O.R.C. toutes sortes de calomnies, parfois par ignorance, mais le plus souvent par malveillance. Un tel comportement ne leur fait pas honneur et traduit leur intolérance, leur sectarisme, pour ne pas dire leur fanatisme. De son côté, l’A.M.O.R.C. laisse à chacun de ses membres la liberté de poursuivre le credo de son choix, car comme je l’ai dit tout-à-l’heure, on peut tout-à-fait être Rosicrucien et Chrétien, Musulman, Juif, Bouddhiste, …

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>  E.M. : Dans les ouvrages de référence, l’Ordre de la Rose-Croix est souvent qualifié de « Mouvement ésotérique ». Qu’entend-on exactement par « ésotérique » ?

S.T. : Effectivement, certains historiens sont même allés jusqu’à qualifier l’Ordre de « Joyau de l’ésotérisme occidental », ce qui sous-entend qu’il est une Organisation ésotérique. Cela dit, le mot « ésotérisme » a pris une connotation péjorative, car il a été vulgarisé par certaines “sectes” et “mouvements new age”. Dans son sens le plus pur, ce mot est synonyme de « mysticisme », terme d’origine grecque qui signifie « connaissance des mystères ». Pour éviter toute ambiguïté, nous pouvons donc dire que l’A.M.O.R.C. est une Organisation mystique plutôt qu’ésotérique.

>  E.M. : Quelles sont les origines de l’Ordre ?

S.T. : Sur le plan historique, l’Ordre remonte au XVIIe siècle, époque à laquelle les Rose-Croix se firent connaître en publiant trois Manifestes : la Fama Fraternitatis (1614), la Confessio Fraternitatis (1615) et les Noces Chymiques de Christian Rosenkreutz (1616). Quelques années plus tard, en 1623, ils placardèrent des affiches dans les rues de Paris, afin d’inviter les chercheurs sincères à rejoindre leur Fraternité. À cette époque déjà, l’une de leurs préoccupations majeures était de sensibiliser leurs contemporains à davantage d’humanisme et de spiritualité. Mais en réalité, l’Ordre est encore plus ancien, car ses origines traditionnelles remontent aux Écoles de Mystères de l’Égypte antique. De nos jours, la plupart des historiens et des égyptologues admettent l’existence de ces Écoles. Comme leur nom l’indique, on y étudiait les mystères de l’univers, de la nature et de l’homme lui-même. Cette étude donna naissance à une Connaissance qui s’est transmise jusqu’en Grèce, puis dans la Rome antique et l’Europe du Moyen-Âge, pour être finalement reprise au XVIIe siècle par les Rose-Croix. Et de nos jours, l’A.M.O.R.C. perpétue en grande partie cet héritage culturel et spirituel.

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>  E.M. : Je suppose qu’il y a eu des personnages célèbres dans l’Ordre ?

S.T. : Effectivement. Cela dit, on ne mesure pas la valeur d’une Organisation aux célébrités qui en ont fait partie dans le passé, mais au bien qu’elle apporte aux hommes et aux femmes du présent. Néanmoins, puisque vous me posez la question, nous savons que Léonard de Vinci, Cornélius Agrippa, Coménius, Giordano Bruno, Descartes, Spinoza, Cagliostro, Newton, Leibniz, Benjamin Franklin, Michel Faraday, Claude Debussy, Érik Satie, Nicholas Roerich, François Jollivet Castelot, et à une époque plus récente Édith Piaf, ont été membres de l’Ordre ou en contact avec lui. De nos jours, l’A.M.O.R.C. compte également des personnalités célèbres parmi ses membres. Mais il leur appartient de faire état ou non de leur affiliation rosicrucienne, car l’Ordre se fait un devoir d’en maintenir l’aspect confidentiel.

>  E.M. : On dit que l’A.M.O.R.C. s’implique dans la politique de certains pays, notamment en Afrique. Qu’en dites-vous ?

S.T. : C’est faux. Depuis toujours, l’A.M.O.R.C. est totalement apolitique, à tel point que parler de politique dans le cadre de nos activités peut être un motif de radiation. Naturellement, chaque Rosicrucien est entièrement libre de ses opinions dans ce domaine, mais il ne doit pas en faire état au sein de l’Ordre. C’est d’ailleurs parce que l’A.M.O.R.C. est apolitique qu’il réunit des membres appartenant à toutes les catégories sociales et à toutes les tendances politiques. Certes, il est vrai que certains Rosicruciens occupent des fonctions politiques dans divers pays du monde. Mais dans la plupart des cas, ils occupaient ces fonctions avant de devenir membres de l’Ordre. Quant à ceux qui étaient Rosicruciens avant d’entrer en politique, l’A.M.O.R.C. est totalement étranger à leur choix de carrière, à leur nomination, à leur promotion, … J’ajouterai que dans tous les cas, leurs décisions n’impliquent aucunement l’A.M.O.R.C.

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>  E.M. : À titre personnel, quelle est votre conception de la politique ?

S.T. : Dans son sens le plus courant, la politique désigne l’activité qui consiste à gouverner un pays. Il s’agit donc d’une grande responsabilité pour ceux qui l’exercent. Cette responsabilité est d’autant plus difficile à assumer que tout le monde n’a pas les mêmes idées dans ce domaine, tant parmi les gouvernants que parmi les gouvernés. C’est ce qui explique pourquoi la politique a toujours été le théâtre d’oppositions et de conflits. À cela s’ajoute le fait que ceux qui détiennent le pouvoir ne l’ont pas toujours obtenu d’une manière légitime, tant il est vrai que nombre de régimes sont plus totalitaires que démocratiques. Par ailleurs, les démocraties elles-mêmes génèrent des excès qui conduisent certains individus à revendiquer de plus en plus de droits et à s’acquitter de moins en moins de leurs devoirs.

>  E.M. : Est-ce à dire que vous êtes contre la démocratie ?

S.T. : Bien sûr que non. En l’état actuel des choses, la démocratie me semble la meilleure forme de gouvernement. Cela dit, j’espère que le jour viendra où la politique fera réellement de l’homme le centre de ses préoccupations et mettra le pouvoir temporel au service d’idéaux plus humanistes. Vous remarquerez d’ailleurs que les choses les plus positives qui ont été accomplies au cours des âges l’ont été par des personnes qui avaient un profond respect de la dignité humaine et dont la seule ambition était de contribuer à l’élévation des consciences. Dans l’absolu, je pense que la politique devrait être une extension de la philosophie, appliquée au bien commun.

>  E.M. : Pour rester dans le même genre de question, quel regard portez-vous sur l’économie ?

S.T. : Comme la politique, l’économie est une affaire de spécialiste, ce que je ne suis pas. L’analyse que j’en fais est donc plutôt philosophique et sans doute quelque peu idéaliste, voire même utopiste pour certains. Il me semble que nous commettons depuis trop d’années l’erreur de vouloir mettre l’homme au service de l’économie, ce qui renforce les inégalités, induit un nivellement par le bas et va à l’encontre de la dignité humaine. Je pense au contraire qu’il faudrait mettre l’économie au service de l’homme, ce qui implique de réfléchir au sens profond de l’existence et à la place que l’humanité occupe dans la Création. En termes philosophiques, cela revient à se demander individuellement et collectivement quel est le but réel de la vie.

Pour ma part, il n’est pas d’accroître inconsidérément nos possessions matérielles, mais d’évoluer spirituellement et d’instaurer une véritable fraternité entre tous les hommes. Dans les pays dits “développés”, la plupart des politiciens et des économistes affirment que l’économie doit être basée impérativement sur la consommation. En vertu de ce principe, ils prennent des mesures pour inciter les gens à consommer davantage, c’est-à-dire à acheter toujours plus. Or, il apparaît clairement qu’un grand nombre de personnes n’ont pas les moyens de le faire. Quant à celles qui les ont, il y a nécessairement une limite à leur désir et à leur besoin de consommer. Ne faut-il pas au contraire moins produire, produire mieux en qualité, et remettre l’homme au centre de la production.

Autrement dit, ne faut-il pas réhumaniser la société, ce qui revient à la “démachiniser”. Que dire également du fossé qui se creuse toujours plus entre les pays “riches” et les pays pauvres ou en “voie de développement”. De toute évidence, il faudra bien un jour repenser totalement l’économie mondiale et lui donner un caractère plus humaniste. De toute façon, sous l’effet de la mondialisation, je suis convaincu que plus aucun pays, aussi puissant soit-il, ne pourra résoudre à long terme ses problèmes économiques sans résoudre en même temps ceux des pays moins favorisés. D’un autre côté, les pays défavorisés doivent faire davantage d’efforts pour surmonter leurs difficultés et mériter l’aide qui peut et doit leur être apportée.

>  E.M. : Certains historiens font un parallèle entre la Franc-Maçonnerie et la Rose-Croix. Qu’en est-il exactement ?

S.T. : Il est vrai que ces deux Organisations ont des liens traditionnels et historiques. C’est d’ailleurs ce qui explique que dans certaines obédiences maçonniques, l’un des plus hauts grades est celui de « Chevalier Rose-Croix ». Mais de nos jours, la Rose-Croix et la Franc-Maçonnerie fonctionnent différemment et indépendamment l’une de l’autre. Cela dit, il y a des Rosicruciens francs-maçons, et par conséquent des Francs-Maçons rosicruciens.

>  E.M. : Les femmes sont-elles admises dans l’A.M.O.R.C. ?

S.T. : Naturellement, et ce depuis toujours. Il y a d’ailleurs des femmes parmi les Grands Maîtres de l’Ordre, ce qui prouve qu’elles bénéficient du même statut et des mêmes prérogatives que les hommes.

>  E.M. : Il y a donc plusieurs Grands Maîtres dans votre Ordre ?

S.T. : Oui, car l’A.M.O.R.C. est mondial. Pour être plus précis, il est divisé en juridictions regroupant chacune tous les pays où l’on parle la même langue. C’est ainsi qu’il y a une juridiction francophone (France, Suisse, Belgique, Québec, D.O.M.-T.O.M., Afrique francophone), mais aussi anglaise, allemande, grecque, italienne, russe, …, chaque juridiction étant dirigée par un Grand Maître. Sachez également que tous les Grands Maîtres de l’Ordre ont été élus à cette fonction et l’occupent pour un mandat de cinq ans, ce mandat pouvant être renouvelé. Inversement, tout Grand Maître est susceptible d’être destitué s’il ne fait pas correctement ce qui est attendu de lui de la part des autres Grands Maîtres et des membres eux-mêmes.

>  E.M. : Pouvez-vous détailler le contenu des enseignements rosicruciens ?

serge-toussaint-2de2S.T. : Tout d’abord, je dois préciser que dans les siècles passés, les enseignements rosicruciens étaient transmis uniquement de bouche à oreille, dans des lieux tenus secrets. C’est précisément pour cette raison que l’Ordre de la Rose-Croix était considéré autrefois comme une société secrète. En fait, ce secret avait pour but de préserver les Rosicruciens des persécutions religieuses et politiques qui étaient malheureusement courantes à certaines époques du passé.

De nos jours, les enseignements rosicruciens se présentent sous la forme de manuscrits adressés aux membres, d’une manière confidentielle. Ils s’échelonnent sur douze degrés, chaque degré étant consacré à l’étude de sujets philosophiques et mystiques : le concept de Dieu, l’Âme Universelle, l’âme humaine, le temps et l’espace, l’évolution spirituelle de l’homme, les mystères de l’avant-vie et de l’après-vie, le karma, la réincarnation, le symbolisme universel, etc.

En plus de ces sujets philosophiques, les enseignements rosicruciens comportent aussi l’étude de techniques mystiques fondamentales, telles la création mentale, la méditation, la prière, l’alchimie spirituelle, … Parallèlement aux enseignements écrits de l’A.M.O.R.C. , les membres qui le souhaitent peuvent se rendre dans les Loges de l’Ordre et participer à des réunions au cours desquelles ils parlent entre eux de philosophie et de spiritualité. En fait, la vocation de ces Loges est de perpétuer l’aspect oral de la Tradition Rose-Croix et de permettre aux Rosicruciens d’entretenir des relations fraternelles. En cela, comprenez bien que l’A.M.O.R.C. est aussi une grande Fraternité.

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>  E.M. : Y a-t-il des initiations dans l’Ordre ?

S.T. : Naturellement, tout comme il y en a dans la Franc-Maçonnerie ou le Martinisme. Sinon, l’A.M.O.R.C. ne serait pas une Organisation traditionnelle et initiatique. En fait, chacun des douze degrés de l’enseignement est précédé par une initiation que les membres peuvent effectuer chez eux, à titre individuel, ou dans une Loge de l’Ordre, en présence d’autres candidats. Sans entrer dans les détails, je dirai simplement que les initiations rosicruciennes consistent en des cérémonies qui ont trois buts majeurs : introduire rituellement le membre dans le nouveau degré qu’il est sur le point d’étudier ; lui révéler de nouvelles connaissances concernant la Tradition Rose-Croix ; lui permettre d’être momentanément à l’écoute de son âme. La beauté et la pureté de ces initiations (qui n’ont aucun caractère d’obligation) résident essentiellement dans le symbolisme et la profondeur de ce qui est dit et accompli en la circonstance.

>  E.M. : Comment concevez-vous l’âme humaine ?

S.T. : Comme l’énergie spirituelle qui anime tout notre corps, au sens étymologique du verbe « animer ». En cela, les Rosicruciens ne pensent pas qu’elle est située dans le coeur, le cerveau ou le sang, comme l’enseignent certaines religions. De même, elle n’est pas localisée dans l’un de nos chakras, comme le disent certains gourous orientaux. En fait, elle imprègne toutes les cellules de notre être. Mais l’âme ne se limite pas à animer notre corps physique. C’est elle aussi qui confère à l’homme le pouvoir d’évoluer spirituellement et de se parfaire durant son incarnation terrestre. Elle possède pour cela un attribut majeur : la conscience, qui s’exprime en l’homme à travers ses facultés physiques, mentales, psychiques et spirituelles.

>  E.M. : Quelle est votre conception de Dieu ?

S.T. : Je dois d’abord préciser que les Rosicruciens ne conçoivent pas Dieu comme un Surhomme qui trônerait quelque part dans le ciel et se comporterait à l’égard des hommes comme un père envers ses enfants. Pour eux, Il est plutôt l’Intelligence universelle qui est à l’origine de toute la Création, visible et invisible. Pour reprendre la définition de Pythagore, Il est le « Grand Architecte de l’Univers ». D’un point de vue rosicrucien, il est impossible de concevoir ou de connaître Dieu, car Il est inconcevable et inconnaissable. Cela dit, nous avons le pouvoir et même le devoir d’étudier les lois par lesquelles Il se manifeste dans l’univers, dans la nature et dans l’homme lui-même. En fait, c’est dans cette étude que résident la raison de notre présence sur Terre et la clé du bonheur auquel nous aspirons.

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>  E.M. : La littérature ésotérique attribue des “pouvoirs” aux Rose-Croix. Est-ce un mythe ou une réalité ?

S.T. : Disons que les enseignements rosicruciens contiennent des expériences dont le but est d’éveiller certaines facultés latentes en l’homme, telles l’intuition, la prémonition, la visualisation, la télépathie, … De nos jours, ces facultés entrent dans le cadre de la parapsychologie et sont étudiées par les scientifiques eux-mêmes. Pour prendre un exemple précis, des expériences effectuées en laboratoire ont prouvé que la télépathie, c’est-à-dire la possibilité de communiquer au moyen de la pensée, est une réalité. Quant à l’intuition, qui peut nier son existence ? Les facultés dites “paranormales” sont qualifiées ainsi parce que le commun des mortels n’en a pas l’usage. Cela ne veut pas dire pour autant que l’homme ne les possède pas à l’état latent.

Einstein lui-même affirmait que nous n’utilisons que 10 % environ de nos facultés mentales. Comme chacun sait, ce grand savant et philosophe avait un pouvoir d’abstraction hors du commun. Doit-on qualifier ce pouvoir de “paranormal” sous prétexte que très peu de personnes le possèdent, ou doit-on considérer qu’il est normal dès lors qu’on en bénéficie ? Je voudrais dire également que l’acquisition des “pouvoirs”, pour reprendre le mot que vous avez employé, n’est pas et n’a jamais été un but en soi pour les Rosicruciens. En effet, ils accordent beaucoup plus d’importance à l’éveil des facultés de l’âme, c’est-à-dire, comme je l’ai précisé tout à l’heure, à l’acquisition des qualités qui font la valeur d’un être humain digne de ce nom. Autrement dit, ce qu’ils recherchent avant tout, c’est la sagesse. En cela, ils sont vraiment des philosophes, c’est-à-dire, littéralement, des « amoureux de la sagesse ».

>  E.M. : Dans un tout autre domaine, est-ce que l’A.M.O.R.C. participe à des oeuvres humanitaires, comme le font d’autres Organisations du même type ?

S.T. : En tant qu’Organisation philosophique, l’A.M.O.R.C. ne participe pas directement à des oeuvres humanitaires, car ce n’est pas sa vocation. En effet, son but est avant tout de perpétuer les enseignements dont il a hérité à travers les âges. Cela dit, nombre de Rosicruciens, en application de la philosophie humaniste prônée par l’Ordre, s’investissent pleinement dans le domaine caritatif. Ainsi, certains d’entre eux soutiennent les associations qui viennent en aide aux plus déshérités ; d’autres celles qui oeuvrent pour la protection des espèces animales menacées ; d’autres encore celles qui s’investissent dans l’écologie…

>  E.M. : À propos d’écologie, quelle importance lui accordez-vous ?

S.T. : L’écologie fait partie intégrante de la spiritualité, car on ne peut s’intéresser aux mystères de la vie sans se préoccuper du devenir de notre planète. C’est pourquoi les Rosicruciens sont particulièrement sensibles au problème de l’environnement et s’emploient à donner l’exemple d’un comportement respectueux à l’égard de la nature et de tous les êtres vivants. À partir du moment où l’on se consacre à la spiritualité, on ne peut que se sentir concerné par l’avenir de la Terre, car elle est une expression admirable des lois divines et reste à jamais la Mère de tous les hommes.

>  E.M. : L’A.M.O.R.C. a-t-il une position officielle sur des faits de société comme la peine de mort, la contraception, l’avortement, le suicide, le clonage, l’euthanasie, le don d’organes, etc. ?

S.T. : Non, car l’A.M.O.R.C. ne véhicule aucun dogme et cultive la liberté de conscience. En ce sens, les Rosicruciens sont, non pas des libres-penseurs, mais des penseurs libres. Si cela vous intéresse, je peux simplement vous faire part de mon opinion personnelle sur ces sujets, étant entendu, je le répète, qu’elle n’engage pas la pensée officielle de l’Ordre.

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>  E.M. : Quelle est donc votre opinion sur la peine de mort ?

S.T. : Louis-Claude de Saint-Martin, grand philosophe du XVIIIe siècle, a dit : « On ne devrait jamais retirer à un être humain ce qu’on est incapable de lui rendre ». De toute évidence, cette pensée s’applique à la vie elle-même. Certes, sur un plan humain, je comprends que l’on puisse vouloir tuer celui qui a tué, mais il s’agit là d’un désir de vengeance, ce qui me semble négatif en soi. D’autre part, des enquêtes très sérieuses ont montré que la peine de mort n’a aucun effet dissuasif sur les criminels. À cela s’ajoute une donnée purement mystique. En effet, le fait d’appliquer cette peine à un assassin libère une âme qui quitte ce monde avec des sentiments de haine et de vengeance. Si vous admettez le principe de la réincarnation, ce qui est le cas de la plupart des Rosicruciens, vous comprendrez que cette âme reviendra sur Terre et donnera probablement naissance à un autre criminel, peut-être même plus dangereux encore.

>  E.M. : La contraception ? L’avortement ?

S.T. : Il me semble évident que la surpopulation est un danger pour l’humanité, car elle touche surtout les pays pauvres et accroît leur pauvreté. Bien sûr, nous devons apprendre à mieux gérer et à mieux partager les produits de la Terre. Cela dit, il est clair que les ressources naturelles ne sont pas inépuisables. La contraception peut donc être un moyen efficace de réguler les naissances. Quant à l’avortement, il correspond naturellement à une décision grave. Mais il est évident qu’il y a des circonstances qui justifient cette décision. Quoi qu’il en soit, je pense que l’on ne doit pas être contre uniquement en raison de certains dogmes religieux. Il s’agit d’un choix qui engage avant tout la responsabilité des parents eux-mêmes.

>  E.M. : Le suicide ?

S.T. : Tout d’abord, je me garderai bien de juger, et encore moins de condamner une personne qui s’est suicidée. Si elle l’a fait, c’est parce qu’elle était désespérée et préférait mourir que continuer à vivre. C’est infiniment triste. Disons que le suicide, au regard de la philosophie rosicrucienne, ne fait que reporter dans la prochaine incarnation les difficultés ou les épreuves auxquelles on a voulu échapper en se donnant la mort. Cela suppose que l’âme d’un suicidé accède à l’après-vie comme l’âme de tout autre défunt, mais prend conscience dans l’au-delà de l’inutilité de son geste et du fait qu’elle sera confrontée aux mêmes difficultés et aux mêmes épreuves dans sa prochaine incarnation, car elle devra les surmonter pour le bien de son évolution personnelle.

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>  E.M. : Le clonage ?

S.T. : Ne serait-ce que sur le plan éthique, je pense que la manipulation génétique qui consiste à cloner un être vivant à partir d’un autre est condamnable. Pour moi, elle est l’illustration parfaite de l’adage : « Science sans conscience n’est que ruine de l’âme ». Appliqué à l’homme, le clonage est d’autant plus grave qu’il met en cause la dignité humaine. En effet, quelles seront les réactions des individus clonés lorsqu’ils apprendront et réaliseront ce qu’ils sont, comment ils ont été créés et pourquoi ils l’ont été. Si je dis « pourquoi », c’est parce que des enquêtes ont établi que les quelques personnes favorables au clonage envisagent d’avoir recours à cette manipulation pour se survivre à elles-mêmes à travers leur clone, ce qui dénote un certain égocentrisme et un matérialisme certain.

>  E.M. : L’euthanasie ?

S.T. : Personnellement, je suis favorable à l’euthanasie lorsque les souffrances ne sont plus supportables et que la maladie est incurable, c’est-à-dire lorsqu’il est médicalement établi que la personne concernée est condamnée à mourir ou à mener une vie purement végétative. Naturellement, l’idéal est que cet acte puisse avoir lieu à la demande de cette personne et dans un cadre légal et éthique très rigoureux. Je pense que le corps n’est vraiment utile qu’à partir du moment où il permet à l’âme qui l’anime d’évoluer sur le plan terrestre. S’il ne dispose plus de ses processus de conscience et s’il devient une cause permanente de souffrances malgré les soins palliatifs, à quoi bon pratiquer l’acharnement thérapeutique ? D’une manière générale, ceux qui sont favorables à un tel acharnement le sont parce qu’ils ont une conception matérialiste de la vie et de la mort.

>  E.M. : Le don d’organes ?

S.T. : De toute évidence, le don d’organes correspond à un choix personnel, fondé sur les convictions éthiques, philosophiques et religieuses de chacun. Personnellement, je n’y suis pas opposé, car il est indéniable que cela permet de sauver des vies. Là encore, cela doit se faire dans un cadre légal et éthique très rigoureux. Par ailleurs, contrairement à ce que pensent certaines personnes, je suis convaincu que le don d’organes n’altère en rien l’âme du donneur, pas plus que l’âme du receveur. On ne doit donc pas être contre par peur qu’un tel acte porte atteinte à la dimension spirituelle de l’homme.

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>  E.M. : Quelle est votre vision du monde actuel ?

S.T. : Lorsque l’on considère l’état actuel de l’humanité, nul ne peut nier qu’elle est en proie à de grands bouleversements, que ce soit sur le plan économique, politique, éthique, religieux, social, … A priori, ces bouleversements pourraient faire craindre le pire pour l’avenir et traduire en eux-mêmes le déclin de la Civilisation humaine. Pour ma part, je préfère y voir la remise en cause des valeurs matérialistes qui ont guidé les hommes au cours des siècles passés, cette remise en cause étant en elle-même le reflet d’une grande prise de conscience collective. En effet, le monde a beaucoup évolué, même si nous avons parfois l’impression qu’il a régressé dans certains domaines. À titre d’exemple, un nombre toujours croissant de personnes s’insurgent contre les guerres, les intégrismes de tous ordres, les inégalités marquantes, le dénuement de certains peuples, les ravages causés par le non-respect de l’environnement, etc. Au-delà des apparences, je pense en fait que le chaos auquel l’humanité est confrontée actuellement marque le seuil d’une ère nouvelle, d’une ère plus spiritualiste et plus humaniste.

>  E.M. : Vous semblez très idéaliste !

S.T. : Bien sûr, mais cela ne m’empêche pas d’être réaliste. Certes, j’aime avoir la tête dans le ciel, mais j’essaie de garder les pieds sur Terre. En fait, je suis convaincu que l’univers n’est pas le fruit du hasard et qu’il s’intègre dans un Plan divin. De même, j’ai la conviction que l’homme n’est pas le résultat d’un simple concours de circonstances et qu’il a une mission à accomplir dans ce monde, ne serait-ce que parce qu’il a le pouvoir de contempler et d’étudier l’univers. Sur le temple d’Apollon, à Delphes, était gravée la devise : « Homme, connais-toi toi-même, et tu connaîtras l’univers et les dieux ». Pour paraphraser quelque peu cette devise, je dirai : « Homme, connais-toi toi-même, car Dieu contemple l’univers à travers toi ». Fin