Sia KAMBOU (Photo credit /AFP/Getty Images)

Certaines personnes pensent que le rôle des prêtres et évêques se limite à appeler à la paix politique et sociale. Ce n’est pas mon avis car le psaume 84, pour ne citer que cet exemple, nous apprend que c’est la justice mais également la vérité qui conduisent à une paix durable dans un pays. C’est sur la base de ce principe que des prophètes comme Amos, Nathan, Osée, Ézéchiel (Ancien Testament), Jean-Baptiste et Jésus (Nouveau Testament) prenaient la parole pour fustiger tout ce qui blesse ou bafoue la dignité humaine. Car le prophète ne sait pas tourner autour du pot ; de sa bouche ne sortent que des paroles de feu; il parle cru et dru pour défendre la cause des faibles et des défavorisés, ne mâche pas ses mots, ne craint pas de tancer les puissants qui exploitent et piétinent le pauvre. C’est pourquoi il est haï, insulté, voire combattu, y compris dans sa propre maison comme Jérémie contre qui prêtres et faux prophètes s’étaient ligués parce qu’il avait dit aux habitants de Jérusalem que Yahvé, à cause de leur mauvaise conduite, détruirait leur temple comme il détruisit celui de Silo et qu’il ferait de cette ville un objet de malédiction pour toutes les nations de la terre (Jérémie 26, 6).

En Afrique francophone, les seuls évêques qui incarnent ce prophétisme lucide et critique aujourd’hui sont ceux de la République démocratique du Congo. Bernard Yago et Paul Dacoury-Tabley étaient incontestablement des prophètes dans les années 1980 et 1990. Tout en respectant l’État, ils ne courbèrent jamais l’échine devant le régime Houphouët ; jamais on ne les vit abandonner opprimés et exploités à leur triste sort. Eux parlaient vraiment pour le peuple parce qu’ils étaient avec le peuple. Parce que son franc-parler dérangeait, le second fut muté d’Abidjan à Grand-Bassam, le 19 décembre 1994. Mgr Bernard Agré était aussi un prophète à sa manière, quand il appelait inlassablement les Ivoiriens à s’unir pour mieux faire face à ceux qui convoitaient les richesses de leur pays ou quand il prenait la défense du Conseil constitutionnel, seule institution habilitée par notre loi fondamentale à proclamer les résultats définitifs de l’élection présidentielle. Le jeune Marcellin Kouadio Yao a essayé de suivre leurs traces en interpellant vivement Bédié et Ouattara le samedi 6 décembre 2013 à la Basilique Notre Dame de la Paix. Le régime et les autres évêques, qu’un bon nombre de fidèles laïcs jugent peureux et corrompus, ont-ils demandé et obtenu que le Vatican, (complice de la France et de Dramane Ouattara ?), le transfert de Yamoussoukro à Daloa en avril 2018 ? Rien n’est moins sûr.

Ce qui est certain, c’est que quiconque prétend parler et agir au nom de Dieu dont le fils fut mis à mort parce que les vérités qu’il assenait dérangeaient l’establishment politico-religieux, n’a pas d’autre choix que de dénoncer le mal (dictature, injustice, pillage des ressources naturelles, détournement des deniers publics, etc.). Nos évêques, plutôt que de répéter des lieux communs comme « les armes circulent encore » ou « évitez-nous une autre guerre », devraient parler des souffrances du peuple et parler sans langue de bois à ceux qui les affament, les appauvrissent et les oppriment. Car, quand le vent tournera (et il finira par tourner puisque tout, ici-bas, passe), si nos prélats persistent à jouer les équilibristes en logeant l’opposition à la même enseigne que le régime Ouattara comme si elle était responsable et coupable de quoi que ce soit entre avril 2011 et juin 2019, le peuple pourrait leur demander des comptes comme celui de France demanda jadis des comptes aux évêques pétainistes qui par leur silence avaient été les collabos de l’Allemagne nazie. Jean-Claude DJEREKE