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Le président de la République, Alassane Ouattara, rend l’école obligatoire, de 6 à 16 ans, à partir de l’année scolaire prochaine, le 21 septembre 2015. Mais bien des observateurs pensent que ce projet ne pourra pas être réalisé, dans quelques jours. La raison, c’est que la décision a été prise, à seulement deux mois de la rentrée. Quand on sait que pendant une année scolaire, des parents d’élèves n’arrivent pas à préparer la rentrée suivante, on se demande bien si les deux mois vont leur suffire. Et puis, si malgré les efforts qui sont faits, concernant la scolarisation de la jeune fille, par exemple, il y a encore des poches de résistance et qu’en masse, elles ne connaissent pas encore le chemin de l’école, il y a à affiner une stratégie qui puisse faire mouche. Il n’y a qu’à regarder dans les coins de rue pour voir que des jeunes filles continuent de vendre de l’eau glacée en sachet, pour se rendre compte qu’il y a encore beaucoup d’efforts à faire pour qu’elles aillent à l’école, malgré la gratuité de l’école. C’est vrai que les kits et manuels sont mis gratuitement à la disposition des enfants, dans le primaire. Mais le problème, c’est qu’il faut encore que l’élève soit en tenue si on considère qu’il n’y aura plus de dépense à faire concernant l’achat de livres ou de cahier, une fois que l’enfant est inscrit. Ce qui, malheureusement, n’est pas le cas ; puisqu’il faut, pour le parent, sortir de l’argent, même pour les Comités de gestion. Le ministère de l’Education nationale et de l’Enseignement technique a beau annoncé sur tous les toits qu’ils ne doivent pas exclure des élèves qui ne paient les cotisations qu’ils fixent, mais vu les besoins qu’ils doivent satisfaire, dans les écoles, ils sont obligés de les y contraindre. Aussi, ne dit-on pas que c’est après le pain que l’Education devient le premier besoin du peuple ? Quelqu’un qui n’a pas à manger, pourra-t-il mettre son enfant à l’école ? Tout cela pour dire que le pauvre (plus de la moitié de la population est pauvre) aura du mal à intégrer le projet. Un parent qui entretient un orphelin et qui éprouve d’énormes difficultés pour joindre les deux bouts, va-t-il subir les rigueurs de la loi, en raison de la contrainte, s’il ne peut scolariser cet enfant ? En tout cas, l’école ne peut être obligatoire que s’il est entièrement gratuit. Et puis, il faudra étendre la gratuité de l’école au secondaire.

Dominique FADEGNON

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Des enseignants et des parents d’élèves se prononcent

 

L’école obligatoire, de 6 à 16 ans, conçue par le gouvernement ivoirien sera effective en septembre 2015. Que pensent les enseignants et les parents d’élèves de ce projet dont les conclusions des travaux ont été remises au président Alassane Ouattara, le lundi 13 juillet 2015. Nous les avons interrogés sur ce nouveau système, dont l’objectif vise à ne laisser aucun enfant, sur le chemin de la réussite. Tous saluent l’initiative, mais se posent la question de savoir avec quelles infrastructures et quels types d’enseignants ce projet va se dérouler ? 

Mesmin Komoé (Sg du Mouvement des instituteurs pour la défense de leurs droits) « L’initiative est bonne, mais… »

L’initiative est bonne, mais pour que ce projet soit une réussite, la condition principale voudrait qu’ en même temps qu’on parle d’école obligatoire, elle doit être concrètement gratuite. Les deux vont de pair. Le parent qui n’a pas de moyens financiers pour inscrire son enfant à l’école ira-t-il en prison ? La question est posée. Une fois une réponse est trouvée à cette équation, il ne faut pas perdre de vue celle relative aux conditions d’ordre matériel. C’est-à-dire, est-ce que la Côte d’Ivoire dispose suffisamment d’infrastructures et d’équipements, à l’état actuel, pour mener à bien cette belle initiative? Sur le sujet, je ne suis pas certain. De plus, l’école obligatoire fait forcément référence à une école de qualité. Ce qui suppose des enseignants de qualité avec une formation de qualité à la base. Pour disposer de ces ressources humaines de qualité, il va falloir, en plus de former les enseignants, les motiver en améliorant leurs conditions de vie et de travail. Le tout sera joué, si les formateurs sont associés à la mise en route du projet, à travers séminaires, colloques, ateliers…

Serikpa Dagou (Sg du syndicat autonome des enseignants du primaire public de Côte d’Ivoire): « Il faut prévoir des infrastructures »

L’école obligation de 6 à 16 ans est une bonne action. Cependant, il faut prévoir des infrastructures pour rendre effectif le projet. Il appartient au gouvernement de construire des écoles, de former les enseignants…Toutefois, la formation ne doit pas se faire de façon précipitée. Au risque de former les enseignants au rabais et à leur tour de dispenser, aux enfants, des enseignements de moindre qualité. A ces conditions, l’État de Côte d’Ivoire doit se faire fort de trouver des solutions aux nombreuses doléances du secteur éducation formation à savoir : payer les arriérés de salaire, les indemnités de logement et finaliser le profil de carrière. En réglant ces contentieux, le gouvernement crée un environnement sain, favorable à un meilleur développement du projet «Ecole obligatoire ».

Edouard Aka (pdt de l’Union nationale des parents d’élèves et étudiants de Côte d’Ivoire): «Combler le déficit en enseignants»

Maintenir tous les enfants de Côte d’Ivoire à l’école, dans l’optique de leur donner une chance d’avoir un meilleur avenir, est une bonne chose en soi. Mais pour gagner ce pari, le gouvernement se doit de combler le déficit en enseignants. Un accent doit être mis sur la formation des encadreurs. Il faut également construire des écoles et disposer d’infrastructures pour la formation des milliers d’enfants de la tranche d’âge qui sont pris en compte par le projet. Il importe également que le gouvernement, dorénavant, associe les parents d’élèves dans la prise de décisions concernant les enfants. Car, ce sont eux qui produisent la « matière première » que le gouvernement envisage de transformer. Il est bien que les « producteurs » aient leurs mots à dire pour que le produit fini soit de qualité.

Claude Aka Kadio (Pdt de l’Organisation des parents d’élèves et étudiants de Côte d’Ivoire) : «Réglementer les naissances pour que le projet soit fiable »

L’État de Côte d’Ivoire a l’habitude de prendre de grandes décisions. Mais dans l’application, il y a très souvent beaucoup de failles. Depuis des décennies, le gouvernement rencontre des difficultés pour caser tous les diplômés qui sortent des grandes écoles, universités, etc. En plus, il veut maintenir tous les enfants à l’école. Mais à voir de près, toutes les conditions ne sont pas réunies. Les infrastructures, l’équipement, les écoles… font défaut. Ces insuffisances inquiètent les parents d’élèves. Et puis de quel budget disposera ce projet pour dérouler efficacement sa feuille de route, quand on sait que la démographie en Côte d’ivoire est en perpétuelle croissance. Une sensibilisation accrue en direction des parents afin de réglementer les naissances pour que le projet soit fiable est nécessaire.

Propos recueillis par Elysée YAO Photos d’Archives)

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Plusieurs mesures pour réussir le projet

 

De 1.2 million d’enfants non scolarisés en 2007, on en est aujourd’hui à environ 1.3 million. Ces enfants, majoritairement issus de familles pauvres, selon le Premier ministre Daniel Kablan Duncan, vivent en zones rurales. Pour la plupart, il s’agit de filles. Mais afin de permettre à tous les enfants d’être scolarisés, le président de la République, Alassane Ouattara, rend l’école obligatoire, de 6 à 16 ans, à partir de la rentrée du lundi 21 septembre 2015. Pour y arriver, 700 milliards de francs Cfa ont été débloqués. Au total, plus de 5000 enseignants seront recrutés, la plupart dans le primaire, et environ 4 500 classes devront être construites. Selon le chef de cabinet de la ministre de l’Education nationale et de l’enseignement technique, Kouyaté Abdoulaye qui visitait un projet pilote de construction de 3000 classes en matériaux préfabriqués pour la rentrée scolaire prochaine, le jeudi 16 juillet 2015, à Abobo, plusieurs efforts ont été faits avant la mise en route du projet cher au chef de l’Etat. « De 2011 à ce jour, 15 313 classes ont été construites, de même que 170 collèges. 30 mille enseignants ont été recrutés. En outre, des plus de 2000 classes ont été offertes au ministère par des associations, Ong et autres structures », a-t-il souligné. En outre des enseignants du primaire sont en formation à l’Ecole normale supérieure (Ens) pour devenir des enseignants bivalents, dans les collèges. L’école est dite gratuite, dans le primaire, avec la suppression des droits d’inscription et la gratuité des kits scolaire. Le taux de redoublement, notons-le, est ciblé à 5% en 2021, contre 18% en 2014 ; les effectifs d’élèves à inscrire au privé sont estimés à 10% en 2025 au primaire (contre 13,5 % en 2014) et à 40 % en 2025 au premier cycle du secondaire (contre 53 % en 2014). La mise en œuvre de la « scolarisation obligatoire pour les enfants de 6 à 16 ans » dès la rentrée scolaire prochaine est un défi de taille, à en croire le Premier ministre qui faisait l’exposé de cadrage, devant le président de la République.

Dominique FADEGNON

Source : Soirinfo 6236 du mardi 21 juillet 2015