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 (Notre Voie, 25 juillet 2013) – Mais enfin ! Que faut-il à Cissé Bacongo pour qu’il comprenne une bonne fois pour toutes que sa thèse unijambiste, qui oublie royalement la dialectique (il peut demander au professeur Barthélemy Kotchy), le ridiculise aux yeux de la communauté intellectuelle et savante ? Il a écrit et continue d’écrire que les étrangers de l’Aof présents en Côte d’Ivoire avant l’indépendance doivent avoir la nationalité ivoirienne comme vous et moi. C’est-à-dire la nationalité d’origine. Parce que, pour lui, «avant l’indépendance, toutes les personnes vivant sur le sol ivoirien, qu’elles y soient nées ou qu’elles soient venues d’autres pays pour y résider, étaient soit de nationalité française, soit de la nationalité de pays étrangers indépendants».

Son maître, le professeur Hubert Oulaye, lui rétorque que ce n’est pas possible en droit. D’abord parce que le fait d’être resté longtemps dans un pays ne fait pas de vous un national de ce pays. «Le temps passé à l’étranger n’a aucun effet sur la nationalité », assure le professeur agrégé de droit. Mais il ajoute, au soutien de sa thèse, et pour éclairer la lanterne de son élève sur l’histoire des pays colonisés avant les indépendances, que : «En vérité, seules étaient pleinement françaises, les personnes originaires de la métropole. Quant aux originaires des territoires coloniaux, leurs statuts différaient d’une colonie à l’autre.

S’agissant des ressortissants des territoires coloniaux français d’Afrique noire, ils étaient des sujets français. C’est l’ordonnance du 19 octobre 1945 relative au Code de la nationalité, qui pose le principe de la reconnaissance de la nationalité française aux habitants des territoires annexés par la France. Cette qualité était plus formelle qu’effective, car ceux-ci restaient soumis à leur statut coutumier local, et les droits politiques reconnus aux Français métropolitains ne leur étaient pas applicables. Dans chaque territoire, des textes permettaient, par des décisions individuelles, décrets ou jugements, de leur conférer des droits de citoyens français. S’ils remplissaient les conditions (diplômes, service dans l’armée française…), ils pouvaient se voir conférer le statut de citoyen. Cependant, même dans ces cas, le statut de citoyen français n’était pas, en tous points, assimilable à la nationalité française ».

Ce pan de l’histoire que nous rappelle si merveillement le professeur, nous l’avons appris à l’école. Si Dr. Bacongo avait bien bouquiné ou s’il avait fait appel non à sa casquette de politique, mais à ses souvenirs d’élève ou d’étudiant, il n’aurait pas dit ce qu’il a dit et soutenu. D’ailleurs, son professeur lui fait une autre précision pour que «ça rentre bien». «L’administration coloniale distinguait les fonctionnaires du cadre local de ceux du cadre Aof, avant les indépendances. A l’intérieur de l’Aof, on distinguait aussi les ressortissants de chaque pays ou territoire», écrit Hubert Oulaye dans notre édition du samedi dernier.

Et, pour asseoir définitivement et solidement son raisonnement, il reprend sa toge de professeur de droit : «Mais toutes ces personnes qui, pour les raisons ci-dessus exposées, étaient présentes en Côte d’Ivoire au moment de son accession à l’indépendance avaient bien un territoire colonial d’origine et de rattachement social. Leur présence en Côte d’Ivoire était purement circonstancielle et temporaire, puisque ces derniers conservaient leurs attaches socioculturelles avec ces territoires.

L’indépendance de la Côte d’Ivoire n’a pas détruit le lien de rattachement entre la France métropolitaine et les ressortissants des autres territoires coloniaux présents sur le territoire ivoirien».

La conclusion partielle que l’on peut tirer, du reste aisément, mais toujours avec le professeur Oulaye est que «la Côte d’Ivoire, en accédant à la souveraineté internationale, n’est pas devenue un Etat colonial en lieu et place de la France, ayant, dans son ressort territorial, le Mali, la Haute Volta, le Niger…, et disposant de droits sur leurs ressortissants. Ainsi, contrairement à la France coloniale, qui pouvait réquisitionner des travailleurs dans n’importe lequel de ses territoires pour effectuer des travaux «forcés » dans d’autres territoires, la Côte d’Ivoire indépendante ne pouvait en faire autant. Elle ne pouvait réquisitionner que ses seuls nationaux, à l’exclusion des ressortissants des autres territoires coloniaux». Qui dit mieux ? Serait-on tenté de s’interroger.

Bacongo a développé beaucoup de choses. Même s’il est difficile de le suivre dans un développement unidirectionnel, on retient, tout de même, que, de son point de vue (heureusement !), pour pouvoir attribuer sa nationalité, l’Etat, non seulement doit exister, mais il doit être souverain et indépendant. Poursuivant, il dit, s’agissant des territoires coloniaux français, que n’étant pas reconnus sur le plan international comme des pays indépendants qui ont la personnalité juridique internationale, ces pays étaient dans l’incapacité juridique d’attribuer leur nationalité à leurs ressortissants qui résidaient en Côte d’Ivoire en 1960 ; lesquels ressortissants, selon lui, avaient tous la nationalité française. La conclusion simpliste qui en découle est qu’il incombait à la Côte d’Ivoire de leur conférer la nationalité ivoirienne à titre d’origine.

C’est ici que, personnellement, j’ai eu du mal à comprendre comment Bacongo travaille. Fait-il lire ses papiers à ses collègues, ses amis ou à des personnes mieux outillées que lui ? Celles-ci lui auraient déconseillé de prendre cette voie qui est suicidaire pour lui. Il a cru, naïvement, qu’au moment où la Côte d’Ivoire rédigeait son Code de la nationalité en 1961, les Togolais, Béninois, Maliens, Voltaïque (aujourd’hui Burkinabè), Guinéens, Nigériens, Nigérians, Ghanéens, Libériens qui vivaient chez nous ne s’étaient pas encore affranchis de la tutelle coloniale française dans leurs pays d’origine. Ce qui, au regard de l’histoire et du vécu, est archi faux. Du coup, tout le développement handicapé du ministre de Ouattara s’écroule comme un immeuble de 28 étages soufflé par un vent violent.

Le professeur Oulaye, qui le sait mieux que nous, le dit en des mots très sages pour que nul, surtout Bacongo, ne dise qu’il ne les a pas compris. Lisons-le :

«En effet, concernant l’Aof, un seul territoire a pris son indépendance après celle de la Côte d’Ivoire intervenue le 7 août 1960, c’est la Mauritanie, le 28 novembre 1960. Tous les autres territoires le sont devenus avant la Côte d’Ivoire : le Sénégal et le Mali, le 20 juin 1960 ; le Dahomey (Bénin), le 1er août 1960 ; le Niger, le 3 août 1960 ; la Haute-Volta (Burkina Faso), le 5 août 1960. A ces pays, on pourrait ajouter la Guinée (2 octobre 1958) et le Togo (27 avril 1960). Par conséquent, l’argument selon lequel les étrangers présents en Côte d’Ivoire étaient ressortissants de territoires non étatiques et indépendants tombe de lui-même».

Oulaye va plus loin pour indiquer et faire comprendre que, dès l’instant où leurs différents pays ont acquis l’indépendance avant la Côte d’Ivoire, automatiquement (même si ça n’avait jamais été rompu) et pour rester dans la thèse de Bacongo, ils étaient nationaux à titre de nationalité d’origine de leurs pays dont le Code a prévu des dispositions les concernant.

«En outre, explique le professeur, le Code de nationalité ivoirien a été adopté le 14 décembre 1961, c’est-à-dire plus d’une année après l’accession à l’indépendance de tous ces pays.

Enfin, il suffit de se référer aux différents Codes de la nationalité, adoptés par les pays africains et particulièrement par les pays francophones précités, au moment de leurs indépendances, pour être édifié sur l’inanité de la thèse défendue.

Aucun pays indépendant dans la sous-région n’a fait des étrangers résidents des nationaux à titre d’origine.

Aucun des Codes de ces pays ne comporte une disposition attribuant automatiquement la nationalité de son pays, à titre d’origine, à toutes les personnes résidant sur le territoire avant leur accession à l’indépendance. Tous, en revanche, contiennent des dispositions prévoyant une option de naturalisation de cette catégorie de personnes, mais à leur demande.

Ainsi, aucun Code de la nationalité des Etats francophones d’Afrique de l’ouest ayant accédé à l’indépendance en 1960 ne qualifie les étrangers-résidents sur leur territoire à cette époque comme des nationaux à titre d’origine. Tous sans exception, y compris le Sénégal, leur ont proposé des options fondées sur la résidence dans des délais limités».

Qu’en est-il du choix qu’auraient fait certains pays de la sous-région, dont le Sénégal, pour régler la question de ces personnes vivant sur le sol étranger avant les indépendances ? Bacongo, dans ses explications, a cité le juriste Kéba M’Baye. Mais, comme apparemment le poulain de Ouattara n’a pas bien lu ou bien compris la solution sénégalaise de «la possession d’état» telle que défendue dans ses écrits par le professeur Kéba M’Baye, un des «papes » du droit en Afrique, Hubert Oulaye fait un cours magistral à son étudiant.

Ce n’est donc pas sur la base de la solution juridique de la «possession d’état » que la situation des étrangers présents avant l’indépendance a été réglée, comme l’écrit le ministre Cissé Ibrahim Bacongo, mais plutôt sur la base de l’article 29. Le Code sénégalais fait recours à cette solution, mais, en réalité, c’est pour mieux distinguer le Sénégalais de celui qui ne l’a jamais été, ou qui ne peut l’être, en dépit de sa naissance ou de sa présence au Sénégal. A ce propos, il suffira ici de rapporter la position du juge Keba M’Baye qui renforce notre lecture du concept de possession d’état tel qu’utilisé dans le Code de la nationalité au Sénégal.

L’éminent juriste écrivait, en 1961, ceci : «Pour surmonter l’argument de la non-existence juridique de la nationalité sénégalaise avant l’indépendance, le législateur sénégalais a recouru à une fiction. Tout se passe comme si la nationalité sénégalaise a toujours existé à l’état latent. La loi n’a pas un autre but que de la constater, elle ne l’a créée pas». Il souligne alors les termes du rapport gouvernemental de présentation du projet de loi : «Ce n’est pas parce que le Sénégal est indépendant que l’on définit une nationalité sénégalaise, mais c’est parce qu’il y avait des Sénégalais que le Sénégal est devenu indépendant, si bien qu’en réalité, il ne s’agit pas de naturaliser brusquement la population, mais de définir une nationalité préexistante par le moyen de critères qui trouvent leurs racines dans le passé et dans leurs attaches au Sénégal » ( KEBA M’Baye. L’attribution de la nationalité sénégalaise «jure soli» et l’option de nationalité dans la loi sénégalaise du 7 mars 1961. In Recueil Penant 1961, n° 687).

Et le professeur de conclure : «On pourrait ramener l’application de la possession d’état à ceci : est Sénégalais celui qui a toujours été Sénégalais et rien d’autre. En outre, s’agissant du Sénégal, la personne doit être née au Sénégal, d’un parent lui-même né au Sénégal avant l’indépendance. Il doit également avoir eu de tout temps la possession d’état de Sénégalais, c’est-à-dire n’avoir jamais eu d’autre «état» que celui de Sénégalais».

Cissé Bacongo doit être noté après la dissertation qu’il n’a pas su emmener. Il a fait un très mauvais devoir et même si son professeur ne lui a pas donné une note, il mérite zéro sur vingt. Il a voulu profiter de son statut de ministre pour faire gober du faux à la nation. La pilule n’est pas passée. L’instrumentalisation de la nationalité ne passera pas. Cela est d’autant vrai que je connais une famille de Béninois installée en Côte d’Ivoire, dans un quartier d’Abidjan, depuis plus de 60 ans. Elle s’est toujours comportée en Béninoise et jamais l’idée lui est venue de demander la nationalité ivoirienne. Les enfants et les petits-enfants de vieux K. continuent d’aller en vacances chez eux au Bénin. Même quand, à la recherche de quelques milliards FCFA pour boucler son budget, Ouattara a créé, en 1991, la carte de séjour, la famille K. se démerdait pour l’avoir. J’en connais une autre aussi, celle-là togolaise, à l’intérieur du pays, dans le Bas-Sassandra, qui est implantée là-bas depuis des lustres et qui est restée togolaise.

Par contre, il y a une famille béninoise, très chrétienne, installée dans l’ouest montagneux et qui a demandé à avoir la nationalité ivoirienne. Tous les enfants du vieux A. avec lesquels j’ai fait l’université d’Abidjan sont Ivoiriens. Ils étaient même boursiers de l’Etat. C’est dire…

Abdoulaye Villard Sanogo