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 Lune des graves conséquences de la crise militaro-politique que la Côte d’Ivoire a connue, est la déstabilisation et la désorganisation prolongées de sa société. La politique du surplace qui semble être, dans ces circonstances, l’option privilégiée par les autorités étatiques, par rapport au règlement définitif de cette crise, ne va pas dans le sens des attentes des populations ; lesquelles ont, conséquemment, adopté une attitude de repli, sur leur ardent désir d’un changement qualitatif de la situation générale. Cette conjoncture chaotique, se présente comme un terrain favorable à l’éclosion et au développement de toutes les déviances, matérialisées par des comportements, actions et actes antisociaux, contraires à la morale; mais surtout contrevenant aux normes juridiques, qui encadrent et sécurisent la vie de la communauté nationale, pour le plus grand bien de chaque citoyen.

Mis en face de ce tableau peu rassurant de la vie nationale, l’observateur de la société par excellence qu’est le journaliste, ne manquera pas de réagir, au moyen des comptes-rendus circonstanciés qu’il pourrait faire des évènements ; mettant de la sorte, en alerte les décideurs politiques, et leur permettant de prendre, en aval, les mesures adaptées aux circonstances. Plus il y aura des injustices, plus il se passera des choses anormales dans la société, plus sera grande la réactivité du journaliste. Et, mieux encore, lorsque celui-ci a l’avantage d’être un professionnel de l’investigation dans un organe de presse qui adopte la satire comme moyen de fonctionnement, la dénonciation des travers et dérives, ne se fera pas de manière empirique ; mais elle suivra une procédure logique et rationnelle, commençant par des recherches sur le terrain. Ce procédé vise à vérifier l’information reçue. Le journalisme d’investigation impliquant la divulgation d’informations et d’histoires intentionnellement dissimulées par celui ou ceux qu’elles pourraient compromettre, les résultats des enquêtes seront portés à la connaissance du public.

L’investigation requiert dans ces conditions, la maîtrise de la recherche, et de l’utilisation des sources et documents confidentiels, ainsi que (et surtout) des sources « ouvertes ». Le but final recherché étant de garantir le sérieux et la crédibilité des informations publiées. Alors que le reportage conventionnel dépend en grande partie, et souvent entièrement, des informations fournies par d’autres acteurs tels que la police, les gouvernements, les entreprises, etc., l’enquête en revanche, dans le cas du journalisme d’investigation, dépend du matériau recueilli ou produit, à l’initiative du journaliste.

Dans sa démarche, l’enquêteur se sert de faits objectivement vrais ; c’est-à-dire des faits que tout observateur normal pourrait reconnaître comme véridiques, dans le but subjectif de réformer le monde. Cependant, cette finalité noble ne donne pas le droit de dire des contre-vérités pour la bonne cause. Elle implique plutôt une double responsabilité : Celle d’apprendre et de diffuser la vérité, de sorte que le monde en général, et la Côte d’Ivoire en particulier, puissent changer en bien. La lumière de la vérité, projetée sur des faits nuisibles accomplis dans l’ombre, peut avoir un effet dissuasif sur leur possible répétition ; parce que, désormais révélés, ces faits pourraient être efficacement combattus, de toutes les manières possibles, et être éradiqués.

La fonction sociale du journalisme d’investigation, tel que pratiqué par certains journaux célèbres ou anonymes, est révélatrice du caractère positif de la fonction de cette corporation, en cette période où la société ivoirienne, troublée, a perdu ses repères. Cela sera encore plus évident avec les conséquences de l’exercice de la satire par la presse spécialisée.

La fin de l’enquête pour découvrir la vérité, ouvre la voie à la mise en œuvre de la satire. Par l’usage de la dérision, appuyée sur la vérité de l’information qu’il contient, le langage de la satire peut faire du bien à la collectivité, en « neutralisant » par anticipation, ses éléments nuisibles. De la même manière que la permanence de la menace qu’il fait planer sur le pouvoir, et sur tout citoyen foulant au pied la morale et les principes de la vie en communauté, constitue un élément de dissuasion utile pour le groupe. Cette raison est à la base de la terreur qu’éprouvent généralement toute personne détenant une parcelle du pouvoir public, et même le simple citoyen, au moment d’ouvrir un journal satirique ; dans ses pages, en effet, ils craignent de voir étalées des informations qui les concernent, et qui portent atteinte à leur honorabilité et à leur dignité.

Dans de nombreux pays occidentaux, il est arrivé que des critiques de cette nature, conduisent le mis en cause à un suicide volontaire. De ce simple fait, on peut considérer que mise au service de la morale, de la vérité, des plus faibles, des plus défavorisés, ainsi que de l’intérêt général ; et sans user de l’autoritarisme ou de la coercition, la satire s’impose comme un facteur non négligeable de stabilisation et de régulation sociale. La possibilité qu’elle a, de contribuer à mettre un terme à des maux sociaux, qui auraient pu causer de graves préjudices, renforce cet état de fait.

La satire qui se présente comme un écrit qui s’attaque aux mœurs publiques ou privées, est le moyen par lequel Aristophane, le premier poète-journaliste satirique grec, ayant vécu quatre siècles avant l’ère chrétienne, tournait en dérision la classe politique athénienne.

Pour lui, «la satire contre les méchants n’a rien d’odieux ; elle est, aux yeux de tout homme sage, un hommage à la vertu ». Les responsables africains de journaux satiriques, souscriraient bien volontiers, à cette pensées ; eux qui, travaillant dans des conditions d’extrêmes difficultés, et souvent avec la peur de la répression au ventre, ont résolu malgré tout, d’engager courageusement et avec détermination, l’œuvre risquée de purification des mœurs politiques et sociales dans leurs pays. Se plaçant ainsi, et peut-être sans le vouloir, à l’avant-garde du combat pour la démocratie.

Dr ESSIS AKO FÉLIX

Source: L’Eléphant Déchaîné N°275 du mardi 12 au lundi 18 août 2014