Entre spiritualité de l’engagement et analyse géopolitique, la Franc-maçonnerie libérale s’invite dans le débat sur la paix en RDC, à l’heure où l’ancien président Joseph Kabila voit son immunité levée.
Résumé

Par Simplice Ongui
Directeur de publication
Afriqu’Essor Magazine
La conférence publique organisée le 31 mai 2025 à Paris par plusieurs obédiences maçonniques françaises et africaines se tient dans un contexte politique particulièrement tendu en République Démocratique du Congo (RDC), marqué par la levée de l’immunité parlementaire de l’ancien président Joseph Kabila, accusé de collusion avec le groupe armé M23. Cet événement exceptionnel réunit chercheurs, journalistes et francs-maçons autour d’une réflexion géopolitique, éthique et spirituelle sur les causes profondes du conflit congolais et les voies d’une paix durable. Ce texte analyse les enjeux multidimensionnels de cette initiative inédite en articulant spiritualité laïque, diplomatie citoyenne et quête de justice.
Abstract
The public conference organized on May 31, 2025, in Paris by several French and African Masonic obediences takes place in a particularly tense political context in the Democratic Republic of Congo (DRC), marked by the lifting of parliamentary immunity of former President Joseph Kabila, who is accused of collusion with the armed group M23. This exceptional event brings together researchers, journalists, and Freemasons for a geopolitical, ethical, and spiritual reflection on the deep-rooted causes of the Congolese conflict and the pathways to lasting peace. This text analyses the multidimensional stakes of this unprecedented initiative by articulating secular spirituality, civic diplomacy, and the pursuit of justice.
Symboles, Souveraineté et Fraternité : Une conférence maçonnique face au drame congolais
Introduction
La paix est un mot galvaudé dans les discours politiques, mais rarement une praxis sincère. En organisant une conférence publique sur la paix en République Démocratique du Congo, le 31 mai 2025 à Paris, le Grand Orient de France (GODF), aux côtés de plusieurs loges maçonniques (GLMF, DH, GOCB), propose une voie originale de réflexion et d’engagement. Cette démarche déborde les cadres habituels de la diplomatie officielle. Elle affirme une posture de “diplomatie spirituelle” – terme que nous proposons ici – basée sur l’éthique maçonnique, le dialogue interpersonnel, et la responsabilité universelle. L’affiche officielle parle de “réflexion”, d'”engagement” et de “fraternité” – trois axes que nous explorerons sous l’angle de la crise congolaise, de la posture maçonnique et du contexte politique national et international.
I. Le contexte politique explosif : la désacralisation d’une figure d’ancien pouvoir
La conférence se tient quelques jours après la levée de l’immunité parlementaire de Joseph Kabila, ancien président congolais et aujourd’hui sénateur à vie. Accusé de trahison, de participation à un mouvement insurrectionnel (M23), de crimes contre l’humanité et de crimes de guerre, Kabila est également soupçonné de vouloir revenir au pouvoir via les zones de conflit de l’Est. La levée de son immunité, bien que présentée comme un acte judiciaire, s’inscrit dans une dynamique de recomposition politique où la justice est instrumentalisée. Le conflit dans l’Est, loin d’être un simple défi militaire, est donc aussi une arène politique, symbolique et éthique, où se joue l’avenir de la souveraineté congolaise.
Bien qu’aucune thématique ne prévît explicitement un débat sur le cas Joseph Kabila, la gravité de l’actualité l’impose comme un point d’attention incontournable pour les participants. Il serait pertinent que les discussions intègrent ce cas emblématique non dans une perspective judiciaire, mais comme symptôme d’une crise plus large : celle des rapports entre pouvoir, responsabilité, et impunité. Dans une optique maçonnique, où la responsabilité individuelle est au cœur de l’éthique, la figure de l’ancien chef d’État devenu sénateur à vie, puis mis en accusation, interroge sur les fondements même de la fonction publique. Elle devrait inciter les loges et les intellectuels à proposer des voies de médiation entre justice transitionnelle, mémoire collective et processus de réconciliation nationale.
II. L’approche maçonnique : spiritualité de l’action et humanisme militant
La démarche de la conférence repose sur une vision très particulière de la paix : celle de la Maçonnerie libérale. Dans ce paradigme, la paix n’est pas une négociation entre forces armées, mais un travail sur soi, sur la communauté, et sur les structures de domination. Les symboles maçonniques comme la pierre brute à tailler, les colonnes du temple ou la lumière à chercher renvoient tous à un processus d’amélioration personnelle et collective. La paix y devient une construction initiatique.
Les loges participantes, dont “La Fraternité Centrafricaine”, “Claude et Catherine Hélvétius”, “Respect et Fraternité” ou “Mosaïque Hiram”, sont connues pour leur engagement humaniste. En proposant une analyse du conflit congolais sous l’angle de la spiritualité politique, elles affirment que les violences ne sont pas seulement géopolitiques, mais aussi métaphysiques : elles détruisent des cosmos, des liens, des croyances, des rêves d’harmonie. C’est dans ce sens que Teddy Mfitu parle d’un « front spirituel ».
III. Un conflit aux dimensions continentales et internationales
Les conférenciers invités – Thierry Vircoulon (IFRI), Emmanuel Dupuy, Valérie Thorin, Gaspard-Hubert Lonsi Koko, Ngbama Ma Mbelenga – explorent les dimensions géopolitiques, économiques et humanitaires du conflit. L’Est de la RDC, région très riche en ressources, est au cœur de la convoitise internationale. Depuis 30 ans, plus de 6 millions de morts, des déplacés par millions, une violence de masse impunie : ces chiffres font de cette crise l’une des plus graves depuis 1945.
La communauté internationale, malgré les missions onusiennes et les déclarations, reste globalement indifférente. Cette indifférence est dénoncée comme complice. La conférence du 31 mai veut dénoncer ce silence par la parole engagée, par l’appel à la responsabilité morale.
Conclusion : vers une paix initiatique ?
La franc-maçonnerie, sans se substituer aux institutions, propose une autre manière de penser et d’agir. La paix initiatique qu’elle appelle n’est pas une utopie mystique, mais une praxis éthique fondée sur l’engagement, la responsabilité, le refus de la violence. Elle repose sur l’idée que pour construire une société juste, il faut d’abord travailler sur soi, reconnaître la dignité de l’autre, et s’engager dans une transformation collective à travers des valeurs universelles.
Cette approche n’est pas réservée aux seuls initiés : elle est ouverte à tout citoyen du monde épris de paix, de vérité et de justice. Assister à cette conférence, c’est s’offrir un espace de réflexion libre et fraternel, où les idées circulent, où les consciences s’éveillent, et où la paix devient une construction partagée. En ce sens, la paix initiatique est une invitation adressée à tous : construire ensemble un monde désarmé, éclairé et solidaire.
J’ai dit !
Références
Le Monde avec AFP (2025). “En RDC, le Sénat lève l’immunité parlementaire de Joseph Kabila”. Le Monde, 23 mai 2025.
Mfitu, T. (2025). “Le front spirituel et l’engagement pour la paix en RDC”. L’Objectif.
Kongo, R. (2025). “France : la franc-maçonnerie plaide pour la paix dans l’Est de la RDC”. EcoNews RDC.
Ndong, N. (2025). “Crise en RDC : les francs-maçons en réunion pour la paix le 31 mai à Paris”. ADIAC.
Affiche officielle de la conférence, mai 2025. GODF.
Commentaires
Commentaire de “Do It Evetimes U Can”
Je prends acte de cette initiative intitulée « Franc-maçonnerie et géopolitique spirituelle pour la paix en RDC ». En tant qu’observateur engagé, je ne partage ni les fondements ni les références de la franc-maçonnerie. Ce n’est pas mon cadre de pensée ni ma boussole spirituelle. Mais en tant que citoyen africain conscient des souffrances de nos peuples, je me permets une lecture critique.
1. La recherche de la paix ne justifie pas tous les canaux
Oui, la paix en RDC est urgente, vitale même. Mais le canal choisi ici – celui des loges maçonniques – pose question, surtout dans le contexte africain. La franc-maçonnerie est perçue par une large majorité comme une structure étrangère aux référents spirituels, moraux et populaires du continent. Elle est souvent associée, à tort ou à raison, à l’opacité, à l’élitisme, voire à des influences étrangères suspectes. Ce décalage culturel majeur affaiblit la portée de ce type d’initiative, même si les intentions affichées sont nobles.
2. Une spiritualité hors sol ?
L’article parle de “diplomatie spirituelle”, mais se fonde sur une conception occidentalisée, ésotérique, de la spiritualité. Or, la spiritualité africaine authentique existe, enracinée dans nos traditions, nos valeurs communautaires, nos religions vivantes. Pourquoi ne pas faire appel aux leaders religieux africains, aux gardiens de nos cultures, aux femmes de paix, aux jeunes engagés, plutôt qu’à des réseaux dont le discours reste largement inaccessible au peuple ? Si l’objectif est la réconciliation, il faut parler avec les voix que le peuple reconnaît.
3. Instrumentalisation d’un contexte dramatique ?
L’utilisation du contexte explosif en RDC pour légitimer une démarche maçonnique me met mal à l’aise. Le conflit dans l’Est du Congo n’a rien de symbolique : il s’agit de millions de morts, de viols de masse, de pillages de ressources. Ce ne sont pas des métaphores spirituelles, ce sont des tragédies humaines. Il me semble qu’on ne peut pas bâtir un message de paix sur un terrain aussi sensible en évacuant les vraies responsabilités : multinationales complices, États voisins impliqués et grandes puissances silencieuses.
4. Une paix qui commence par la vérité, pas par le secret
Enfin, je suis convaincu que la paix, pour être durable, doit être transparente, inclusive, enracinée dans la vérité et non dans des cercles fermés. Les démarches secrètes ou réservées à des élites initiées ne peuvent pas guérir des blessures ouvertes dans la chair des peuples. L’avenir de l’Afrique ne peut se construire que dans la clarté, la responsabilité publique et l’ancrage populaire.
Conclusion
Je respecte le droit de chacun à mener ses réflexions et à organiser ses actions comme il l’entend. Mais je garde une réserve fondamentale sur le recours à des structures