Alassane-Ouattara-élection

Dans tous les grands systèmes démocratiques où les mandats présidentiels sont limités à deux, le président élu utilise toujours son premier mandat pour réaliser son programme et le second pour essayer de se faire une place dans l’histoire. Arrivé pourtant au pouvoir par les armes et dans le sang, Alassane Ouattara tente sous nos yeux de s’imposer un tel agenda. Ayant fait main basse sur les projets déjà bouclés par Laurent Gbagbo, il a jalonné son premier mandat de ponts et de routes, d’échangeurs et d’autoroutes. Tout porte à croire qu’il continuera ainsi.

Malgré les conseils sages et avisés des uns et des autres, il vient en effet de sauter cyniquement par-dessus tous les obstacles constitutionnels pour se présenter à nouveau aux élections présidentielles ivoiriennes et se tailler encore une fois une victoire sur mesure. Il se sera donc donné l’auto-satisfaction d’avoir réussi à projeter à l’extérieur l’image d’un Chef d’État qui passe du statut incommode de parrain d’une rébellion sanguinaire au statut trompeur d’un démocrate ayant gagné par les urnes. Tout indique cependant que cette réélection forcée pourrait très bientôt se convertir en un vrai calvaire pour l’actuel président. Les difficultés qui attendent Ouattara au cours de ce second mandat pourraient très rapidement s’accumuler et se multiplier. Passons en revue quelques-unes des situations explosives qu’il devra gérer : 

La question de la succession

Dans l’état actuel des choses, il apparaît assez difficile de se prononcer, mais la question de sa succession semble être l’une des équations les plus brûlantes qu’Alassane Ouattara devra résoudre avant la fin de son présent mandat. Près de 15 candidats, RDR et PDCI confondus, aiguiseraient déjà leurs ambitions et les risques de dérapages pourraient augmenter au fur et à mesure que le moment approchera. Ouattara semble jouer avec les esprits et surfer sur les tensions en faisant circuler la rumeur qu’il n’attendra pas 2020 pour se retirer et laisser la place à un autre, d’où la nécessité de désigner un Vice-Président.

La sourde guerre Soro-Bakayoko risque ainsi de prendre une autre tournure avec tout ce que cela comporte comme dangers pour la paix et la sécurité. Ouattara pourrait même prendre prétexte de cette rivalité dangereuse entre ses deux protégés pour surprendre tout son monde et opter pour Tidjane Thiam ou Thierry Tanoh. Il se murmure que la volonté actuelle du Chef de l’État de modifier la Constitution lui aurait été dictée par sa crainte de l’article 35, cet article qui stipule que tout postulant au poste de président de la République doit être ivoirien de père et de mère, eux-mêmes ivoiriens. 

Les deux poulains d’Alassane Ouattara sont en effet des technocrates binationaux. Fils d’un journaliste sénégalais qui a marié la nièce de Félix Houphouët-Boigny, Tidjane Thiam est Directeur de Crédit Suisse, tandis que Thierry Tanoh, né d’un père ivoirien de Daoukro et d’une mère française est actuel Conseiller à la Présidence de la République après avoir été Directeur de ECOBANK. Tous deux restent quelque peu des inconnus pour les populations et pourraient être vus comme des novices et mêmes des intrus dans l’arène politique. Entre donc la voracité des caciques du RHDP et les ambitions des jeunes loups, la succession d’Alassane Ouattara pourrait ressembler à celle d’un vieux Capo de la Mafia.

Le dossier Guillaume Soro

Si, avec l’aide de la CPI, il a jusqu’ici réussi à rejeter toute la responsabilité des crimes de la crise politico-militaire sur Laurent Gbagbo et les pro-Gbagbo, l’inévitable dénouement du dossier Guillaume Soro pourrait bientôt, au cours de ce second mandat, placer Alassane Ouattara sur des braises ardentes. En effet, la Justice internationale n’est pas dupe, le sort de l’ex-chef rebelle semble scellé et un mandat d’arrêt pourrait tomber à tout moment, pour lui comme pour chacun de ses ex-Com’Zones.. S’il venait à être arrêté, Guillaume Soro qui a toujours murmuré qu’il n’avait pas les moyens de payer les armes, pourrait aller bien plus loin pour indexer le parrain et financier de la rébellion sanguinaire qui a attaqué la Côte D’Ivoire. Guillaume Soro vient d’ailleurs de plonger le régime dans l’émoi et la panique en attirant involontairement l’attention du monde entier sur lui. Les conséquences de ses graves propos et révélations dans une conversation téléphonique avec Djibril Bassolé restent encore imprévisibles et pourraient mettre Ouattara dans une situation très inconfortable.

Le défi du désarmement

Quoique le régime dise aujourd’hui, il est absolument clair que le désarmement des ex-combattants n’a pas été fait pendant le premier mandat de Ouattara malgré toutes les tentatives. Le désarment et la réinsertion sont donc devenus de réelles bombes à retardement que l’ex-mentor des rebelles devra savoir désamorcer s’il veut tranquillement écouler son second mandat et partir. C’est justement parce qu’il s’agit de son dernier mandat que maintenant toutes les tâches de Ouattara deviendront à la fois nombreuses et pressantes.

Avec une telle soif du pouvoir qui l’a poussé à piétine les lois et les normes de la République pour se faire installer au pouvoir par la Communauté internationale, Ouattara mériterait bien de finir mal s’il ne parvient pas à l’éviter.

Océane Yacé, Politologue, Monte-Carlo, Monaco