Venus du Burkina Faso et aidés par des mercenaires recrutés dans la sous-région, ils attaquèrent et endeuillèrent notre pays dans la nuit du 18 au 19 septembre 2002. Ils voulaient tuer l’ivoirité qu’ils considéraient comme une exclusion des Nordistes par les Sudistes. Or, selon le Forum organisé en mars 1996 à Abidjan par la Cellule universitaire de recherche et de diffusion des idées et actions politiques du président Henri Konan Bédié (Curdiphe), le grand ensemble national n’excluait personne et l’objectif de l’élaboration intellectuelle du concept d’ivoirité n’était point d’éliminer les musulmans et les ressortissants du Nord de la vie nationale (cf. François Gaulme, “L’ivoirité, recette de guerre civile” dans ‘Études’, 2001/3, tome 394, pp. 292 à 304).

L’ivoirité de Bédié n’était pas l’unique cible de Guillaume Soro et de ses camarades. Était également visée la “dictature” de Laurent Gbagbo mais peut-on traiter de dictateur un homme qui dépénalisa les délits de presse, qui ouvrit son premier gouvernement au RDR et qui n’inquiéta pas Ouattara quand ce dernier promit de rendre le pays ingouvernable si sa candidature était rejetée ? L’ivoirité de Bédié et la dictature de Gbagbo étaient donc des maux imaginaires. Ouattara et sa clique se sont appuyés sur des arguments fallacieux pour nuire à la Côte d’Ivoire. Car, 20 ans après le déclenchement de la rébellion, qu’est-ce qui a changé dans la vie des Nordistes ? Leurs villes et villages sont-ils devenus plus riches et plus développés ? Où sont les Zaga Zaga, IB, Wattao, Hamed Bakayoko, Amadou Gon Coulibaly et Amadou Soumahoro alias Cimetière ? Soro et d’autres rebelles ne sont-ils pas en prison ou en exil ? Les entreprises ivoiriennes ont-elles accès aux juteux marchés publics ? Les planteurs de cacao, de café, d’hévéa et de la noix de cajou gagnent-ils plus d’argent que du temps de Bédié et de Gbagbo ? Le pays est-il moins endetté que sous les précédents régimes ? Les Ivoiriens peuvent-ils être fiers de leur école ? Un pays où, pendant 10 ans, aucune université, publique ou privée, ne figure dans le classement des 200 meilleures universités africaines, peut-il oser parler d’émergence ?

Wattao et Chérif Ousmane à Bouaké en 2017. © REUTERS/Thierry Gouegnon

Les défenseurs du régime aiment citer  les ponts et routes bitumées que leur champion aurait construits. Il est facile de leur répondre que la qualité et la solidité de ces réalisations sont plus que douteuses, que le métro est une vraie arnaque de la France et que des ponts et routes de bonne qualité auraient pu se faire plus tôt si Ouattara et la France avaient laissé Bédié et Gbagbo travailler en paix.

Ce que je veux souligner ici, c’est que la prise des armes le 19 septembre 2002 fut un gâchis parce qu’elle fit reculer notre pays de plusieurs années. Non seulement les Ivoiriens ont été appauvris par cette fausse révolution mais les soi-disant libérateurs se regardent désormais en chiens de faïence aujourd’hui, chacun ne rêvant que d’en finir avec l’autre.

Y avait-il moyen de procéder autrement ? Oui car, quand on se dit démocrate, on ne recourt pas aux armes pour réparer une injustice réelle ou supposée. Bien qu’opposé à l’article 7 de l’ancienne Constitution qui faisait de Konan Bédié le successeur d’Houphouët en cas de vacance du pouvoir, Laurent Gbagbo ne prit pas les armes pour contester ledit article. La Loi fondamentale et les institutions d’un pays peuvent ne pas être parfaites mais le démocrate, tout en les critiquant, s’y soumet jusqu’à ce qu’elles soient améliorées ou modifiées. Pour accéder au pouvoir, il n’a besoin ni de faucher des vies humaines, ni de saccager des biens matériels, ni de demander à la France un embargo sur les médicaments ou une fermeture des banques étrangères.

Toute injustice, si elle est avérée, ne devrait laisser aucun homme indifférent. Nous devons toujours nous lever et nous dresser contre elle. Mais ce n’est pas nécessairement en tuant ni en jetant des bombes sur des innocents qu’on rend justice aux pauvres et aux malheureux. “La victoire obtenue par la violence équivaut à une défaite, car elle est momentanée”, disait Ghandi.

Par Jean-Claude DJÉRÉKÉ