“La bamboula d’Alassane qui interpelle !”

 

Le Président Alassane Ouattara  (à gauche au premier plan) gagnerait à désamorcer une bombe à déflagration, en engageant un dialogue sincère et utile pour la Côte d’Ivoire avec les partis de Laurent Gbagbo (au milieu, chemise blanche. Il était alors Président de la République quand les deux autres étaient ses opposants) et Henri Konan Bédié (à droite), deux ex-chefs de l’Etat qui l’ont précédé au Palais.

 

La pandémie du coronavirus qui sévit à travers le monde semble devenir une occasion inattendue pour le pouvoir exécutif d’Abidjan de museler son opposition, sans résistance. Une véritable aubaine qui lui tombe du ciel. Avec les décisions du conseil des ministres de mercredi 08 avril 2020, en effet, nombreux sont les Ivoiriens qui comprennent qu’Alassane Ouattara et son parti, le Rassemblement des Houphouëtistes pour la Démocratie et la Paix (Rhdp), n’entendent plus reculer devant rien pour se maintenir au pouvoir d’Etat, vaille que vaille.

Alors que les questions pertinentes de la recomposition de la Commission électorale indépendante et la délivrance gratuite de la carte nationale d’identité demeurent sans réponses, Alassane Ouattara et son Gouvernement viennent d’en rajouter à la colère du peuple ivoirien épris de paix. Une paix devenue précaire depuis 1989, année de l’arrivée du locataire du palais présidentiel d’Abidjan sur la scène politique ivoirienne. 50 millions de francs Cfa pour le cautionnement de la candidature à l’élection présidentielle de 2020, un parrainage de la candidature par des milliers de signatures d’électeurs soutenant le candidat, à travers toutes les régions du pays, maintien en prison des prisonniers militaires de la crise post-électorale de 2010-2011, etc., telle est la quintessence des décisions qui ont couronné ce conseil des ministres. En pleine crise de gestion de la pandémie de la maladie à coronavirus. Ces décisions, faut-il le rappeler, ont été prises suite à une révision au forceps de la Constitution, par un parlement et un sénat monocolores, avec Parlementaires élus et Sénateurs nommés par le Président de la République, Président en exercice du Rhdp le 17 Mars, au Palais des députés de Yamoussoukro, en violation flagrante du décret interdisant un rassemblement de plus de 50 personnes en Côte d’Ivoire qu’il a, lui-même, pris la veille.Suivi de la décision d’un état d’urgence ‘’sanitaire’’ dans tout le pays et d’un couvre-feu allant de 21 heures à 05 heures.

Des décisions qui ne connaîtront qu’une contestation de salon

Ces décisions, le Chef de l’Etat est sûr qu’elles ne connaîtront qu’une contestation de salon. Puisque les Forces de défense et de sécurité, dont la quasi-totalité des chefs sont issus des Forces républicaines de Côte d’Ivoire (Frci), l’armée créée au plus fort de la crise post-électorale par l’ex-rébellion armée de Guillaume Soro, avec le soutien actif des Forces françaises Licornes et onusiennes Onuci, aux fins d’éjecter Laurent Gbagbo, qui réclamait le recomptage des voix pour départager les deux protagonistes du deuxième tour de la présidentielle de novembre 2010 du Palais présidentiel, veillent au grain. Prêtes à casser tout rassemblement et tout mouvement de 50 personnes dont les individus n’observeraient pas la distance d’un mètre imposée, sinon moins. Et ce ne sont pas les ‘’violeurs’’ du couvre-feu instauré qui diront le contraire. Les réseaux sociaux qui diffusent des images d’hommes et de femmes en train d’être bastonnés et humiliés en dit long sur la question.

En roue libre, le Chef de l’Etat peut imposer la modification de la Constitution et du code électoral

Ces décisions, qu’il sait impopulaires, seront donc imposées aux populations, presque confinées volontairement chez elles pour cause de limitation de la propagation du covid-19. En roue libre, le Chef de l’Etat peut imposer la modification de la Constitution et du code électoral aux Ivoiriens, selon des chefs de l’opposition. Une véritable bamboula, puisque le prolongement du couvre-feuau 24 avril 2020 interpelle sur la suite à donner aux autres mesures décrétées, au moment où le Gouvernement construit des centres de dépistages dans le pays, en prévision d’une longue période de lutte contre la pandémie. 50 pour le District d’Abidjan, et 11 autres dans les 11 Districts à l’intérieur du pays. Gare à celui qui les violerait.

Alassane Ouattara semble ignorer la bombe de 1990 dont il est le principal bénéficiaire

Mais, cette volonté de tout imposer aux Ivoiriens pourrait-elle prospérer ? Feu le président Félix Houphouët-Boigny s’était mépris sur cette question. Le visionnaire n’a pu survivre au réveil brutal des Ivoiriens en 1990.  ‘’En politique, on ne règle pas un problème. On le déplace’’, disait-il. Finalement, tous les problèmes déplacés depuis ‘’son règne’’ de 1960 à 1989 lui ont été rappelés tout aussi brutalement. Et arriva Alassane Ouattara, en pompier, à la tête d’un comité interministériel en 1989, puis unique Premier ministre d’Houphouët qui, sonné par la révolte de ceux ‘’qu’il avait sortis du trou’’comme il le disait des Ivoiriens, rendit l’âme en décembre 1993 à Yamoussoukro, suite à une longue maladie et une hospitalisation en France. Cette bombe, le principal bénéficiaire de la révolte des Ivoiriens semble l’ignorer royalement. A moins qu’il le fasse à dessein. Sinon, comment comprendre qu’au moment où tous les regards des dirigeants du monde entier sont rivés vers des solutions à la pandémie du covid-19 pour sauver leurs populations, et aux économies qui s’effondrent, Alassane Ouattara et son Gouvernement peuvent-ils prioriser les questions politiques ? 

Les indignations d’un cadre de l’opposition ivoirienne

’Ce ne sont pas les 50 millions de francs Cfa de caution à payer pour la candidature à la présidentielle, ni le parrainage qui posent problème. Le problème, c’est que ces importantes questions sont réglées, unilatéralement, par le chef de l’Etat et son Gouvernement au moment où il interdit les rassemblements. Il sait que ce sont des décisions impopulaires qu’il prend, qui vont être vivement contestées par le peuple ivoirien’’, exprime son amertume un leader de l’opposition. ‘’Autant Alassane Ouattara est sûr que son candidat, Amadou Gon Coulibaly, peut réunir 50 millions de francs Cfa pour sa caution et avoir le parrainage de milliers d’électeurs à travers toutes les régions, autant les candidats que présenteront le Pdci-Rda –parti démocratique de Côte d’Ivoire, Rassemblement démocratique africain, ndlr) et le Fpi (Front populaire ivoirien, ndlr) sont prêts à le faire’’, s’indigne ce cadre de l’opposition.

‘’Trop, c’est trop’’, peste-t-il

’Alassane Ouattara a peur que les Ivoiriens descendent dans la rue, comme en 1990, pour le contraindre au respect des règles démocratiques qu’il foule aux pieds depuis son accession à la magistrature suprême de ce pays. Par exemple, la Constitution ivoirienne interdit au Président de la République de diriger un parti politique, il est le président du Rhdp. La Constitution ivoirienne exige du Président de la République élu de déclarer ses biens, je n’ai pas connaissance qu’il l’a fait. Lui-même, dans l’opposition, il a exigé que la rébellion et l’opposition dirige la CEI, Laurent Gbagbo a fait droit à cette exigence. Afin de soulager les citoyens Ivoiriens, Laurent Gbagbo a fait établir gratuitement les cartes nationales d’identité, en pleine crise de la rébellion armée. A son tour, au moment où il parcourt le monde entier pour déclarer que la Côte d’Ivoire a retrouvé la paix, et que tout le peuple est réconcilié, il fait payer la Cni à 5 000 F, officiellement, puisque les dossiers pour aboutir à la demande de cette pièce ont un coût’’, peste-t-il. ‘’Dans tous les cas, la crise de la pandémie à coronavirus passera, comme d’autres crises du siècle dernier sont passées, et le monde a repris son fonctionnement normal. Nous verrons bien la suite à donner à ces différentes questions. Trop, c’est trop’’, prévient-il pour conclure. 

Une bombe à retardement, à dégoupiller le plus rapidement possible

Une bombe à retardement ! C’est le cas de le dire, à dégoupiller le plus rapidement possible. Avec le refus catégorique du chef de l’Etat d’engager des discussions franches avec son opposition, et à vouloir présenter des individus solitaires comme représentants de partis politiques qui lui servent d’essuie-pieds, il n’est pas certain que la paix, très fragile en Côte d’Ivoire du reste, soit maintenue. Il n’est pas encore tard pour engager ce dialogue que lui proposent le Fpi, le Pdci et des mouvements de la société civile. Le désamorcement de cette bombe est à ce prix.

Laurent Nahounou
laurentmadoun@gmail.com