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Je lis des choses incroyables sur Observatoire Démocratique de Côte d’Ivoire – ODCI. Notre jeunesse doit savoir que la Côte d’Ivoire a connu dans le cadre de la communauté française (Autonomie de la Côte d’Ivoire en association avec l’ex puissance coloniale 1958) le multipartisme de 1946 à 1956 (Parti Progressiste, Parti Communiste, PDCI-RDA, etc.) bien avant la création du Parti Unique (qui mettra fin aux rivalités et querelles politiques, pour se rassembler autour d’un objectif commun : indépendance, paix sociale et développement), Au plan strictement historique, on ne peut parler que de la restauration du multipartisme. Au plan strictement juridique le multipartisme a toujours été autorisé par notre Constitution de 1960, raison pour laquelle il n’a pas été nécessaire de la changer pour réintroduire le multipartisme en 1990.

Ensuite, il convient d’analyser les conditions de survenance de celui-ci, tant au plan national (crise économique, faillite d’un modèle de gestion, mobilisation des forces du changement, sortie des forces clandestines) qu’au plan environnemental (Conférence Nationale Souveraine du Bénin en 1989, chute du mur de Berlin (fin de la guerre froide et du partage du monde en 2 blocs, l’Occident triomphant n’avait plus le même intérêt géopolitique en Afrique) Discours de la Baule qui entend et appuie les exigences démocratiques des masses africaines, etc.). Dans un tel contexte et de telles conditions objectives et indépendantes (cf. le courant historiographique de la nouvelle histoire apparue en 1970), la Côte d’Ivoire était appelée immanquablement à connaître un changement. L’idée et la volonté de changement était en mouvement partout sur le continent et dans le monde. Preuve, elle gagnera même le rideau de fer : l’URSS (1985-1991). La transparence dans le système (perestroïka) prônée là-bas par Gorbatchev, sera un puissant coup d’accélérateur au niveau du mouvement mondial pour le changement.

Dès lors, un homme, quel qu’il fût, devait nécessairement apparaître pour conduire et canaliser ce mouvement collectif naissant à son tour en CI, comme par ricochet (C’était en quelque sorte sa part d’africanité et de mondialité, d’où l’impuissance des pouvoirs en place devant la force de cette vague). Parmi les ténors de la contestation en CI, un homme, le Président Laurent GBAGBO se détachera des autres leaders d’opinion et de l’opposition, pour être celui-là.

Enfin, l’interprétation et la valeur qu’on veut donner au phénomène est subjective, et dépend des écoles. Le phénomène de la restauration du multipartisme en Côte d’Ivoire est profondément ancré dans la durée. Des éléments précis précèdent et gouvernent à son apparition. Force est de reconnaitre que le militantisme du Président GBABO est également inscrit dans la durée, même s’ils ne se confondent pas, il l’accompagne. Mais le phénomène s’inscrit également et surtout dans un vaste ensemble de données économiques, diplomatiques, géostratégiques, sociales historiques, environnementales, qui sont indépendantes et totalement étrangères à la personne et au pouvoir d’action individuel du Président GBGBO.

Le terrain psychologique et mental des masses africaines était préparé au changement. Que ce fut avec lui ou avec un autre (Bernard ZADI ZAOUROU, son devancier, MORIFERE, WODIE, ou encore AKOUN ou un autre, du même parti politique que lui, etc.) le phénomène aurait eu lieu. En fonction de la question posée (le Pdt GBAGBO est-il réellement le père de la démocratie ivoirienne ?), l’historien-analyste s’efforcera avec objectivité, de proposer une interprétation rationnelle des données qui lui ont été fournies par l’histoire matérielle. Pour son corpus de recherche, il se penchera aussi sur l’histoire des idées en vogue …” (CF. Wikipédia) et surtout des mentalités et des conditions d’une époque et d’un espace.

Or, au plan de l’histoire des idées et de la lutte qui s’est engagée autour d’elles, pour la libéralisation du système du parti unique (PDCI-RDA) et la restauration du multipartisme en Côte d’Ivoire, le Pdt GBAGBO s’inscrit dans la continuité d’une longue tradition qui commença au sein du PDCI lui-même, et en dehors, avec Guy MOKEY, Ernest BOKA, Jean KONAN BANNY, Bernard ZAOUROU ZADI, etc. (Cf. 1963, le complot du Chat Noir et prison politique de Yamoussoukro). Notons que la force du Président HOUPHOUËT-BOIGNY a toujours été sa capacité de récupération de ses opposants, car il y avait la FÉANF-Section CI, dirigée un moment par un certain…..Henri KONAN BÉDIÉ. Ce mouvement de pensée se poursuivi avec des personnes comme Mamadou KONÉ, Charles DONWAHI, Désiré ÉCARÉ, Me ADAM Camille, GBAÏ TAGRO, Désiré TANOÉ et bien d’autres, le Doyen YAPOBI, les Prof. MEMEL FOTË, Christophe WONDJI, Francis WODIÉ, MORIFÉRÉ, encore Bernard ZADI, etc., puis vint la Génération de ceux de la prison de Séguéla, dont Laurent AKOUN, le premier syndicaliste libre de CI. En 1986, je conduisis moi-même avec feue Jacqueline OUELLÉ, une délégation des Étudiants et Chercheurs Ivoiriens de France (CPRUN) pour discuter avec le Comité Exécutif (13 Ministres: ALIALI, Lanseni COULIBALY, Jean Konan BANNY, SERY NGOLÉBA, FOLOGO, Balla KEITA, DJÉDJÉ Mady, DJÉBONAO, EHUI Bernard, etc.) de la libération du Système de la pensée unique et de la suppression du MEECI (endoctrinement et embrigadement de la jeunesse estudiantine). Les archives sont là pour en témoigner et certains acteurs sont encore vivants. C’est dans ce prolongement de pensée, pas nécessairement unitaire, que sont nées par la suite, à la faveur de la crise économique qui frappait le pays, et les mesures restrictives du programme d’ajustement structurel, les grèves de protestations et les révoltes de 1990, qui permettra l’obtention de l’ouverture du régime au multipartisme, dans le cadre d’une remise en cause générale du système.

Le Président Laurent GBAGBO prendra le leadership, au regard de la constance et de la durée de son combat depuis les bancs universitaires (Cf. UNEECI, Club Connaissance de l’Afrique, et naissance du MEECI avec YAO N’GUESSAN) , son charisme personnel et sa popularité acquise très tôt, depuis qu’il était encore Professeur au Lycée Classique de Cocody, suite à un incident diplomatique avec l’ambassadeur d’Israël à travers sa fille, qu’il avait pour élève, et la diffusion de son livre de dénonciation des tares du régime HOUPHOUËT-BOIGNY depuis son exil Parisien (Cf. MIDD et FPI clandestin). Cette histoire sommaire n’est ni complète, ni exhaustive, ni d’ailleurs totalement exacte. L’essentiel est de démontrer que le mouvement de libéralisation et de démocratisation a une origine lointaine, avec une chaîne ininterrompue, s’articulant sur plusieurs générations, se succédant les unes aux autres (60-70, 70-80, 80-90). C’est donc l’aboutissement d’un mouvement continu qui puise sa source depuis le début des années 1960.

Mais l’important pour nous aujourd’hui, est de savoir dans quelle perspective l’évolution de nos mentalités actuelles, peut-elle influencer positivement (approfondissement de la démocratie, bonne gouvernance, développement, paix et cohésion sociale, stabilité institutionnelle) ou négativement (développement des ressentiments de la crise, mal gouvernance, régression démocratique, instabilité, faillite économique, nouvelle crise de violence) un changement dans le futur, pour modeler l’avenir de la Nation Ivoirienne. Pouvons-nous agir sur ces mentalités dans un sens ou un autre? C’est notre choix et notre responsabilité. C’est dans ce sens que la réflexion doit s’orienter désormais, plutôt que de s’engluer dans un débat inutile de paternité, du reste difficile à établir au bénéfice d’une seule personne individuelle, quel que soit son parcours et sa lutte personnelle, qui ne sont pas à nier.

Pierre Soumarey