Ils ont servi l’État au plus haut niveau, chacun selon ses compétences. Que sont-ils devenus aujourd’hui ?

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(FratMat, 5 – 6 octobre 2013) – Que sont-ils devenus, les anciens ministres de 1960 à ce jour ? Vaste question qui conduit à un flashback de plus de 50 ans. Retour sur la vie de ces hauts cadres et commis de l’Etat. Qui, aux côtés des différents Présidents qui se sont succédé à la tête du pays, ont contribué, chacun avec ses compétences et son savoir-faire, à bâtir la Côte d’Ivoire. Etat de santé, nouvelles activités et conditions de vie, tout y passe.

Notre enquête nous conduit ce mercredi 2 octobre 2013 à M’Badon, un beau village Atchan de la commune de Cocody. Au bord de la lagune, il y a une grande cour clôturée et bien entretenue. On y compte plus d’une dizaine de cocotiers qui ont poussé sur ce site sablonneux. Nous sommes chez Ange François Barry Battesti, un des collaborateurs du Président Houphouët-Boigny. L’homme qui a occupé le ministère de l’Enseignement technique et de la Formation professionnelle pendant 20 ans (de 1970 à 1990) a fondu. Mais à 80 ans (c’est lui qui le précise), il tient, encore, sur pieds. Il nous livre son secret :

«Lorsque j’étais jeune, à partir de 18 ans, j’ai pratiqué la culture physique. J’ai donc gardé toujours le goût de la pratique de la culture physique », dit-il. Et d’ajouter : «Les culturistes, je vous le dis, ont le cœur plus gros que le commun des mortels. Donc la culture physique est une preuve de santé. Je n’ai jamais eu de problème de cœur ni quelque autre ennui de santé physique. Je ne bois pas, ne fume pas. Il faut savoir s’entretenir parce que l’âme puise sa force dans le corps».

Ange François Barry Battesti a une salle de culture physique dans sa résidence. «C’est ici que je passe mes après-midis, les vendredis, samedis, dimanches et lundis et où je pratique deux à trois heures de sport: de 15h à 17h ou 18h», fait-il savoir. Au cours de la visite de ladite salle, l’ancien ministre, qui fut le tout premier proviseur de Côte d’Ivoire, après avoir été professeur au lycée technique d’Abidjan, affirme qu’il est un professionnel de la culture physique. «Je suis titulaire d’un diplôme en la matière. Je pratique ce sport chez moi plutôt que d’aller dans une salle d’épreuves physiques. Et puis, avec mon âge, je n’ai plus besoin de m’exhiber au milieu des jeunes qui, eux, font de la musculation. Moi, je fais ce sport pour ma santé. Et je m’en porte bien», révèle notre interlocuteur.

A tous ceux qui veulent savoir ce qu’est devenu Ange François Barry Battesti, celui-ci répond, en riant : «Je suis là. Je vis». Nous insistons pour qu’il nous parle de sa nouvelle vie. Sa réaction est aussi pleine d’humour : «Ah, ma nouvelle vie est très simple. Je réfléchis beaucoup. D’abord à ma vie intérieure. Car il y a réussir dans sa vie et réussir sa vie qui est beaucoup plus compliqué, profond et sérieux. Ai–je réussi ma vie ? C’est ce à quoi je réfléchis ».

L’homme n’aime pas qu’on dise qu’il est heureux, après 20 ans passés au gouvernement.

Dès que vous évoquez ce volet, il se dit «perplexe», et même «dubitatif ». Raison : «On ne peut pas se satisfaire en quelque sorte de ce qu’on a fait, parce qu’on se souvient des choses qu’on aurait pu faire… ».

M. Battesti dit n’avoir jamais fait la course à l’argent. Cela ne l’intéresse pas, comme il le dit lui-même. Ce qui est essentiel, c’est de vivre de manière décente. «Je ne suis pas riche», précise-t-il. Ses mets préférés ? «Je mange des choses très simples : des crudités. Le matin, au petit déjeuner, je prends, entre autres, du fromage et de la vitamine C. En tant que culturistes, les plats africains (foutou, sauces djoungblé, graine, gombo…) ne sont pas mon fort ». Le soir, je mange un peu de spaghetti ».

Entre lecture et écriture

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Prof. Paul Akoto Yao

Aux Deux-Plateaux, à quelques encablures des feux tricolores de Saint-Jacques, un autre ancien ministre nous accueille en sa résidence. C’était le dernier samedi du mois de septembre, aux environs de 9h. De décembre 1971 à avril 1983, il a été ministre sous Houphouët-Boigny. Et ministre des Affaires présidentielles sous le Président Bédié. Il s’agit de Paul Akoto Yao. Que devient-il ? «Akoto est assis chez lui. Il vit », lance-t- il. Il parle de ses activités quotidiennes : «Je lis les journaux et quelques ouvrages. Je regarde quelques émissions de télévision et j’écris quand j’en ai envie ».

Paul Akoto Yao vous dira qu’il est riche de son expérience de vie. Mais il ne l’est pas en termes d’argent. «Je ne crois pas que le métier que j’ai choisi (enseignant) soit celui qui permet à quelqu’un d’être riche», explique-t-il. Selon lui, la maison cossue qu’il habite n’est que l’apparence des choses. Il fait remarquer qu’il a travaillé pendant 46 ans et qu’il est normal qu’il ait une maison. Depuis 1999, l’enfant de Sakassou qui a contribué à l’amélioration du système éducatif ivoirien vit paisiblement sa retraite. A 75 ans, il ne compte plus travailler à nouveau. Mais il pense qu’avec son expérience, il peut toujours être sollicité ou consulté. «C’est ce qu’on peut faire aujourd’hui», soutient-il.

“Je m’exprime difficilement mais je vis ”

Des Deux-Plateaux, notre équipe s’est dirigée vers Biétry. Nous frappons au portail d’un autre plus proche collaborateur du père de l’indépendance de la Côte d’Ivoire. Sa maison est contiguë à Wafou, un réceptif hôtelier au bord de la lagune. Nous demandons à rencontrer Maurice Séri Gnoléba. A la salle d’attente où nous nous asseyons (le photographe et moi), c’est un gros chien qui se présente. Le regard perçant, il promène son museau autour de nous. Flairant, successivement, nos corps. Du coup, une crainte subite s’empare de nous. Un des enfants de l’ancien ministre du Commerce nous apprend que son père est à table. Il nous demande d’attendre, convaincu que nous serons reçus. Nous patientons donc. A 13h 30, nous sommes accueillis par le ministre, dans l’un de ses salons. «Je suis là », dit-il. Avant d’égrener les qualités du Président Houphouët qui, se rappelle-t-il, lui accordait une très grande importance. Dès l’entame de notre entretien, l’ancien trésorier payeur général qui a été ministre, plusieurs années

durant, nous apprend qu’il est souffrant. Chose que nous avons constatée à travers sa démarche quelque peu pénible. A chaque question, il cherche ses… mots. «Je suis touché par ce qu’on appelle la maladie du crâne. Actuellement, je m’exprime difficilement. Mais je vis », dit-il.

Maurice Séri Gnoléba a 78 ans, aujourd’hui. Il est père de dix enfants. Demandez-lui le nombre de ses petits- enfants, il vous répondra, avec un brin d’humour : «Ça, il faut calculer». Bien que marchant difficilement, il a tenu à nous raccompagner au portail et à s’assurer que notre véhicule a bien démarré.

Ces anciennes ministres, leaders politiques

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Mme Akissi Danièle Boni Claverie

«Après ma sortie de Boundiali, mon parti m’attendait. J’ai donc repris mes activités politiques. Je me suis engagée dans le dialogue politique avec le gouvernement». Ces propos sont de Danièle Boni Claverie, présidente de l’Union républicaine pour la démocratie (Urd).

Ancienne ministre de la Communication sous Henri Konan Bédié, elle tient souvent des réunions politiques en sa résidence, à la Riviera Golf. Mais c’est aussi une femme qui s’occupe de sa maison. Elle veille au grain afin que rien ne lui échappe. «Tous les matins, je dis aux uns et aux autres de faire ceci ou cela, d’aller faire le marché. Je détermine ce qui doit être acheté, les repas qui doivent être faits. Je m’applique énormément parce que j’aime avoir une maison bien tenue, un jardin bien tenu également», explique-telle.

Très souvent, elle va chez elle à Tiassalé. Pour s’imprégner des réalités du terrain. Aujourd’hui, elle dit être «une femme heureuse». Mais, pour pouvoir s’épanouir totalement, Danièle Boni Claverie «estime qu’il faudrait que la réconciliation en Côte soit effective ». Pour que, ajoute-telle, «nous ressentions à nouveau cette joie de vivre, cette paix, ce besoin de l’autre ».

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Mme Henriette Lagou

Une autre femme ancienne ministre : Henriette Lagou, présidente du Renouveau pour la paix et la concorde. «Ma nouvelle vie est familiale. Je continue comme avant. Il y a ma vie professionnelle, parce que je suis fonctionnaire. Je suis administrateur des services financiers, option trésor. Et il y a ma vie politique», soutient-elle.

Selon elle, un ancien ministre doit savoir garder ses relations avec le peuple. Il doit créer ses propres conditions de vie. «Un ministre qui construit une maison de 10 à 15 chambres, c’est que, quelque part, il a prévu comment l’entretenir, comment payer les impôts. Tout est une question d’organisation », dit-elle.

Elle ambitionne de faire du Renouveau pour la paix et la concorde, un parti fort. Elle aspire même à être la première femme à diriger la Côte d’Ivoire.

Le ministre Roland Zakpa Komenan ne sent pas…le poids de son départ du gouvernement. «En tout cas, de ce point de vue, je ne m’ennuie pas. Ce n’est pas le cas de tous. Je suis retourné à l’enseignement, gaîment, parce que c’est mon métier. Pour moi, la politique, ce n’est pas un métier. C’est plutôt une mission, une conviction», dit-il.

Juriste, historien du droit, politologue, anthropologue…Il enseigne des matières diverses : le Droit constitutionnel, mais l’Histoire des institutions négro-africaines, l’Anthropologie juridique, la Science politique, les Idées politiques, les Politiques publiques, la Sociologie politique, etc. Ce samedi 28 septembre 2013, matin, sous une pluie peu ou prou diluvienne, il nous accueille dans sa maison sise à la Riviera III. Dans son bureau qui est en même temps sa bibliothèque, il nous parle de sa nouvelle vie : «Ma nouvelle vie, vous voyez sur mon bureau, actuellement, une thèse d’Etat. Je suis membre d’un jury de thèse. Et cette thèse aura lieu le 9 octobre 2013. Voilà, c’est mon métier. Je donne des enseignements aussi bien à l’université Félix Houphouët-Boigny à Abidjan-Cocody, à l’université Alassane Ouattara à Bouaké qu’à l’université Atlantique et à l’université des Lagunes…. Je continue, comme vous le voyez, de travailler. Je suis enseignant et je le demeure ».

Dr Tchéré Séka a occupé les fonctions de Haut- commissaire au développement intégré de la région semi-montagneuse de l’ouest, du 26 janvier 1996 au 24 décembre 1999, soit 4 ans. Conseiller à la Présidence de la République, chargé de l’Administration publique, de la Décentralisation, de l’Aménagement du territoire et du Développement local, il fait des travaux d’expertise auprès d’institutions de développement telles que le Programme des Nations unies pour le développement (Pnud), la Banque africaine de développement (Bad) et l’Union européenne (Ue). Il dispense des cours au niveau de l’enseignement supérieur, notamment à l’Ufr de Mathématiques et d’Informatique, à l’Ufr de Sciences économiques et l’Ecole nationale d’Administration (Ena) filière Administration générale : Cours de développement local.

De Félix Houphouët-Boigny à Alassane Ouattara, ce sont autant de gouvernements qui se sont succédé avec autant de ministres. Dont nombreux se sont aujourd’hui (re)convertis dans d’autres activités. Parler de leur vie, ne saurait être exhaustif.

A travers cette enquête, nous tenons à soulever un coin du voile sur les réalités de ces hauts cadres. Qui, à un moment donné de leur existence, ont servi l’Etat au plus haut  niveau.

Cet échantillon présenté à travers nos colonnes est, à notre avis, représentatif de ce que sont devenus les anciens ministres des différents gouvernements. Partagés qu’ils sont entre de nouvelles activités, une vie plus ou moins difficile et surtout un état de santé fragilisé par le poids de l’âge et des vicissitudes de la vie. C’est ici que l’adage «Si jeunesse savait, si vieillesse pouvait », pourrait prendre tout son sens. Car d’aucuns estiment qu’un cadre qui a servi au gouvernement doit pouvoir nécessairement préparer ses vieux jours. Encore faut-il que les réalités africaines, avec le système de famille élargie, lui en donne la possibilité et surtout les moyens.

EMMANUEL KOUASSI

 “Un sac vide ne tient pas debout”

Un ancien ministre qui n’a pas retrouvé d’emploi est, sans contredit, un chômeur indemnisé. Puisqu’il perçoit sa pension. Mais une question mérite d’être posée : un  ancien ministre peut-il vivre décemment de sa pension ? «Si je vous dis les chiffres, vous allez tomber à la renverse. Donc, on fait ce qu’on peut», ainsi répondait l’un d’entre eux qui a requis l’anonymat. Celui-ci ne cache pas les difficultés qui sont les leurs : payer les factures d’eau et d’électricité, se soigner, s’occuper des petits-enfants et des enfants qui ont fini leurs études et qui vivent encore sous le toit des parents. Il faut aussi régler les impôts. «Des fois, nous avons des difficultés pour faire face à tous ces problèmes», confie notre interlocuteur.

Sans grands moyens financiers, l’entretien de la résidence acquise pendant qu’on est encore aux affaires devient un casse-tête. A ce jeu, tandis que certains s’en sortent assez bien, d’autres, avec encore beaucoup de difficultés.

En Côte d’Ivoire, un ancien ministre n’a pas droit à une voiture, un chauffeur et un agent de sécurité. Le ministre Roland Zakpa Komenan nous a rapporté ce qu’un aîné lui aurait dit, lorsqu’il était encore au gouvernement : «La vie d’un ancien ministre n’est pas facile ». Parti du gouvernement depuis le 11 août 1998, l’ancien ministre de l’Enseignement technique et de la Formation professionnelle sous Bédié médite encore cette pensée. «Comment dire à quelqu’un qui n’a rien comparativement à toi un ancien ministre, que tu n’as rien non plus ? Il ne va pas te croire. Il dira que tu es méchant alors que tu n’en as pas», dit-il.

Lorsque des anciens ministres se rencontrent entre-eux, ils racontent des choses désopilantes. Zakpa donne un exemple : «Un sac vide ne tient pas debout». Il reconnaît qu’on n’entre pas au gouvernement pour s’enrichir. «C’est une mission qui est confiée. Quelquefois même, vous êtes obligés de vous dépouiller totalement pour les autres, de vivre

pour eux. Mais, ce qui fait souvent mal, c’est quand vous n’êtes plus aux affaires et que les gens que vous avez aidés à s’établir vous tournent le dos, changent quelquefois de trottoir pour ne pas vous dire bonjour. Cela fait mal au cœur», ajoute-t-il. Zakpa Roland ajoute que l’on apprend à connaître les hommes quand on est à la retraite. En effet, selon lui, lorsque, hélas, «vous êtes loin du puits, vos amis vous abandonnent». Triste réalité !

E.KOUASSI